Des tokens et des subs : en 2020, le streaming est multi-plateforme

S’il est bien un media qui aura profité de la crise sanitaire, c’est celui du live adulte. L’industrie du porno ayant pris un coup dans l’aile pour d’évidentes raisons de distanciation sociale, nombre de comédiennes se sont retranchées derrière leur webcam afin de ne pas mettre leur carrière trop longtemps en pause et perdre leur fanbase. Au fur et à mesure que le phénomène prend de l’ampleur, on observe de plus en plus d’échanges entre les services de streaming tous confondus, du 18+ au monde du gaming. De fait, il devient très courant de retrouver sa camgirl préférée en live sur Twitch. Malgré des contenus évidemment incomparables, ces pratiques du streaming ne seraient-elles pas les diverses facettes d’un même exercice ?

Les petits mouchoirs

« À ma grande surprise les deux se rejoignent pas mal. En faisant les photos, j’ai découvert que beaucoup plus de personnes que je l’imaginais consommaient ce type de contenus. J’ai plusieurs membres de ma commu gaming qui se sont abonnés à mes photos mais aussi des gens qui m’ont découvert grâce aux photos qui me suivent maintenant sur Twitch. » nous explique une moneymiss et vendeuse de nudes. « Et il y a vraiment tous les types de profils, on est loin du cliché de personnes bizarres, obsédées etc. »

Si les propositions sont différentes entre les nudeuses ou les performers plus hardocre, les expériences de streaming sont proches. Un sentiment renforcé par la présence d’une partie du public commun aux deux plateformes. Hélène, du trouple parisien En Marche Noire avec ses nombreuses guests et son univers BDSM, a une vision très inclusive des différents supports : « Je veux agrandir la communauté et devenir une streameuse, que ça devienne l’une de mes principales activités. Fonctionner autant dans ces deux univers est une sacrée ambition mais on ne veut pas se priver de ce qu’on aime sous prétexte d’avoir plus de succès ailleurs. On aime le hard sur Chaturbate et on aime les soirées sur Twitch, ce sera les deux ou rien ahah. En soi, on assume tout et on ne veut rien scinder, pipe, gaming, BDSM, re-pipe, feed, débat en stream, et re-pipe, c’est la vie de rêve ! » 

Carmina [actuelle rédactrice-en-chef du magazine, ndlr], qui regrette ne plus avoir assez de temps libre à consacrer à la sexcam, nous explique qu’elle retrouve la connexion avec les viewers au travers de Twitch, une expérience assez proche selon elle : « Je me souviens que sur un ancien site de webcam j’avais fait du stream jeu vidéo et sexe en même temps. En fait il n’y a qu’un pas (pour moi) entre les deux. D’ailleurs sur Twitch je dois toujours me retenir de pas faire des trucs « déplacés » à la caméra, sinon je risque un ban. Une fois, j’avais gagné contre un boss et j’ai failli montrer mes seins en signe de victoire, par habitude. »

Cléo Deschamps, camgirl et streameuse sur Twitch où elle chronique des hebntai dans une émission dédiée au manga, partage ce sentiment : « Quand on a fixé une date sur Twitch, j’en parle toujours quand je suis en cam, à l’inverse je ne fais jamais de pub pour mes cams quand je suis sur Twitch (de toute manière rediriger vers du contenu adulte est strictement interdit sur la plateforme donc ça tombe sous le sens.) »

Car oui, les règles de Twitch interdisent la diffusion des contenus sexuels et pornographiques, obligeant les utilisateurs et utilisatrices de la plateforme à faire très attention à ce qu’ils ou elles diffusent. La difficulté de jongler entre les deux étant renforcée par ce bon vieux sexisme institutionnalisé qui pousse les services de streaming grand public à fliquer les femmes bien plus que les hommes, comme en témoignent nombre de polémiques sur les décolletés, critiqués, bannis, puis finalement de nouveau autorisés.

Chacun cherche son tchat

Prune côté cam

Dans le même temps, d’autres streameur·euse·s séparent totalement les deux activités, ne souhaitant pas que l’une prenne le pas sur l’autre : « J’ai fait en sorte qu’on ne sache pas en premier abord que je suis sex worker sur Twitter / Twitch » nous précise Prune, devant la cam depuis déjà 5 ans, « je veux pas être « la cam girl qui fait sa promotion sur Twitch » alors que je viens 100% pour m’amuser. Je pourrais gagner des clients mais ce n’est pas mon intention, sinon ça redevient un travail. »

Knivy, venue d’abord du monde du jeu vidéo, s’est parallèlement lancée dans les shows cam. « Ce n’est pas la même finalité surtout, sachant que le stream [gaming] c’est surtout un loisir alors que la sexcam c’est plus un travail, même si j’y prends du plaisir. »

Knivy

« Je ne fais aucune promo [sur Twitch] de mon contenu justement, » ajoute Knivy. « Ça peut paraître bizarre mais j’y parle de mon travail, comme sur ma chaîne Youtube, sans en faire la pub. Du coup c’est comme si n’importe qui parlait de ça, et il y a des streameurs qui font des radios libres bien plus trash… »

D’ailleurs, il est amusant de noter que ce décalage entre support et contenu peut également se retrouver sur les sites de cam. Prune nous dit par exemple y parler de Kaamelott avec ses viewers, bien loin des clichés de la simple vidéo masturbatoire. C’est bien au travers de cette convivialité que l’on peut aisément rapprocher les différentes activités. Le terme qui revient le plus régulièrement chez celles et ceux que nous avons interrogé.e.s est sans conteste « communauté » renforçant l’idée de proximité entre l’hôte et ses « invité.e.s ». Les liens créés font aussi partie du plaisir du live.

https://twitter.com/pipouprune/status/1244799636398682112
Prune côté Twitch

The sex connection

Autre aspect indissociable des services de streaming, qu’ils soient +18 ou sages, le principe de réappropriation de soi. Sur les sites dédiés aux exhib, en vidéo ou en photo, il y a une vraie démarche de maîtrise du corps et de la sexualité. En live, les règles sont strictes et quiconque déborde est immédiatement banni. Même si une camgirl peut prendre des demandes du public, elle fixe les limites (positions, jouets, langage, etc.), garde ainsi le contrôle, évitant ainsi d’être renvoyée à ce rôle de femme-objet que l’on peut retrouver dans certains aspects du porno dit mainstream. 

C’est exactement la même chose sur Twitch, les règles sont clairement définies et le manque de respect ou les injures sont immédiatement punis par la modération. Très important dans un univers où le cliché consiste à dire que seuls les hommes seraient de vrais gamers contrairement aux femmes qui seraient uniquement là pour « se montrer ».

À ce sujet, Hélène ajoute d’ailleurs : « être sur ces deux plateformes en même temps nous permet aussi de montrer qu’on peut à la fois avoir tels fantasmes, tels goûts, et être des gens tout à fait normaux et accessibles. C’est important que les gens sachent que nos fantasmes peuvent aussi être féminins et même féministes ! »

https://www.instagram.com/p/B3amVP2Cay9/

Cette notion de réappropriation s’exprime de diverses façons : « dans mon cas, je milite aussi à ma façon en me montrant naturelle sur mes photos, » nous précise cette nudeuse interviewée. « Je ne me maquille pas, je ne retouche pas mes défauts, je ne suis pas toujours 100% épilée et aussi je me permets d’avoir des tarifs plus élevé que la moyenne parce que justement je veux qu’on respecte mon travail, l’implication et le courage que cela demande. »

Si les similitudes entre les deux écosystèmes ne sont plus à démontrer, les démarches peuvent différer selon la plateforme d’origine. Celles qui commencent par la cam semblent venir chercher une évasion dans le streaming « tout public » tout en gardant cette proximité avec leur viewers alors que celles qui viennent du gaming paraissent y trouver une extension de leur pratique du live et parfois une façon de la rémunérer. Au delà des motivations de chacun·e, il en ressort le même besoin de s’exprimer sur les multiples plateformes. Deux faces d’une même pièce au service de l’entertainment, permettant en plus à certaines de reprendre le devant de la scène sans avoir de compte à rendre. Qu’elles s’exhibent, mettent leur sexualité en scène ou jouent en direct, ce qui en ressort est la notion de plaisir partagé et c’est, encore une fois, certainement ce qui définit le mieux ces pratiques du streaming.

https://twitter.com/nyo_kaze/status/1303286557969969152

Notons que les différents services ne se rejoignent pas uniquement par leur ambiance ou leur technique mais également par leur modèle économique. Twitch ne propose certes pas de système de tokens comme sur les sites de cam, mais le principe d’abonnement et de dons s’en rapproche fortement. De la même façon qu’un viewer donnant des jetons à une camgirl aura accès à un contenu spécifique, certains streameur·euse·s proposent des extras exclusifs aux abonnés ou donateurs (emotes, VOD, etc.).


Le streaming, qu’il soit 18+ ou mainstream, fonctionne plus ou moins toujours de la même façon, permettant à celleux qui le souhaitent de soutenir la personne qu’ils suivent. Un principe plutôt sain qui, même s’il passe par une entreprise tierce, à le mérite de renforcer cette sensation de connivence entre l’hôte et ses abonné·e·s.

Cléo Deschamps en camgirl

À l’heure où le cloud gaming promet le jeu partout, tout le temps, la mise en scène de notre quotidien ainsi que de notre sexualité, il y a fort à parier que cette proximité ne va faire que s’accentuer. Nous vivons une époque qui ne cesse de brandir d’affreux étendards puritains mais offre dans le même temps ce fantasme geek ultime qu’est la possibilité de passer de sa partie d’Animal Crossing à une baise débridée en public.

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