Pandora / Blake : « Faire du porno ça coûte plus que ça ne rapporte »

Pandora / Blake réalise et performe dans le porno queer fétichiste depuis une dizaine d’années. Après avoir mentionné ses déboires avec la justice et les nouvelles lois restrictives au Royaume-Uni, nous sommes allés à sa rencontre pour mieux comprendre la situation là-bas, la façon dont la loi affecte les productions indépendantes et ses projets à venir en regard de ces changements.

Pandora / Blake, pourquoi avoir décidé de faire une pause sur ton projet Dreams of Spanking en juin dernier ?
Je l’ai vécu comme la fin d’une relation de six ans… Huit même, si on compte les deux ans de travail qui ont précédé son lancement. C’est une décision que je n’ai pas prise à la légère, j’y pensais depuis juin dernier après avoir gagné mon procès en appel. Quand c’est arrivé, je me suis senti-e tellement fort-e ! Je pensais pouvoir revenir au niveau d’avant sa fermeture et je me suis même dit qu’avec le battage médiatique qu’il y avait eu, j’aurais pu avoir plus de clients et développer mon affaire. Mais ce n’est pas vraiment ce qu’il s’est passé… J’avais au final moins d’abonnés puisque le site avait été fermé plus de 10 mois (d’août 2015 à juin 206, ndlr), j’avais perdu la moitié de mon trafic et les revenus qui vont avec. Sans compter qu’avec la Digital Economy Bill, j’allais sans doute au devant de nouveaux problèmes.

Je ne voulais pas prendre le risque d’investir dans le site sans être sûr-e qu’il ne serait pas de nouveau incriminé. Les personnes qui m’aidaient à le développer avaient trouvé entre temps un autre job et le site rencontrait des problèmes techniques à cause d’un changement de serveur. Bref, j’avais tous ces soucis et pas vraiment de quoi embaucher de nouvelles personnes.

J’ai fini par accepter mon sort et j’ai commencé à m’en détacher. J’avais l’impression qu’il fallait tout reprendre à zéro comme si c’était un nouveau projet et réinvestir autant de temps qu’à son lancement, quand je travaillais dessus gratuitement pendant que je payais les autres… Mais je n’avais pas envie de ça. J’avais réussi à faire prospérer mon business, alors tant qu’à tout recommencer, autant faire quelque chose de vraiment nouveau, non ?

J’attendais aussi de savoir ce qu’il allait se passer avec la Digitial Economy Act contre laquelle j’avais beaucoup milité. J’y ai passé beaucoup de temps, gratuitement. J’ai bien mon Patreon, mais ça ne me rapporte pas assez (juste une semaine de mon temps, pas plus). J’étais donc dans cette situation : Dreams of Spanking me rapportait peu, mon activisme aussi, un loyer à Londres à payer et des économies pour l’avenir à envisager. Je manquais de temps, c’était devenu une vraie corvée qui ne m’apportait plus rien au niveau créatif, ni de vraie revendication sur le plan politique. Comme j’avais encore beaucoup de contenu à éditer et à publier, je n’avais même pas besoin de tourner de nouvelles vidéos. Le site me semblait dépassé et associé au traumatisme de toute l’affaire. J’ai donc pris le temps de retrouver mon envie de créer et de renouer avec mon amour pour le porno.

Peux-tu nous rappeler les circonstances dans lesquelles ton site a été fermé ?
En 2014, une nouvelle loi a été votée au Royaume-Uni pour rendre la fessée (spanking) illégale dans le porno. Peu de sites ont été ennuyés, mais je pense qu’il y a eu une enquête sur moi car j’avais pris position publiquement contre cette loi. Quand mon site a été fermé en août, j’ai participé à des actions politiques. Puis j’ai appris que j’allais sans doute gagner en appel et que la décision serait prise d’un instant à l’autre de le réouvrir. Je devais donc tout mettre en pause pour me consacrer à le remettre en ligne, faire des communiqués de presse pour profiter de la publicité que cela m’apporterait dans les médias, alors que je m’épanouissais dans ce que je faisais politiquement depuis la fermeture. J’en ai eu marre de devoir adapter mon emploi du temps selon le bon vouloir des décisions du gouvernement me concernant. J’avais envie de choisir ce sur quoi je travaillais.

Ceci dit, je l’ai quand même fait, mais comme le succès n’a pas été au rendez-vous j’ai été très déçu-e. Finalement, j’ai décidé de laisser le site en ligne, mais sans y passer autant de temps qu’avant. La bonne nouvelle c’est qu’en prenant cette pause, cela a réveillé mon envie de travailler sur Dreams of Spanking. J’ai accepté le fait que je gagnerai moins d’argent, mais que cela satisferait mon besoin de créer. Malheureusement aujourd’hui, faire du porno, ça coûte plus que ça ne rapporte.

Et donc tu te consacres plutôt à l’activisme ?
En fait, je me consacre surtout au travail du sexe, car je voudrais écrire un livre dessus. Je dois économiser, car cela va me prendre une année – pendant laquelle je n’aurai que très peu de revenus. Le sujet de ce livre sera : la politique de nos fantasmes. C’est une non-fiction. Ce sera en partie consacré aux fantasmes kink et violents : où en sont les limites, comment être en paix avec cela, comment concilier son féminisme avec ses fantasmes de soumission… Mais aussi à la différence entre fantasme et réalité, la façon dont nos fantasmes et la vision qu’on a d’eux peuvent changer si on décide de les réaliser. Ce sera basé sur ma propre expérience ; celle d’avoir grandi avec ces fantasmes. Comment, après m’être senti-e comme un monstre, j’ai commencé à les explorer, comment faire du porno a changé ma relation avec eux… et a fait évoluer ma sexualité. L’idée c’est de montrer qu’on se respecte, qu’on est fier-e-s et libres d’explorer la part d’ombre que peuvent représenter ces fantasmes.

Pandora / Blake et Myles Jackman

Je fais beaucoup d’activisme quand même, je suis un peu devenue l’experte au Royaume-Uni sur les questions de porno, censure et vérification d’âge. Je travaille sur la nouvelle loi promulguée en avril, la Digital Economy Act, en compagnie de Myles Jackman, un avocat spécialisé dans la défense de la pornographie. La situation n’est pas aussi mauvaise qu’on le craignait, car nous avons réussi à faire passer un amendement qui concerne le contenu « bondage ».

Je suis contente d’y avoir passé autant de temps, ce n’était pas en pure perte. Cependant, la vérification d’âge et les nouvelles règles sur la vie privée sont terribles et vont être appliquées dans seulement six mois. Je suis en train de travailler de près avec le gouvernement pour les mener dans la bonne direction. En fait, la loi a été rédigée de telle sorte qu’elle peut être interprétée de plusieurs façons et l’une d’entre elles serait catastrophique. Cependant si on l’interprète de la meilleure façon, elle ne sera certes pas géniale, mais gérable. C’est pourquoi on collabore avec les régulateurs qui vont rédiger les nouveaux documents d’application de la loi pour que la situation soit la meilleure possible. Nous en profitons aussi pour leur mettre un peu la pression, pour qu’ils comprennent bien quelles sont nos préoccupations en tant que travailleurs du sexe.

En plus de tout ça, je suis souvent sollicité-e par les médias. On me demande aussi de m’exprimer sur le porno féministe et l’éthique de ces métiers, les droits des travailleurs du sexe… Mais actuellement je me consacre vraiment à la partie qui concerne les performers porno.

J’ai vu que tu prenais aussi la parole à des événements qui ont un côté plutôt éducatif ?
Oui en effet, ce sont des sortes de conférences assez interactives sur le porno féministe, la façon de le trouver et de le consommer de manière éthique. Le dernier était complet, avec un public de plus de 100 personnes. J’ai montré quelques vidéos pour que les gens se fassent une idée de ce qui existait, puis nous avons parlé de l’histoire du porno féministe, de la façon dont il était fait et ce qui le rendait féministe justement : pas par les actes représentés, mais plutôt par la diversité des corps et de genres, du consentement nécessaire en coulisses…

J’ai recommandé mes préférés : CrashPad Series, Pink Label, Bright Desire, Four Chambers, Foxhouse Films… que du bon ! J’aime beaucoup éduquer, je viens de faire une formation de conférencier et j’ai adoré ça. Je suis ravie de pouvoir aider les gens à dépasser la honte ou les complexes, se sentir bien et s’épanouir dans leur sexualité. J’aimerais aider les gens à être en paix avec le porno, les aider à trouver ce qu’ils veulent regarder…et pourquoi pas, leur apprendre comment produire leur propre porn à la maison. L’idée c’est de les aider à s’exprimer librement dans leurs relations. J’aimerais même faire du coaching plus personnel sur ces sujets.

Ton emploi du temps est chargé on dirait ?
Je suis aussi en train de produire des vidéos YouTube et des podcasts pour mettre tout le monde au courant des changements que la Digital Economy Bill va apporter. Je continue de tourner du porno fétichiste : en ce moment du #WAM « Wet and Messy » à base de tartes à la crème. Je vais parler à une société d’avocats à propos des lois britanniques autour du porno. C’est vraiment gratifiant, ça me donne l’impression qu’on légitimise notre travail de pornographes, pourtant déjà si politique quelque part. Car finalement, je suis déjà légitime, j’ai une expertise sur ces sujets, c’est ma profession et ils viennent pour m’écouter parler de cela.

Pandora / Blake, il reste la question à laquelle on n’échappe pas : c’est quoi ton porn ?
Je regarde beaucoup de « rough sex », du porno gay avec pourquoi pas un scénario de « Daddy » un peu violent, parfois de non-consentement. Bien sûr, ce n’est qu’un fantasme. Je trouve cependant que c’est plus simple de regarder des scénarios de ce genre entre deux hommes, car quand c’est une femme je suis mal à l’aise, je me demande toujours si elle est vraiment en train de faire semblant.

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