Edito : les montagnes russes d’OnlyFans

Quelle ride ! On pense toujours que le mois d’août est calme et paisible. La rédaction était en vacances, moi-même je préparais mes valises pour enfin partir et me reposer. Mais 2021, décidément, ne cesse de nous suprendre, et cet été OnlyFans nous a offert un ascenseur émotionnel dont on se serait bien passé·e·s.

Chapitre premier

Je vérifiais mes mails une dernière fois avant d’éteindre le téléphone, quand soudain l’annonce est tombée : OnlyFans veut dégager le contenu explicite. Mes téléphones ont buzzé dans tous les sens alors que 38 personnes pensaient me prévenir. Avais-je entendu la nouvelle ? Étais-je étonnée ? Que faire à présent ? Où déplacer le contenu ? Au lieu de répondre, j’ai fait l’autruche, je l’avoue. D’une part, j’étais un peu énervée de la surprise générale alors que je mets les gens en garde depuis plusieurs mois déjà : les partenariats avec des influenceur·se·s, sportif·ve·s et autres youtubeur·se·s ou stars internationales, la tentative de levée de fonds, les attaques incessantes des groupes lobbyistes conservateurs aux États-Unis… Autant de signes qui pointaient vers l’évidence : OnlyFans allait faire le ménage. On était en sursis.

Mais d’autre part, j’étais comme beaucoup de monde : désemparée. Voyez-vous, comme une large partie des performer·se·s évoluant dans le porno, OnlyFans constitue actuellement mon seul revenu. Une fois la gueule de bois passée, ce fût le branle-bas de combat : à peine arrivée à la Résidence Ardente, il était assez clair qu’il fallait parler du sujet entre créateur·ice·s de contenu adulte. Comme l’année dernière, nous avons réfléchi ensemble à des solutions afin de ne pas se retrouver coincé·e·s à l’avenir. Car oui, ce genre de choses va arriver de nouveau.

Pour vous résumer nos conclusions : il nous est apparu important d’être trouvable sur internet en dehors de toute plateforme : créez votre propre site internet (même s’il ne s’agit que d’une vitrine), mettez en place une newsletter, travaillez sur des sites qui sont dédiés au porno en priorité, déposez votre catalogue de vidéos sur Many Vids par exemple (ou des plateformes équivalentes, etc.) afin d’avoir une source de revenus passifs, gardez le même pseudonyme partout… Bref : diversifiez-vous, ne soyez pas dépendant·e d’une seule société qui peut ou couler ou vous virer à tout moment.

Chapitre deux

Quelques jours plus tard, alors que j’avais le GPS de mon téléphone devant les yeux et que je roulais vers la Méditerrannée, un nouveau message apparaît à l’écran : « OnlyFans fait marche arrière, ça vient de tomber à l’AFP »… Rires nerveux sur l’autoroute. Et le téléphone qui se remet à buzzer de partout. Est-ce possible qu’ils n’aient pas réalisé quel cataclysme leur annonce allait déclencher ? Était-ce fait exprès pour gratter de la pub facile ? J’ai mille pensées en tête mais la première a été : « Ils font marche arrière ok, mais pour combien de temps ?« . Car l’annonce d’OnlyFans n’est pas un cas isolé, elle est due à un travail de sape qui est lancé depuis un moment déjà et dont le premier coup a été porté contre Pornhub en décembre (à relire ici).

Ce n’est pas la première fois que ça arrive, souvenez-vous de Tumblr, de Patreon… Et actuellement, d’autres plateformes suivent le même chemin, volontairement ou non. MyM vient de se doter d’un comité d’éthique qui nous laisse perplexe. L’intention est louable, entendons-nous bien, mais était-il indispensable d’inviter une abolitionniste dans l’équipe alors qu’une grande partie des revenus et de la notorité de l’application provient du travail du sexe ? Quelle plateforme est vraiment sûre pour les performer·se·s?

On essaie de ne pas y penser, mais c’est notre quotidien. Tous les jours se poser les mêmes questions. Combien de temps encore OnlyFans va nous accepter ? Combien de temps VISA et Mastercard vont-ils nous tolérer ? Quelles autres interdictions de contenu vont-ils imposer ? Et si on va sur un autre site, est-ce qu’on va pouvoir y rester ? Dans combien de temps mon banquier va-t-il se rendre compte que je fais du porno et me fermer mon compte arbitrairement ? Quel boulot je pourrais trouver après, si ça marche pas pour moi ? Et si les gens me reconnaissent dans ce nouveau travail, est-ce que je me ferai virer ?

Quand OnlyFans te tient par les… pieds

Chapitre trois

À la rentrée, j’ai fini par ouvrir ma boîte mail et répondre aux questions des confrères journalistes sur toute l’affaire. Mais je ne sais pas quelles sont « les solutions concrètes » qu’on me demande de donner. Changer de site, peut-être oui, si c’est possible, si les fans suivent (vont-ils le faire ?), mais ça ne nous protège pas contre un autre déménagement dans six mois. Et rares sont les performeur·se·s assez bien placé·e·s dans le game pour pouvoir prendre leur indépendance de toute plateforme.

Je suis néanmoins persuadée que si OnlyFans a freiné des quatre fers, c’est grâce aux dizaines voire des centaines de travailleur·se·s du sexe qui ont pris la parole, qui ont expliqué la situation sur les réseaux sociaux, qui ont tapé aux portes des médias internationaux. On s’est exprimé·e·s, on a été écouté·e·s et il y a eu un résultat. Je ne suis pas naïve, il est certain qu’OnlyFans a eu plus peur de la fuite de chiffre d’affaires que des plaintes des acteur·ice·s porno, mais il n’en reste pas moins que nous avons gagné une petite bataille.

Malheureusement, le camp d’en face veut gagner la guerre. En effet, le lobby derrière les plaintes contre Pornhub vient de déposer plainte contre Twitter avec les mêmes « arguments ». De plus, le New York Times vient tout juste de publier un essai de Catherine MacKinnon, une figure de proue du mouvement anti-porno des années 90, où elle dénonce OnlyFans – les affreux – et leur 20% de marge qu’elle qualifie de « part du pimp« . Soupirs dans le bureau.

De notre côté, nous voici reparti·e·s pour une saison de culture porn. Au risque de sembler défaitiste (les temps sont durs ma bonne dame), elle risque d’être parmi les dernières, car nous subissons nous aussi indirectement les conséquences de la campagne anti-porno. En effet, dès décembre, après avoir été interdit d’utilisation de VISA et Mastercard suite à la fameuse affaire de l’édito du New York Times, Pornhub a stoppé son programme d’affiliation. Or c’était une de nos sources de revenus directs fiables : le traffic sur Le Bon Fap nous permettait de couvrir nos frais fixes. Mais ce n’est pas tout, OnlyFans a également décidé de couper court à leur système d’affiliation à vie (mais eux, c’est uniquement parce qu’ils trouvaient qu’on ne méritait pas autant d’argent). Malheureusement, c’était OnlyFans qui nous faisait très largement vivre ces derniers mois, et c’est donc notre deuxième source de revenus principale qui s’envole.

Qu’à cela ne tienne, on est encore là, toujours vivants, toujours debout, et au fait, non, on ne fera pas le Sextember.

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Illustration : Prune dans les cordes de Relevant Flesh (Résidence Ardente)

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