Puppy Please : « Notre kink, c’est l’humour »

À l’occasion de la sortie de leur dernier film Une blonde baise avec sa fucking machine devant son chien-chien, sur la plateforme Pink Label TV, on a réalisé pour vous une petite interview croisée des membres de la team Puppy Please — Lullabyebye, Robyn Chien, Gordon B. Rec ­— pour une plongée au cœur des nouvelles tendances de la pornographie !

Le Tag Parfait : Selon les descriptions présentes sur votre site, vous semblez tous venir plus ou moins de milieux artistiques, comment en êtes-vous arrivés à la pornographie ? 

Lullabyebye : À la base, je faisais des webcams pornographiques pour financer les productions artistiques de Eva Vocz (moi-même) ! Il y a une normalisation du travail gratuit dans l’art, surtout si on est une jeune femme et/ou LGBTQI+ et qu’on veut représenter le sexuel, alors il fallait bien un job alimentaire pour pouvoir continuer à se faire exploiter par les institutions artistiques. Progressivement, mes différentes casquettes, d’artiste (Eva Vocz) et de travailleuse du sexe (Lullabyebye), se sont influencées l’une et l’autre. Et j’en suis venue à l’envie d’assumer pleinement le choix de la pornographie comme travail artistique légitime.

Robyn Chien : J’aime beaucoup le cinéma de genre, les films qui parlent au corps plus qu’à la tête. Le Porno est parfait pour ça. J’aime bien me saisir de certains genres et les tourner à ma sauce que ce soit une comédie romantique, un film fantastique ou un porno. Pour moi le porno est un style de cinéma comme un autre. Ce sont ses qualités plastiques qui m’ont intéressée avant le geste provocateur. J’aime bien adopter une attitude naïve devant les contextes que je traverse pour ne pas céder aux évidences. C’est seulement après coup que je me suis demandé si présenter du porno à un diplôme d’école d’art était dérangeant.

« Pour moi le porno est un style de cinéma comme un autre. »

Robyn Chien, réalisatrice chez Puppy Please

Gordon B. Rec : J’ai commencé à faire du porno expérimental en même temps que les webcams vanilla et les rencontres BDSM en réel, cela m’a permis de sortir de la rue et de financer ma transition en me laissant le temps de réaliser mes productions en parallèle. Je voulais depuis longtemps créer un label de porno et ma rencontre avec Robyn Chien et Lullabyebye a concrétisé mon souhait presque instantanément. Pouvoir être performeur était essentiel sachant que c’était la seule manière de rendre le sexwork rentable en tant que garçon transgenre.

Le Tag : Quelle est la genèse de Puppy Please ?

Puppy Please : Nous nous sommes rencontrés lors d’une résidence de création à Bandit-Mages à Bourges, organisée par le collectif Porn Process en août 2019. L’idée était d’expérimenter des formes pornographiques multiples, il y a eu un match tant intellectuel qu’esthétique entre nous. En dérushant nos premières images, on a eu envie que la terre entière les regarde. 

La question du cadre de travail est arrivée très vite. Il y a eu les rushs puis la conception d’une structure économique. Comme de parfaits petits entrepreneurs, on a pensé le business plan et la stratégie de communication. On a eu envie d’une grande aventure et pour cela une bonne base était nécessaire. Ce n’est qu’après cette longue étape qu’il y a eu la sortie des films. 

Le Tag : Vous avez une culture du porno bien affirmée — on comprend vite vos influences BDSM ou fétichiste. Quels sont vos kinks personnels, et quelles sont vos références dans l’industrie pornographique (acteurs, genres, films, pratiques) ?

Lullabyebye : Je dis souvent que la caméra me permet de réaliser des fantasmes que je n’oserais jamais me formuler. Je crois que notre kink c’est l’humour. Introduire des éléments comiques pour dévier de la trajectoire attendue. Nous aimons cette liberté qu’il y a seulement dans le porno de faire des scénarios tout sauf réalistes. Je suis fascinée par La Cicciolina.

Robyn Chien : Tout type de POV et de Fake (ajouter la mention appropriée : cops, taxi, etc.). [rires] Non mais plus sérieusement, il y a vraiment des ressorts plastiques hyper efficaces en termes d’excitation dans ce qu’on appelle le porno mainstream. Donc ce sont évidemment des sources d’inspiration très fortes. Sinon j’adore Janice Griffith mais je ne me mouille pas trop en disant ça [sourire].

Gordon B. Rec : Je regarde souvent du porno en accès libre avec des scènes où les acteurs jouent un non-consentement. Mais mes fétiches vont plus du côté pan-sexuel dark avec toujours les mêmes motifs esthétiques, avec ou sans caméra. Mon énergie de brat transite de ma vie personnelle à celle d’acteur avec toujours de jolis objets comme des colliers ou des bougies en guise d’accessoires. En ce qui concerne mes références je suis en pleine découverte émerveillée du cinéma pour adultes underground contemporain.

« Notre imaginaire est très influencé par les pornographies mainstream, mais nous n’avons pas jugé que le sperme était ce qu’il y avait de plus intéressant à piocher. Entre le sperme et la livraison de pizza, on a tranché ! »

La team Puppy Please

Le Tag : Dans Une blonde baise avec sa fucking machine avec son chien-chien, vous citez clairement Iris Brey et son « regard féminin ». Que recommandez-vous d’autres genres, arts, ou mouvements en dehors de la pornographie ?

Puppy Please : On recommande avant tout de s’intéresser à l’Art Pute, et aux autoreprésentations des travailleurs et travailleuses du sexe. On aura d’ailleurs l’occasion de s’y intéresser lors du Festival SNAP [NDLR : festival sur les représentations des travailleurs du sexe]. Nous nous demandons pourquoi ces œuvres n’entrent pas dans les collections ? Pourquoi elles n’obtiennent jamais de financements de la part de l’industrie artistique ? Et enfin pourquoi sont-elles si peu présentes sur le marché de l’art ordinaire alors que les représentations victimaires et stigmatisantes du travail sexuel sont omniprésentes. Alors s’il est vrai que nous citons Iris Brey, cela ne veut pas dire que nous sommes en accord avec le regard qu’elle porte sur les pornographies.

Robyn Chien : On a chacun·e nos univers artistiques et ils se rencontrent dans les films. Pour l’image j’adore Gregg Araki, John Waters, Jacques Rivette ou Apichatpong Weerasethakul. Mais généralement, c’est la manière dont sont fabriquées les choses en collectif qui m’intéresse, c’est pour ça que j’en parle autant sur Instagram.

Le Tag : Il n’y a pas de sperme dans vos productions, peut-on voir cette singularité comme un acte militant ou alors est-ce un simple hasard du calendrier ?

Puppy Please : Ce n’est pas un statement. Ce n’est pas non plus tout à fait un hasard. Dans Une blonde baise avec sa fucking-machine devant son chien-chien on avait évoqué la possibilité que Knik_X éjacule, mais on s’est dit que nous avions suffisamment « d’éjac » comme ça avec celle de Lullabyebye ! Notre imaginaire est très influencé par les pornographies mainstream, mais nous n’avons pas jugé que le sperme était ce qu’il y avait de plus intéressant à piocher. Entre le sperme et la livraison de pizza, on a tranché.

Robyn Chien : C’est marrant de le remarquer. J’imagine que si on ne montre pas encore de sperme c’est qu’on doit montrer autre chose. Donc on est content·e·s d’apporter notre petite pierre aux représentations du sexuel.

Le Tag : Lullabyebye et Robyn Chien, vous laissez beaucoup de place à la masturbation et aux plaisirs solitaires dans vos créations, d’ailleurs c’est la première fois que je vois quelqu’un se masturber avec des œufs, comment élaborez-vous vos scénarios ? Au fil de l’eau ou après une intense session de brainstorming ?

Puppy Please : Pour élaborer les scénarios on « brainstorme » à partir de nos envies. On écrit certains plans qu’on souhaite venir chercher. On voit les mouvements. On construit une sorte de canevas pour avoir une structure mais on le laisse assez souple pour pouvoir saisir l’instant et garder une spontanéité de la caméra. Pour ce qui est des pratiques sexuelles, c’est quelque chose qu’on définit avec les acteurs, il y a des modifications en fonction de leurs préférences et propositions. S’il y a une forte présence de la masturbation, c’est parce qu’on l’envisage comme un acte qui peut être une fin en soi.

Le Tag : Comment envisagez-vous les tournages ?

Puppy Please : Comme la partie la plus fun ! Si on avait les moyens de ne faire que ça, ce serait le top. Et oui on rencontre des difficultés, car comme tous les tournages, ce sont des aventures collectives. On pose un cadre, pour pouvoir rentrer en intensité, venir chercher ce qui nous met à nu. Et cela même au-delà du fait d’être nu·e·s ! C’est aussi montrer ce qui nous excite, nous gêne, etc. Rechercher et assumer ses perversions, ce n’est pas encore totalement accepté de nos jours. 

Le Tag : Ce qui m’a frappée au premier visionnage de « Une blonde », c’est le jeu sur la temporalité : vous laissez beaucoup de place aux instants morts, ce qui est rare dans le porno, même amateur, d’autant que le montage est très présent. Ce parti pris esthétique est pour moi essentiel et fait clairement le charme de vos productions. Quelle est votre intention derrière cette volonté d’étendre la durée des plans au-delà de la pure pornographie ?

Lullabyebye : Oui, on avait envie de construire une narration dans laquelle il y avait la place pour des respirations afin que les spectateur·ice·s puissent reprendre leur souffle, se détendre, avant d’avoir une nouvelle séquence intense. Un peu comme dans le sexe quand on a besoin d’un verre d’eau, de manger un bout pour mieux reprendre, le spectateur a besoin de temps pour assimiler les images et voir monter le désir. C’est aussi pour cela qu’on espère la fin d’un schisme entre cinéma et pornographies.

Robyn Chien : Perso, quand je regarde du porno, ce qui me plait le plus c’est les scènes d’intro. Attention ! Je ne veux pas tomber dans l’histoire de l’escalier qui serait plus excitant que le cul. Je pense que l’équilibre entre les scènes hards et celles où l’on se demande à quelle sauce on va être mangé·e est important pour développer le fantasme chez les spectateur·ice·s. D’ailleurs au montage et à l’écriture, on cherche pas mal à faire imaginer des fausses pistes. On ne peut jamais trop prédire qui va baiser qui. [sourire]

« Si on doit mettre notre plus beau costard pour rencontrer la Ministre de la Culture, on le fera ! « Porn is Culture. » »

La team Puppy Please

Le Tag : Dans votre manifeste, vous assumez clairement la dimension mercantile de votre entreprise tout en la tournant en dérision. Mais finalement quel que soit le processus de production, ou l’industrie concernée — cinéma, danse ou porno — le nerf de la guerre c’est l’argent. À votre échelle dans quelle mesure cette dimension rentre-t-elle en compte dans le processus de création ? Est-il possible de faire du X en s’affranchissant de la dimension économique ?

Puppy Please : La majorité de la production pornographique aujourd’hui, c’est l’expression sexuelle entre particuliers, sans but lucratif à seule fin de séduction. Oui, il est donc possible de limiter la dimension économique du créateur de contenu au seul coût du matériel. En revanche, les outils par lesquels ces échanges se font ont nécessairement un modèle économique, et les plateformes font le choix d’en tirer profit, de censurer, ou bien d’organiser les expressions sexuelles.

Si on veut pouvoir produire des films, il est normal de penser à la question de l’économie du film. Il y a évidemment la préparation, le tournage, toute la post-production et ensuite la diffusion. Tout cela représente un investissement. Il est extrêmement complexe d’obtenir des financements dans les circuits classiques quand on souhaite représenter les sexualités. On a fait un business plan qui nous a prédit la faillite… que notre économie serait impossible à rendre pérenne.  Mais on a décidé de prendre le pari, afin de prouver que les petits producteurs peuvent aussi s’emparer de ces représentations. Les choses doivent évoluer, il n’y a pas de raisons que ce soient toujours les mêmes qui représentent nos sexualités, ou que ces représentations ne puissent exister. Si on doit mettre notre plus beau costard pour rencontrer la Ministre de la Culture, on le fera ! « Porn is Culture. »

Le Tag : Au cours des années 70, Godard s’est employé avec le groupe Dziga Vertov, d’obédience maoïste, à réaliser des films militants, où chaque participant de la chaîne de production, du réalisateur aux techniciens en passant par les acteurs, était rémunéré à la même hauteur. Dans votre manifeste, vous insistez sur l’importance d’accorder « une rémunération juste pour toute l’équipe » – vous inscrivez-vous aussi dans cette tradition du cinéma militant ?

Puppy Please : Nous n’avions pas connaissance de ce groupe mais c’est intéressant. On a plutôt la culture AMAP. Après oui, on a nos expériences artistiques où on voit bien que la répartition des moyens est injuste lorsque tout le monde est payé sauf l’artiste. On veut, depuis nos places de pornographes, porter un regard sur l’art puisqu’on aspire à être considérés aussi comme des acteurs culturels. C’est là que se situent nos choix militants, plus que dans les représentations en elles-mêmes.

Mais au-delà d’un héritage du cinéma militant, les travailleur·se·s de l’art ont beaucoup à apprendre des travailleur·se·s du sexe. La preuve, ils en reprennent l’appellation. Les artistes peinent à faire reconnaître leur travail et donc leur rémunération, il y a beaucoup de tabou autour de l’argent. Vouloir une rémunération juste, ça ne devrait pas être considéré comme du militantisme, mais juste une demande légitime.

Le Tag : Vous vous situez clairement entre les arts picturaux, le cinéma et la pornographie. Peut-on parler de porno alternatif pour définir l’entreprise Puppy Please ?

Puppy Please: Pas tant… Pour être tout à fait honnête, pour pouvoir contourner la censure on se définit différemment en fonction de l’espace dans lequel on veut pénétrer. On essaie comme on peut de faire les choses le plus librement possible, bien sûr on a des influences, mais on n’a pas envie d’entrer dans une catégorie en particulier, on veut être sur tous les écrans. On laisse aux personnes qui regardent le soin de le définir, si c’est nécessaire.

Le Tag : Après trois films et quelques sélections en festival, quels sont vos prochains projets pour Puppy Please ?

Puppy Please : Nous avons d’autres films sur le feu… Sinon nous préparons des événements publics car il est très frustrant pour nous de nous contenter de diffusions en ligne, on a soif de retours et de rencontres entre pornophiles. Nous allons aussi nous concentrer sur la recherche de financements pour pouvoir tourner de nouveaux films. Pour suivre nos actualités vous pouvez vous abonner à notre newsletter. Et si vous êtes directeur·ice·s d’espaces culturels ou de festivals, éventuellement mécènes n’hésitez pas à nous contacter [sourires] !

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