AB 1576 : la Californie imposera-t-elle bientôt la capote sur les tournages ?

Pour le port obligatoire de la capote dans le porno américain, il y avait la Mesure B au niveau du comté de Los Angeles, il y a désormais la proposition de loi AB 1576 au niveau de l’État de Californie. Cette dernière passe les étapes décisives de la démocratie américaine qui est plutôt difficile à suivre. En ce moment, la loi qui astreindra tout le monde à tourner avec capote dans l’État est discutée et votée devant diverses commissions avant de se voir promulguée. En septembre dernier, l’AB 640 avait poursuivi le même but, mais s’était vue rejetée.

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Les forces en présence

Deux forces sont en présence. D’un côté, ceux qui sont pour l’obligation de protection, il y a Isadore Hall, l’élu démocrate de Californie qui porte le projet de loi, et la AIDS Healthcare Foundation (AHF), des lobbyistes forcenés et bien entraînés avec à leur tête Michael Weinstein. De l’autre, il y a l’industrie du X, producteurs, acteurs, réalisateurs et les associations qui les représentent : la Free Speech Coalition (FSC) et l’APAC qui regroupe spécifiquement les actrices et acteurs. Ceux-là sont contre la loi.

Le 29 avril, tout ce beau monde s’est retrouvé à Sacramento, dans la salle d’audience du comité de l’Assemblée californienne des arts, divertissements, sports, tourisme et médias internet. Des débats ont eu lieu pendant 45 minutes et, à la fin, le comité de 7 élus a voté avec quatre voix pour la proposition de loi AB 1576, une contre et une abstention (deux élus étaient absents, mais un a voté par procuration).

Aux côtés de Isadore Hall, se trouvaient Rand Martin, représentant de l’AHF ainsi que les tristement célèbres Cameron Bay et Rod Daily, acteurs contaminés par le VIH en août 2013. Ces personnes ont parlé en faveur de la loi.

L’industrie du X avait dépêché des membres imposants autour de Marc Randazza, leur avocat. Parmi les figures connues, étaient présentes Kayden Kross, Maîtresse Madeline, Bella Rossi, Lorelei Lee, Mickey Mod, ainsi que Peter Acworth, patron de Kink, Michael Chate de chez Mindgeek et le boss de Treasure Island Matt Mason. Sans oublier Diane Duke de la FSC. La coalition du porn contre le projet de loi étonne et prouve l’implication du milieu quand on voit un représentant du géant Mindgeek main dans la main avec Acworth l’irréprochable producteur. On pourrait appeler ça la « trêve des capotes » entre les tubes et les studios.

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Les arguments en présence

Niveau argument, Isadore Hall et les pro-capotes envoient du lourd. Avec le témoignage de Cameron Bay, dur de ne pas se dire que le système de dépistage mensuel était un peu bancale.

« J’aimerais préciser que les tests de l’industrie n’ont pas signalé mon VIH ; je l’ai signalé », avertit Bay. Par un concours de circonstances, à la suite d’une blessure sur un tournage, Cameron s’est fait tester et c’est ainsi qu’on lui a annoncé son infection. « J’avais encore une semaine entière avant de refaire un test, j’étais considéré comme apte à travailler dans le système PASS. »

Hall en rajoute avec de grandes phrases : « Depuis trop longtemps, l’industrie a prospéré sur un modèle qui exploite ses employés et fait passer le profit devant la sécurité au travail. » Il n’oublie pas, non plus, de mentionner que les deux tiers des votants de Los Angeles se sont exprimés en faveur du port obligatoire lors de l’adoption de la Mesure B. Il ruse aussi en comparant le rejet des pornographes à celui des autres secteurs qui ont dû adopter des mesures de sécurité par décret, comme les cigarettiers pour les avertissements sur les paquets ou les restaurateurs face à l’interdiction de fumer à l’intérieur.

La raison principale motivant la loi pour ses défenseurs reste la protection des employés du porno, on imposerait le port du préservatif comme le port du casque est nécessaire sur les chantiers. Mais l’industrie du X a ses propres arguments.

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Le porno californien se gère tout seul depuis des lustres, il s’encadre avec des structures comme la FSC et a mis en place le système PASS pour protéger ses employés, qu’il a immédiatement modifié quand l’affaire Bay/Daily a révélé une brèche dangereuse. Désormais les tests se font tous les 14 jours.

Les poids lourds du secteur menacent de s’expatrier au Nevada, comme Wood Rocket qui s’y est déjà installé. Hall rétorque que filmer du porno sans capote est déjà illégal là-bas, mais les avis divergent. Randazza, l’avocat du porno, dit le contraire. La baisse du nombre de permis de filmer dans le comté de Los Angeles, après la Mesure B, prouve que les productions trouvent des solutions alternatives pour continuer à tourner sans capote. Le comté aurait perdu en 2013 un demi-million de dollars, sans compter les entreprises de services qui travaillent pour l’industrie et perdent des contrats. Randazza sort le chiffre de 8 milliards de chiffres d’affaires qui pourrait s’envoler de la côte Pacifique vers le désert du Nevada.

Au-delà des discussions sur l’illégalité des tournages, des menaces de déménagement, des questions sur les incohérences de la loi (comme la protection pour le sexe oral qui n’est pas prévue), il est une question majeure, celle du droit des performeurs à disposer de leur corps. Kayden Kross est intervenue devant le comité pour présenter une pétition de 259 signatures d’actrices et d’acteurs contre l’AB 1576, ce qui représenterait environ 25 % de la profession. Encore un signe fort d’implication du milieu sur cette loi. Mais Kayden a surtout souligné le danger d’une utilisation inadéquate du préservatif. N’étant pas prévue pour l’usage professionnel, la capote irrite les parties internes créant des lésions favorisant les infections et rendant le travail pénible et douloureux pour certaines actrices.

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Voilà le nœud du problème, la liberté est au centre du débat. Le porno ne veut pas se voir imposer quoi que ce soit. Il souhaite avoir le choix et les actrices qui s’expriment désirent pouvoir tourner avec ou sans protection, afin de pratiquer leur métier confortablement.

AB 1576 passera devant un autre comité prochainement, mais la date n’est pas encore annoncée. Nous verrons si la liberté, si chère aux États-Unis, sera un argument suffisant pour contrer la volonté de l’AHF de faire passer sa loi. Kink a mis les moyens et avec ses divers sites, la lutte s’organise. Sur BehindKink et Kinky.com, des vidéos et des articles promeuvent la résistance contre la loi. On trouve même une lettre-type à envoyer aux membres du Congrès californien. Lorelei Lee rend compte de la session du 29 avril, dont on trouve aussi des extraits vidéos. En faveur de la loi, le mouvement FAIR s’organise également. Il a même un compte Twitter certifié.

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