Yan Wagner : « L’énergie qu’on déploie quand on fait de la musique, c’est la libido »

Après cinq ans d’un faux silence, Yan Wagner repart avec un nouvel album. Sorti cette semaine, This Never Happened est un projet à deux têtes, une face disco-club entêtante et une autre plus calme où il avance dans ses nouveaux habits de crooner. Chroniqueur d’une tension sexy, Yan Wagner rejoint sur son nouveau label HMS Records, d’autres habitués du genre (David Shaw, DBFC, La Mverte, Mijo…) qui naviguent autour de cette douce domination qu’on apprécie particulièrement ici. Entre deux aller-retours loin de Paris, on a trouvé le temps de partager une mousse avec lui.

Pour apprécier This Never Happened, il vaut mieux se servir un verre ou être dans un club ? 
Pour le nouveau, boire un verre c’est bien. Il est un peu plus tranquille et intime ; c’est plutôt un disque de proximité. L’intimité se révèle mieux en buvant un verre avec peu de monde.

C’est quoi ton type d’ivresse ?
Il y a les bonnes et les mauvaises. Les bonnes sont raisonnables et contrôlées ; celles quand on est bien accompagné. Et les mauvaises quand on oublie avec qui on est. Elles ont aussi un côté agréable car finalement on oublie plein de choses. L’oubli dans la vie, c’est important.

Tu te contiens ou tu vas jusqu’au bout ?
J’ai tendance à aller jusqu’au bout du bout. Je trouve que l’alcool est un sujet intéressant car c’est de plus en plus dur d’en dire du bien. Mettre une bouteille de vin dans un clip, ce n’est plus possible… Et pourtant, ça peut-être un compagnon agréable. Puis il y a tout une mythologie et un récit autour de l’alcool qui sont dingues. J’aimerais beaucoup écrire une chanson à boire un jour, mais la rénover. Retrouver ce truc un peu orgiaque qui va avec.

Est-ce qu’en mûrissant, tu vas pencher vers un style complètement crooner ?
C’était un peu l’idée sur celui là. On me l’a soufflée à la réception du premier. La figure du crooner me fascine un peu. Je la trouve à la fois ringarde et très très belle. Ce sont des gens qui mentent complètement sur leur masculinité, qui ont un problème avec ça et essayent de le montrer à tout prix. Je pense à Dean Martin ou à Sinatra qui en font des caisses mais c’est très touchant. Y’a un truc très genré qui est un peu ridicule ; une sorte de concours du muscle. Donc pourquoi ne pas aller à fond là-dedans ? C’est vraiment une question que je me pose.

Une bonne partie de tes morceaux sont tendus et sexuels. Qu’est-ce que tu as en tête quand tu composes ?
Parfois je cours après quelque chose, parce que je suis tout le temps en train de noter des thèmes ou des idées de son. J’essaye de les attraper, que cette idée devienne concrète. Je ne sais pas vraiment à quoi je pense, y’a pas vraiment de sentiment, c’est plus de la sensation et du tâtonnement. Pour la partie sexuelle de la chose, la plupart du temps c’est une énergie. L’énergie qu’on déploie quand on fait de la musique, c’est la libido. Quand tu as bien travaillé, déversé et exprimé plein de chose de toi dans un morceau, tu n’as plus envie. Il faut pas trop tout le temps réussir à faire ça, sinon on ne baise plus.

On retrouve le même moteur derrière l’excitation et la composition ?
Y’a un peu les mêmes stades. Quand on découvre quelqu’un qui nous attire, il y a cette excitation là. On a envie de creuser, de découvrir un peu plus. Quand c’est fini il y a aussi un blues. Terminer un morceau c’est toujours difficile. Quand on finit un disque avec quelqu’un, c’est terrible. L’énergie sexuelle c’est vraiment ce qui te pousse à faire ça. Quand on monte sur scène, si on ne cherche pas ce truc un peu excitant, ce n’est pas trop la peine de le faire.

Est-ce que ta musique sert à séduire ?
J’espère. Si ça sert à séduire comme un outil c’est super bien. Si des histoires se font sur ma musique, c’est génial. Après que les gens baisent sur ma musique j’apprécie pas trop parce qu’ils ne l’écoutent pas. J’ai jamais compris le principe de musique qui accompagne, je me rappelle jamais quel disque tourne, en général je préfère éteindre la musique, un peu comme quand tu parles avec quelqu’un et que tu as une discussion assez intense. Si la musique ne sert à rien, il vaut mieux l’arrêter et la respecter.

En étant dans la retenue, prends-tu une position de voyeur ?
Bizarrement je suis en train de changer là-dessus. J’apprécie beaucoup la figure du chanteur très stoïque, c’est quelque chose que j’essayais de faire avant. Plus ça va, plus j’essaye d’être acteur. Mais c’est un voyeur qui n’est pas caché, c’est un exhib’ hypocrite.

Si tu devais définir ta musique en tag ça serait quoi ?
#nattendsrien parce qu’à chaque fois que j’y retourne j’ai envie que ce soit différent. J’ai beaucoup de mal avec la figure du fan qui exige quelque chose de son idole (même si c’est quelque chose que je n’ai pas vécu). On le voit encore plus avec Internet, y’a ce truc d’exigence comme si un artiste leur appartenait et qu’il leur fournissait un service. Certains voient la musique comme ça, mais ce ne sont pas des artistes. Le fait d’exiger ça de quelqu’un qu’on aime, qu’on adore, je trouve ça incroyable. Pour un croyant, Dieu ne déçoit jamais, donc si t’es fan, autant être fan jusqu’au bout. Il faut rien attendre du tout, juste accepter et si tu n’y crois plus, tu te barres.

Finalement t’es plus dans la domination ?
(rires) A fond ! J’oblige personne à m’écouter. Je ne vois pas pourquoi je ferai la moindre concession même si on est toujours obligé d’en faire un peu. 

Cette retenue, ce son, on le retrouve aussi chez d’autres artistes du label HMS Records. Passer chez eux s’est imposé comme une évidence ?
Oui, c’était une évidence. J’aurais bien aimé m’en rendre compte un petit peu avant au lieu de perdre du temps. Je suis très content d’être avec eux.

David Shaw participe à l’album ?
Non.

Pourtant y’a des titres, on pourrait penser qu’il est derrière.
Pas du tout mais je sens une parenté entre ce qu’on fait. Je l’ai réalisé tout seul, c’est aussi pour ça que c’est un disque intime.

On t’interroge souvent sur tes influences cold wave, synth pop et cie. Ce qui m’intéresse c’est plus tes influences disco, si tu peux me citer quelques morceaux un peu fondateurs pour toi.
Le disco que j’aime c’est celui qui est justement un peu retenu. Celui avec des violons et des cuivres, y’a des trucs super, mais ça ne me branche pas. Comme ça je pense à Sexual Harassment – I need a freak. C’est du disco qui est déjà un peu de l’electro funk. J’aime beaucoup ce qu’on appelle le funk blanc, James Chance et tout ça. Des trucs plus américain, post-disco. J’étais également P.Funk à fond. Tout ce que faisait George Clinton et Bootsy Collins, c’est pas vraiment disco. Ils détestaient ça. Ils prônaient le disco comme une perversion de son message. Avec le recul on voit ça comme un truc tout à fait parent. Donna Summer – I Feel Love sinon, c’est imbattable. C’est hyper sexy et généreux tout en étant martial.

T’écoutes quoi en ce moment ?
Beaucoup de Nick Cave que je redécouvre disque par disque, période Bad Seeds. J’aime beaucoup les récents : Push the Sky Away, le dernier est vraiment difficile mais je l’aime bien. Je suis moins fan de The Birthday Party. Et beaucoup de Dead Can Dance. Rien de très funky en ce moment…

Tu pars sur quoi après l’album ?
Je vais faire la prod pour d’autres gens. J’ai fait celle de Calypso Valois qui sort en octobre ; c’est très différent de ce que je fais et c’est super. En fait je suis vraiment sur les live, on commence en septembre avec quelques dates par mois dont la Boule Noire le 10 octobre. Je suis vraiment concentré là dessus pour que ce soit vraiment bien.

Photo en une © Diane Wagner

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