Anna Polina : « Je pensais que le porno était super punk »

Il n’est plus vraiment nécessaire de présenter Anna Polina. Travailleuse du sexe depuis près de neuf ans maintenant, ancienne égérie Dorcel et surtout grande amoureuse de son métier, la talentueuse star du X est devenue une référence sur la scène française. Un modèle pour les jeunes actrices. 

Quelle est ta définition du porno ?
Du contenu visuel à visée masturbatoire, du contenu de sexe explicite. La première chose qui définit la pornographie, c’est le côté explicite de la représentation de la sexualité. Puis le fait que ce soit vraiment fait pour exciter. Par exemple, certaines séquences dans le cinéma traditionnel ne sont pas excitantes (en théorie) même si on peut faire du sexe relativement poussé… et je me rends compte de la contradiction au moment où j’en parle ! J’avais déjà donné l’exemple de Baise-moi de Virginie Despentes. C’est un film traditionnel punk, avec des scènes de sexe explicites, mais tu ne te branles pas dessus au final. Donc je n’appellerai pas ça un porno.

Quand tu as commencé dans le porno, tu avais déjà une idée précise de ce que tu allais faire ? 
Absolument pas. En toute franchise je me suis lancée dans le porno parce que j’avais lu des bouquins et que je trouvais ça super marrant. Je me disais que c’était super punk ! Le porno avait l’air d’être quelque chose de « cool ». J’étais fan de Virginie Despentes et j’avais lu le bouquin de Coralie Trinh Thi, la co-réalisatrice de Baise-moi. Et là je me suis dis : « mais faut absolument que j’essaie !« .

Cette initiation au X s’est faite progressivement ?
En plusieurs étapes. La première fut la lecture de Coralie Trinh Thi. J’avais 19 ans, j’étais à la fac, et je me suis retrouvée au Cours Florent. La seconde année, j’ai commencé à être hôtesse en parallèle de mes cours de théâtre. Je faisais un peu de strip-tease dans des petites boîtes parisiennes. Un jour où je m’ennuyais, j’ai tapé sur internet le nom d’un réalisateur de films pornos, et il y avait juste une fiche de casting à remplir. De là, j’envoie quelques photos à la con (horribles même !) puis il m’a contacté, et j’ai fait ma première scène. Mais sans peur, sans stress. C’était génial. J’ai tout de suite accroché à cet univers. Si je pouvais revenir en arrière, je referais exactement la même chose. Dans le porno, les gens sont plus sympas, plus intéressants aussi, décomplexés par rapport au corps. Il y a comme une ambiance de colonie de vacances. J’ai accueilli ce premier tournage comme un cadeau, vraiment.

C’est un univers que tu connaissais déjà un peu ? Tu regardais déjà du porno avant ?
Pas du tout. Simplement, l’émission Paris Dernière m’avait marqué – toutes ces séquences nocturnes qui mettaient en scène des actrices X. Bien sûr j’avais regardé un petit peu de films X, mais j’étais tout sauf une grande « visionneuse ». J’aimais beaucoup la personnalité de Melissa Lauren par exemple, une jeune femme qui était en contrat chez Marc Dorcel à cette époque-là. Je l’avais écouté en interview et je m’étais dit qu’elle était trop bien cette femme. C’était un genre de Wonder Woman, classe et belle. Sa vie correspondait pour moi à un certain idéal de liberté.  

Attache-moi – Pedro Almodovar

J’ai vu que tu étais fan de Pedro Almodovar, qu’est ce que tu aimes dans son cinéma ?
Tout ! Les films d’Almodovar me réconcilient avec l’humain. J’aime ce côté espagnol, les couleurs, la musique, l’intensité, cette passion extrêmement assumée. Puis ce regard porté sur l’amour et la sexualité. Attache-moi est mon film romantique préféré, c’est le plus beau film d’amour du monde. Cette histoire est un vrai conte de fées : « Je capture une femme, je sors d’un asile, je couche avec elle une fois, et elle va tomber amoureuse« .

Tu trouves qu’il y a une proximité entre le porno et Almodovar ? Le fait d’être face à des choses dérangeantes, mais qui nous font du bien ?
Bien sûr. Je pense qu’en tant que travailleuse du sexe, on ne peut que se retrouver dans le cinéma d’Almodovar. Car on ressent un amour énorme pour les prostituées, les marginaux, les transgenres, les travestis. Je me retrouve là dedans et j’aime moi aussi les personnes « transgressives ». Il y a du relief dans ses films. Il sait capter chez l’individu ce quelque chose d’abimé et de beau à la fois. 

Tu crois qu’on pourrait un jour retrouver du porno au cinéma ?
Ah non. C’est impossible. Je pense que ça n’arrivera pas. Nous vivons dans une société ou l’on nous fait croire qu’on est « libéré » en nous vendant 50 Shades of Grey dans les supermarchés, mais à côté de ça tout est de plus en plus compliqué. Je pensais aux Valseuses récemment et à l’époque il y avait une liberté. Ça baisait sur le tournage ! Et pour 50 Shade of Grey on est quand même dans une comédie romantique ratée avec du SM pour papa et maman absolument horrible. Les gens ont l’impression de se sentir libres en regardant ça, c’est si triste. Je trouve qu’on fait tout pour que les gens soient frustrés, stagnent dans une sorte de misère sociale et sexuelle, qui contraste avec leur mise en avant sur les réseaux sociaux.

Te sens-tu inspirée par une personnalité comme Ovidie ?
En toute franchise, c’est une personne que j’apprécie. Tout d’abord parce que c’est une bonne réalisatrice de films X : elle a réalisé l’un de mes films préférés et une de mes références ultimes : Le Baiser. Ovidie explore la bisexualité d’une manière extrêmement intelligente et excitante. C’est une personne gentille et douce. Et je trouve ça bien qu’il y est une femme intelligente pour s’exprimer sur le porno. Après je trouve qu’elle manque d’amour quand elle parle des acteurs et des actrices, qu’elle rentre trop vite dans les clichés. J’ai un petit peu de mal avec ça, c’est trop sec, trop dur. Parfois elle peut enfoncer des portes ouvertes. C’est pour ça j’apprécie Ovidie, mais que j’ai plus de tendresse pour Céline Tran (Katsuni) ou Coralie Trinh Thi, de vrais modèles pour moi.  

Pourquoi être passée du nom de Lilith Marshall à celui d’Anna Polina ?
Simplement parce qu’à la base je ne pensais pas du tout faire carrière dans le X ! Lilith Marshall c’était juste une grosse blague. Lilith comme Lilith (dans La Bible) et Marshall comme Marshall Matters (Eminem). À l’époque j’avais dit à mon copain que j’allais faire du X, et il ne m’avait pas du tout prise au sérieux. Je pensais qu’en changeant complètement mon nom il allait galérer à me retrouver sur internet… mais il y est finalement parvenu bien évidemment. C’est dès l’instant où je me suis dit que je voulais faire carrière dans le X que j’ai pris « Anna Polina ». Anna c’est mon prénom, je n’aime pas les pseudonymes. Je ne supportais pas qu’on m’appelle Lilith. 

Est-ce que cela t’arrive de regarder les vidéos dans lesquelles tu as pu tourner ?
Quand j’étais plus jeune, j’en étais incapable. Déjà regarder des photos de soi c’est compliqué, car on se découvre des défauts physiques qu’on ne se connaissait pas. C’est difficile d’être confrontée à son image. C’est pour ça que pendant très longtemps, je n’ai pas pu regarder mes vidéos. Ces deux-trois dernières années je me suis mise à voir des making of de certains films dans lesquels j’ai pu tourner… pas pour m’auto-complaire de mes défauts, mais parce que ça me rappelle des périodes de ma vie. Le X représente neuf ans de ma vie. Mes amours, mes petits copains, mon évolution physique.

Tu es née en URSS. Que penses-tu de tes dix premières années en Russie et de ton choix de faire du porno en France ? Comment perçois-tu la censure du porno en Russie?
La pornographie était déjà interdite en Russie quand j’étais en contrat chez Dorcel. La Russie est une dictature, qui opprime la liberté de l’homme de la femme, donc le fait qu’ils interdisent le porno n’est pas très étonnant. Ça ne les préoccupe même pas, ils n’ont pas l’air frustrés par cette censure. Pourtant il y a énormément d’actrices X en Russie, d’escortes qui viennent de Russie, c’est une réalité. Ils regardent tous du porno, seulement pour eux ce n’est « pas bien », il ne faut pas en parler, c’est interdit.

Tu gardes une proximité avec la Russie ?
Alors oui, déjà parce qu e ma famille y vit. J’essaie de m’y rendre une fois par an. Puis via mes sites j’ai beaucoup de Russes qui me parlent, alors je suis toujours contente de faire un Insta live et de parler un petit peu en russe. Généralement mes fans russes me disent toujours des choses très agréables, j’ai jamais eu un seul hater. Je regarde également des actrices russes et il m’arrive d’en côtoyer sur des tournages.

Ce rapport aux haters justement, parviens-tu à le gérer ?
Quand je suis rentrée dans le porno je savais pas du tout que j’allais en faire mon métier. Les conséquences je les avais déjà plus ou moins mesuré en lisant Despentes – qui parlait de la difficulté d’être actrice X et de l’assumer. Mais c’est vrai qu’à l’époque il n’y avait pas encore cette facilité de la critique qui passe par le net. En revanche je me rends compte que la plupart des gens donnent beaucoup d’amour aux actrices porno, nous soutiennent, s’intéressent à nous quand on tombe malade, quand on ne va pas bien. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne se fait pas traiter de pute parfois. Forcément ça arrive. Mais au final si t’es une nana qui fait de la télé-réalité, tu te tapes les mêmes insultes au quotidien. On va t’attaquer sur ton physique, sur le fait que tu sois une femme. Cette cruauté, elle vise la femme qui s’expose en général et pas spécifiquement l’actrice X.

Il existe une solidarité entre les actrices ?
Il y en a oui. Mais il y a surtout un respect vis-à-vis des anciens. Quand je dis « ancien » c’est-à-dire pour ceux qui restent au moins deux-trois ans. Moi, ça fait déjà neuf ans. Les gens se permettent de me critiquer sur mon âge en disant que je vais arriver un jour en déambulateur ! Mais j’adore, parce qu’on se connait depuis tellement longtemps qu’il y a un respect mutuel. Dans ma vie, j’ai connu des coups durs, et les gens du X sont intervenus plein de fois. Après, entre les actrices du X, je trouve pas spécialement qu’il y ait une franche solidarité.

Si tu devais citer un de tes meilleurs tournages ?
Il y en a tellement ! Alors je dirais mon tournage à Punta Cana, avec 12 jours d’open bar et les copains, on s’était bien marré. Juste magique. Je crois même avoir baisé sur des cailloux cette semaine-là, mais ça ne m’avait pas gêné. J’ajouterai le tournage d’un Dorcel, La Bourgeoise. C’est là que j’ai rencontré ma meilleure amie, et mon copain de l’époque était cameraman sur ce film. Que demande le peuple ?

Au fond Dorcel, ça représente quoi pour toi ?  
C’est particulier. C’est bien plus qu’une relation de business. J’ai vu des gens arriver et partir là-bas. J’adore l’ambition de Dorcel, l’humanité avec laquelle ils traitent les acteurs et les actrices. Leur manière de travailler peut sembler difficile, mais est intéressante. Ce n’est pas du porno « papa, maman » comme beaucoup le disent. Il y a des scènes très fortes, carrément intenses, et d’autres moins, c’est normal. C’est une boîte dont dont on peut être fiers en France. Marc Dorcel c’est un peu la « parisienne chic » du X.

Tu tournes beaucoup de films ? Comment ça se passe au niveau de l’organisation ?
Ça dépend toujours des personnes avec qui tu bosses. Ce qu’il faut savoir c’est qu’aujourd’hui tout a changé grâce aux réseaux sociaux. Une fille peut se faire un nom en tournant pour des prods comme Brazzers, Digital, Dorcel, et ensuite faire de la cam, vendre des trucs sur Skype, faire des shows durant les salons d’érotisme, mais aussi avoir un Only Fans et vendre son propre contenu. Ce qui peut la faire tourner qu’une fois tous les deux mois, ça dépend vraiment de la manière dont elle parvient à gérer sa carrière. Puis il y a beaucoup de filles (de l’Est généralement) qui font de l’escort à côté. De mon côté, je n’ai jamais enchaîné beaucoup de tournages : la seule fois où j’ai essayé de faire dix jours de porno d’affilés, au bout de quatre je me suis retrouvée au maquillage avec les yeux qui coulaient, fatiguée, c’était trop compliqué de me maquiller, j’en avais carrément marre. Je pense que tourner à un rythme de fou pendant deux ans peut dégoûter de ce milieu et de ce métier.

Tourner est un travail, cependant parviens-tu à y trouver un plaisir sexuel ?
Oui. Pas à chaque fois évidemment. Cela dépend de plein de choses. Comme la température du plateau. Quand il fait trop froid c’est horrible, pareil quand il fait trop chaud. Mais si l’équipe est réduite et se met un peu au second plan, qu’il y a un bon feeling, tu peux prendre ton pied.

Comment as-tu vécu ton passage derrière la caméra ?
En ce qui concerne la réalité virtuelle c’était une super expérience. J’ai bossé avec Hervé Bodilis le directeur de production deMarc Dorcel. Il m’a connu alors que je n’avais que 20 ans, m’a fait signé mon contrat à l’époque, m’a encouragé dans ma carrière. Puis il m’a donné l’opportunité de choisir mon cast, d’écrire moi même ma scène, c’était presque excitant. Après la réalité virtuelle c’est extrêmement compliqué, parce qu’on peut ne tourner qu’en plans-séquences. Donc ça fatigue les acteurs, les équipes, il y a des contraintes d’espaces. Je préfère la réalisation classique.

Et la réalisation classique du coup, c’était comment ?  
Je l’ai fait deux fois seulement. Mon premier était un petit budget qui s’appelait Profession Hardeuse et c’est un peu mon bijou. Ca n’a servi à rien financièrement parlant, mais j’ai aimé les filles que j’ai dirigé, les cadreurs avec qui j’ai bossé. Je crois que c’est ce que j’ai fait de mieux de toute ma carrière. Sinon, je viens de réaliser un autre film pour Canal +, avec un budget plus gros, donc forcément plus de pression et moins de libertés, mais c’était tout de même super plaisant. J’ai essayé de faire passer mes idées féministes dedans et j’aimerais bien renouveler l’expérience.

Quels sont tes tags préférés ?
Le tag Gay ! Deux mecs ensemble ça m’excite vachement. Sinon j’aime bien le tag MILF. J’adore les prods Dorcel, Brazzers, Porn Digital. Mais j’aime bien l’amat’, car regarder des filles connues ça ne m’excite pas forcément : je sais trop comment tout ça fonctionne !

On a pu te voir dans « Vitrine« , le clip de Vald avec Damso. Tu écoutes du rap ?
Je suis une grande fan de rap. Quand j’étais plus jeune, j’écoutais beaucoup Tandem, les Psy 4 de la Rim, je suis passée par toutes les phases. Si j’ai une grande affection pour le rap, c’est aussi parce que j’ai appris le français en partie grâce à ça. Aujourd’hui j’écoute beaucoup de hip hop US, mais la nouvelle scène française de rap (Vald, Damso, Fianso) est pas mal du tout.  Mais j’écoute aussi beaucoup de variété, de rock britannique comme Doherty ou encore du classique. J’étais très contente de participer au projet Vitrine, c’est une bonne chanson avec de bons artistes derrière.

Si tu devais donner des conseils à une personne qui souhaite se lancer dans le porno ?
Je l’encouragerai. Je trouve que c’est un très bon moment pour faire du X. Je lui conseillerai dans un premier temps de réfléchir à ce qu’elle a envie de faire ou pas. Si elle est certaine de pouvoir assumer son image. Ensuite je lui conseillerai d’aller voir une grosse prod type Dorcel, de demander le prix le plus cher possible, un prix de malade que moi je ne pourrais jamais prendre. Ensuite d’être bien mise en avant, de bosser ses réseaux sociaux, de créer un contenu Only Fans, de faire de la cam… Mais aussi d’avoir un bon gynéco et un bon fiscaliste, parce que l’administratif c’est compliqué.

Tes passion en dehors de ton métier de pornstar ?
J’adore la littérature. Lire, ça guérit, ça soigne. Actuellement je lis Défense D’aimer, c’est pas fulgurant, mais ça se lit très bien. J’aime aussi les expos, le théâtre. Mais surtout boire des coups avec mes potes !

Tu as déjà expérimenté beaucoup de choses dans le porno. Il y a une performance que tu aimerais approfondir ?
Il y a des choses que je ne referai jamais. La double-pénétration anale par exemple, trop douloureuse pour le corps. J’aimerais faire plus de scènes lesbiennes, mais avec des MILF. Un BDSM avec une MILF de 50 ans ça me ferait kiffer ! À part ça je trouve que je me débrouille pas trop mal. 

Qu’est ce qu’on peut te souhaiter pour l’avenir ?
D’avoir les moyens de rester dans mon secteur d’activité. Je ne me sens pas très à l’aise quand j’en sors. Si on me dit « tu signes pour 40 ans dans le porno » alors je répondrai : OK ! Peu importe le poste à vrai dire. 

Photo en une : Anna Polina

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