Comment la « génération Youporn » regarde-t-elle son porno ?

Haro sur le porno ! Le nouveau bouc-emissaire des maux de notre société s’invite dans le débat public à la faveur d’un récent combat de Laurence Rossignol, actuelle Ministre des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Ses mots sont particulièrement durs : « Il faut lutter contre l’accès des jeunes, des mineurs à l’image pornographique qui est avilissante pour l’amour, l’égalité femmes-hommes et la représentation qu’on a de ce qu’est la sexualité ». Mais cohérents avec ses positions abolitionnistes (« Nous voulons l’extinction de la prostitution« ) et contre le sexisme (« La pornographie est une violence faite aux femmes« ). Toutefois, elle admet ne pas avoir encore les armes pour combattre l’industrie et regrette même que la liberté d’expression puisse servir « à tout, et aussi à défendre la pornographie et l’accès à la pornographie sur le net« .

Dans son esprit, le porno est unifié, globalisé, dégradant, violent, avilissant et la réponse est simple : interdire son accès coûte que coûte aux mineurs (et peu importent les conséquences sur les autres).

Dans le cadre des actions annoncées par la ministre dans son plan national des violences faites aux enfants, une étude a été commandée par l’association OPEN (Observatoire de la Parentalité et de l’Éducation Numérique) à l’Ifop, dont les résultats sont diffusés aujourd’hui. Réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 21 au 27 février 2017 auprès d’un échantillon de 1 005 personnes, représentatif de la population âgée de 15 à 17 ans, elle s’interroge sur « la consommation de pornographie chez les adolescents et son influence sur leurs comportements sexuels » et se demande si on se dirige vers une « Génération Youporn ».

Cette enquête ne tombe pas par hasard, car demain matin deux groupes de réflexion représentant « tous les acteurs économiques, associatifs et institutionnels impliqués » ont rendez-vous pour réfléchir au sujet des violences faites aux enfants. A l’issue de cette journée, l’association OPEN et la DGCS (Direction générale de la cohésion sociale) poursuivront ces réflexions avec un groupe de travail pour l’inscrire dans le temps.

La génération Youporn, c’est eux, c’est aussi nous

Ça ne vous surprendra pas, les jeunes regardent du porno sur Internet. A mesure de l’arrivée d’Internet dans les foyers, de la généralisation du haut débit et des smartphones, les jeunes se sont tournés massivement vers le Net pour en regarder. 63% des hommes et de 37% des femmes interrogés ont par exemple déjà vu du porno sur Internet en 2017. Cette consommation se fait quasi-exclusivement sur des sites gratuits (97% surfent sur des sites porno gratuit, contre 78% pour le reste de la population), même s’il est important de rappeler qu’il est impossible de posséder une carte de paiement en France avant 16 ans.

A l’inverse, la télévision qui était l’ancien vecteur de pornographie chute de manière spectaculaire : en 2003, 70% des adolescents avaient vu un film X à la télévision au cours des 12 derniers mois. En 2017, ce pourcentage descend à 16%. Le support privilégié sur Internet reste le smartphone qui arrive en tête devant l’ordinateur portable et celui de bureau – discrétion oblige.

Leur première fois devant du contenu interdit aux mineurs se situe autour de 14,5 ans (en baisse de 0,3-0,4 points depuis 2013). Leur fréquence de visionnage n’est pas très intense : 36% des hommes interrogés disent en voir une fois par mois, contre 21% des femmes. Et les adolescents de plus de 15 ans qui en regardent plus d’une fois par jour ou presque sont seulement 4% (2% pour les femmes). Quand on les questionne sur la légalité du contenu qu’ils voient : ils sont 53% des hommes à trouver qu’ils étaient trop jeunes, 59% pour les femmes.

Quelle est l’influence du porno sur les jeunes ?

La question principale qui anime cette étude porte sur l’impact de la consommation pornographique des mineurs de plus de 15 ans. On apprend que le porn a eu pour 12% des hommes et 18% des femmes une influence négative sur leur vie sexuelle. Cette donnée qui ne manquera pas d’être commentée nous laisse sur notre faim et on touche malheureusement la limite des enquêtes quantitatives : impossible de savoir précisément à quel niveau le porno a eu un mauvais impact sur leur vie sexuelle. En regardant autrement ces chiffres, on peut aussi constater que le porn n’a finalement pas d’influence négative pour 88% des hommes et 82% des femmes interrogés. Est-ce suffisant pour dire que le porno n’a pas d’impact négatif, car il est neutre ou positif pour la très grande majorité des interrogés ?

Il est assez logique de relier influence et éducation. Pour 48 % des hommes interrogés, le porno a participé à l’apprentissage de leur sexualité (mais seulement 10% admettent qu’il a participé pour « beaucoup ») et 37% pour les femmes (seulement 3% répondent « beaucoup »). Cette influence est particulièrement forte chez les minorités sexuelles et religieuses (73% des musulmans). Sur-représentation qui se retrouve également dans la reproduction de scènes ou de pratiques vues dans leur vie sexuelle chez les ados homosexuels. Ils sont 60% (presque trois fois plus que les autres) à avoir reproduit des actes vus à l’écran. Cette différence statistique mériterait également d’être approfondie. Est-ce que le porno est bénéfique pour les minorités sexuelles dans leur apprentissage au sein d’une société qui les stigmatise et où le dialogue avec les parents peut s’avérer particulièrement difficile ?

D’autres données méritent votre attention dans cette étude, on vous laisse les regarder en détail (et prendre les pincettes qu’il faut face à ce genre d’études). Maintenant passons au cœur du problème.

Quelles solutions aux problèmes des jeunes d’aujourd’hui ?

Sommes-nous face à une génération Youporn ? Oui, les jeunes regardent du porno sur Internet et principalement sur les tubes : gratuits, mobile-friendly et accessibles. On pourrait s’interroger sur l’absence de disclaimer à l’entrée de ces sites, mais ce dispositif n’a jamais empêché personne d’en regarder. Le porno sur Internet a bientôt 20 ans et est aussi vieux que le sont nos historiques. Ceux qui avaient l’ADSL au début des années 2000 ne se privaient pas pour cliquer sur « Oui, je suis majeur », c’est donc un faux problème.

Par contre, l’influence du porno chez les jeunes pose de vraies questions. Nous avons essayé d’y répondre avec cet article de Ludivine qui remet dans son contexte social la création de contenu pornographique. Qu’en sera-t-il des des groupes de travail demain et de l’association OPEN ?

A ce sujet, nous avons eu Thomas Rohmer, président de OPEN et expert au Haut Conseil de la Famille de l’Enfance et de l’Âge (HCFEA), au téléphone. Il se défend d’être contre le porno et ne souhaite surtout pas tendre vers un modèle à l’anglaise pour lutter contre l’accès du porno aux mineurs. Nous sommes d’ailleurs d’accord sur beaucoup de choses. Par contre, qu’en sera-t-il de Laurence Rossignol ? La protection de l’enfance est un moyen particulièrement habile pour lutter contre l’industrie pornographique, c’est d’ailleurs la méthode employée par David Cameron pour convaincre l’opinion publique avec un certain succès, car personne ne se lève pour défendre le porno si on l’accuse de mettre nos enfants en danger.

Autre souci : cette étude est intéressante et a le mérite d’apporter des données concrètes sur la consommation du porno chez les mineurs, mais elle peut également servir d’arme pour défendre des intérêts personnels. On pense notamment aux principaux producteurs français qui ont toujours eu une attitude hostile vis-à-vis des tubes (à juste titre quand il s’agit de lutter contre le piratage de leur contenu, moins quand c’est juste un simple problème de concurrence).

« Il faudra contraindre et fermer l’accès à des sites Internet à des gamins »

La méthode la plus simple défendue par notre ministre et par le gouvernement anglais pour interdire l’accès de ces sites aux mineurs serait d’entrer un numéro de carte bleue afin de vérifier l’âge des visiteurs. Si cette technique paraît difficile à mettre en place, elle arrangerait cependant bien des gens : elle mettrait un frein net au porno gratuit (vers lesquels les mineurs se tournent en priorité), renforcerait le positionnement des producteurs français (qui luttent contre les tubes) et conforterait Ovidie dans sa lutte contre « l’ubérisation du porno », ce « business de geeks et d’experts en montages financiers ».

Que deviendraient alors les pornographies disponibles et les représentations des minorités sur ces sites ? Des sites gratuits dont le seul but est le partage (sans forcément en tirer profit) ? De la webcam porno dont le modèle freemium est en pleine expansion ? Du porno indépendant qui se sert des tubes porno pour développer une pornographie différente ? Des amateurs qui postent du contenu sur les différentes plateformes à leur disposition ? Nous avons peur au Tag Parfait que la lutte légitime contre la violence faite aux enfants et aux femmes ne serve de caution pour imposer une vision moins libre de la société et finalement défendre d’autres intérêts économiques avec un cynisme redoutable.

Il est utile de répéter que la réponse à l’influence (négative ou positive) du porno sur les jeunes s’appelle l’éducation (qu’elle soit celle des parents ou celle à l’école dans le cadre des cours d’éducation sexuelle) ou bien le contrôle parental, mais pas l’excès de contrôle de la pornographie en ligne.

Cependant, malgré les nuages sombres qui s’approchent de la France, le contexte électoral change la donne. Dans trois semaines, Laurence Rossignol ne sera plus au gouvernement. Et on espère que le groupe de travail monté par l’association OPEN poursuivra ses réflexions et aura l’intelligence de considérer la pornographie en ligne dans son ensemble : c’est-à-dire la diversité des contenus qu’elle propose et des clients ou consommateurs qui la regardent.

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