Fishbach : « Le côté asexué m’intéresse, pas androgyne »

Fishbach sort aujourd’hui A ta merci, premier album accrocheur aux chansons incantatoires qui empruntent aux sonorités 80s sans tomber dans une quelconque nostalgie du passé. Malgré un timbre sensuel qui oscille délicieusement entre deux eaux, ses morceaux chantés en français ne font apparaître aucune voie érotique ou transgressive sur lequel l’auditeur pourrait s’engager. Dès lors, on pourrait s’interroger sur sa présence par ici ? Mais l’exercice de l’interview révèle parfois de nouvelles pistes, de nouvelles lectures, comme celles de la question androgyne et de l’asexualité. Qui l’eut cru ? 

Que fais-tu de tes nuits ?
Je ne dors pas. Je suis avec mon ami l’ordinateur et bien souvent ce sont des moments de création. La nuit, c’est un peu le seul moment où j’ai un vrai sentiment de solitude et de microcosme. J’aime beaucoup les gens et le rapport à l’autre mais la solitude c’est assez important pour créer. La nuit tu ne vois pas le temps qu’il fait, c’est à toi de décider de ta météo intérieure et extérieure. J’aime beaucoup aussi ce sentiment du jour qui se lève et moi qui vais me coucher. Les oiseaux qui chantent le matin, c’est un peu mon glas.

Tu dis chasser tes démons à travers la musique, lesquels ?
La chanson c’est comme des messages que j’aurai pas pu envoyer et la culpabilité que je peux avoir sur certaines choses, je la déverse dans la musique. J’avoue plein de choses que je n’oserais pas avouer en tant que femme. La musique permet de donner un filtre, un masque et déballer ses sentiments en les assumant. Même si dans l’album y’a trois morceaux qui parlent de soumission amoureuse totale, je ne suis pas une femme soumise mais j’ai pu l’être et je l’assume complètement à travers ces morceaux. Ça me fait du bien.

C’est là qu’on retrouve le côté incantatoire de ta musique ?
Je suis beaucoup influencée par le fantastique ou le surréalisme, c’est-à dire notre monde avec des touches de folie et de choses qui ne sont pas logiques, réelles, imaginables. Dans Invisible désintégration de l’univers, qui est mon morceau préféré de l’album, je me place comme gourou d’une secte qui n’existe pas – c’est incantatoire. C’est aussi un peu une incantation quand t’es seule dans ta chambre et que tu vas chercher des mélodies.

On te rabâche beaucoup sur les années 80, ça ne te saoule pas un peu ?
Ça ne me saoule pas mais je pense aussi qu’il n’y a pas que ça. J’ai pas voulu  chercher à repérer des choses des années 80 même si j’utilise des synthés et des sonorités numériques qui sont apparues dans ces années-là et que j’adore l’audace de cette époque. Les gens ont besoin de références, c’est normal. Ça ne me dérange pas mais il faudra en sortir. J’ai pas l’intention de réchauffer quoi que ce soit.

Je te vois plus des parallèles avec des groupes de ton label Entreprise comme Bagarre qu’avec Catherine Ringer, pour le coup.
Ça fait plaisir, ils ont quelque chose de très moderne. Pour revenir aux 80s, on est toujours fasciné par une époque qu’on n’a pas connue, celle juste avant la nôtre. Y’a un fantasme sur la génération des grands frères ou des cousins plus âgés.

Tu te situes comment sur la scène française à côté de groupes comme Bagarre ou Grand Blanc justement ?
Je suis assez heureuse car on ne fait pas du tout la même musique mais ces gens m’influencent beaucoup. J’adore ce qu’ils font. On peut avoir parfois des publics qui se ressemblent, c’est assez étonnant. Je suis assez heureuse de participer à ce grand truc où ça chante en français de manière un peu improbable.

As-tu des perversions ?
Non ou alors je n’ai pas osé me l’avouer. J’ai pas osé m’avouer les premiers émois érotiques et sensuels quand je voyais Mylène Farmer par exemple. Ça me dégoutait. Quand y’avait des scènes de bisous ou de sexe à la télé, mes parents me cachaient les yeux. Du coup, j’ai pas tout de suite pu assumer ces choses qui se passaient dans le bas de mon ventre. Avec la musique, je peux. Tous les vices et toutes les petites choses que je peux avoir au fond de moi peuvent se déverser dedans. C’est pour ça que je me sens beaucoup plus saine dans ma vie car toutes les choses horribles passent à travers la musique. Mortel, c’était une chanson qui parlait de sexe à la base, elle a totalement changé de propos depuis que les gens se sont ré-approprié les paroles à cause des attentats [dans le refrain Flora chante « Jamais rien vu d’aussi mortel que ces tirs au hasard », ndlr] et ils ont trouvé un autre sens et moi aussi. Faut aller relire les paroles et comprendre pourquoi.

Tu peux me parler de ta relation d’amour/répulsion pour Mylène Farmer ?
J’avais une nourrice qui était super droite, une femme classe… Mais elle écoutait Mylène Farmer et y’avait un truc qui n’allait pas dans ma tête. Pourquoi ma nourrice qui est une femme admirable chantait à tue-tête en voiture “Je suis une libertine, je suis une catin” ?

Tu comprenais la charge sexuelle de sa musique ?
Un peu. Je savais que c’était pas normal et qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas et qui était dérangeant.

Tu fais souvent référence à des hommes dans tes textes, mais tu les attends ou ils semblent loin. Il y a rarement de contact. Pourquoi cette distance ?
C’est la distance que j’ai mis inconsciemment… C’est pas plus mal parce qu’il y a un garçon qui a pas mal influencé ces chansons d’amour. A la fois maintenant ça ne se vaut plus parce que ce n’est plus lui. C’est un peu dégueulasse mais je peux transposer ces chansons là à d’autres. Il faut un détachement mais pas trop pour que chacun puisse s’y reconnaitre et que ce soit le plus large possible.

Est-ce que tu cultives ce paradoxe entre ton univers qui peut paraître froid au premier abord et le timbre de ta voix, séduisant et sensuel ?
J’aime beaucoup les paradoxes et les dissonances. J’aime aborder un sujet très triste sur une chanson très dansante ou à l’inverse aller sur quelque chose d’extrêmement lourd sur la musique mais avec un sujet léger. Des fois on peut accorder d’importance à des choses futiles et des fois on peut aussi sublimer le tragique et se jouer de ses malheurs.

Comment accueilles-tu la façon dont on a de te définir par ton coté androgyne ?
Sur le premier EP y’avait un morceau, Tu vas vibrer, où j’avais une grosse voix. Sur cet album je suis allée beaucoup plus en l’air, plus envolée, solaire, moins androgyne. C’est pas androgyne qui m’intéresse, c’est le côté asexué qui m’intéresse. J’aime beaucoup l’époque dans laquelle on vit, où on remet en question ce qu’est être un femme ou un homme. J’aime les gens parce que j’aime la personne au-delà de son sexe. Il m’arrive très souvent d’imaginer quel garçon aurait pu être cette femme, ou quelle femme t’aurais pu être si tu avais eu le même physique. Je me considère comme un individu, ma féminité je la trouve et je me trouve parfois une virilité. J’en n’ai pas honte. Avant j’étais un petit garçon manqué et c’est horrible comme mot, ça ne devrait plus exister ça.

La société te dit que si t’es un garçon manqué, tu es un bâtard en fait.
Exactement et c’est terrible. Il a fallu que je devienne fille pour les garçon veuillent sortir avec moi. Maintenant je peux assumer complètement ce truc là, ma musique m’aide aussi et c’est assez génial.

Tu te reconnais dans d’autre artistes comme ça ?
J’aime beaucoup Bowie pour ça aussi. Je trouve ça fascinant chacun des personnages qu’il a créé. Je pense qu’on a plusieurs vies dans une vie. Je ne suis pas la Flora que j’étais quand j’avais 8 ans, elle est morte. Ce que je pensais hier, je le pense plus aujourd’hui. Les gens changent. C’est un peu mon modèle pour ça.

Il a aussi un côté asexué.
Complètement. Androgyne c’est assumer une sexualité qui ne sait pas se placer. Asexuel c’est la foutre de côté.

Comment tu vois évoluer ta musique dans les prochaines années ?
Je la vois muter. Si j’ai toujours envie d’utiliser des synthés numériques,  je le ferai. Là par exemple je suis dans une phase glam-rock. J’ai aussi envie de découvrir pas mal d’autres musiques du monde. Je suis une éponge totale. J’espère voyager, explorer et rencontrer plein de gens et éponger le maximum de belles choses que je vais rencontrer. Je peux rien prédire.

On n’a pas du tout abordé de choses sexuelles en fait ?

Comme il n’y a pas à mon sens de choses qui laissent dans ta musique transparaître une matière sexuelle sur laquelle me raccrocher, je n’allais pas forcer ça. Et je respecte ce choix d’artiste de ne pas s’exposer.
Après j’aime ce rapport au corps et la sensualité. Je me rappelle une des premières maquettes que je faisais, un ami musicien m’avait dit que mes instrus sonnaient comme la BO d’un film érotique des années 80. Ça m’avait fait rire. Mais érotique, pas porno, ce que j’avais trouvé d’une certaine élégance à l’époque.

Ton rapport au corps tu l’as peut-être plus à travers la scène ?
C’est plus ça. Je demande aussi à mes musiciens quand ils ne savent pas quoi faire de rester extrêmement stoïques et de mettre en avant leur corps. Moi je bouge énormément mais je ne chorégraphie pas, j’ai pas envie d’être belle. J’ai envie que ce soit visuel et qu’il y ait un vrai questionnement au corps. J’aime beaucoup ces femmes qui sont dans des positions qui ne les mettent pas forcément en valeur, avec les seins qui tombent, comme elles sont naturellement. C’est une certaine forme d’esthétique du corps pour moi mais c’est pas dans un but de séduction.

L’album de Fishbach A ta merci est sorti aujourd’hui. Elle sera en concert à la Cigale à Paris le 14 mars 2017. Crédit photo : © Yann Morisson 

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