Retour sur Explicit, le festival des expressions plurielles du sexuel

Pour la deuxième année consécutive, le festival Explicit a pris ses quartiers au Domaine de Grammont juste à l’extérieur de Montpellier. Bien entendu, le Tag se devait d’être présent à un rassemblement pensé pour mettre en avant « les expressions plurielles du sexuel ». Le programme est alléchant : spectacles vivants autour du corps, projections de documentaires et de courts métrages pornos, concerts et, surtout, des invités prestigieux… Retour sur une semaine riche en découvertes.

La voiture m’a déposée au milieu d’un parc arboré, j’ai croisé des chevaux, des sportifs en train de s’entraîner, mais à part eux pas âme qui vive. Plus on approche du lieu et plus je me demande où j’ai atterri. Une fois devant le théâtre « Humain trop humain » je vois des personnes presser le pas et monter les marches qui mènent au hall. Je me sens moins seule. Il y a déjà foule et ce n’est pas fini. Les lieux s’apprêtent en effet à recevoir plusieurs centaines de personnes pour un week-end consacré aux sexualités et aux questions de genre.

Le festival a commencé en centre-ville il y a trois jours, avec la projection de Yes, we fuck! un documentaire consacré à la sexualité des personnes handicapées, primé en 2015 au PornFilmFestival Berlin, ainsi que de Kiki, un film émouvant qui plonge au cœur de la culture Ballroom new-yorkaise. Le film suit le parcours de plusieurs acteurs de la scène Kiki, des rassemblements exubérants de danseurs de Vogue, qui servent à la fois de famille de substitution pour ces minorités racisées rejetées par les leurs, mais aussi de lieu d’échange et d’engagement militant pour des mouvements comme « Black and Trans Lives Matter« . La projection a été accompagnée d’un atelier avec l’un des co-auteurs du film, Twiggy Pucci Garçon, pour mieux comprendre le ballroom et s’exercer avec lui à l' »European Runway » : une discipline où il s’agit de défiler avec des costumes fabuleux et faits main.

Outre cet atelier, le Festival Explicit fait la part belle au spectacle vivant. Et pour cause : ses créateurs Marianne Chargois et Matthieu Hocquemiller sont tous deux performers et nous les croiserons eux-mêmes sur scène dans deux des spectacles proposés par le festival. C’est d’ailleurs Matthieu, chorégraphe et directeur d’une compagnie (ACPS) qui ouvre le bal, nu, dans Extime : une performance dans laquelle viennent s’insérer des images médicales accompagnées d’une voix-off qui nous conseille de nous interroger sur l’obscène, la pornographie, la place du nu dans le privé, l’intime. Il sera suivi par une autre performance, Biofiction, où l’on voit évoluer des protagonistes queer dans une scène de nature surréaliste. Ensemble, ils s’adonnent à des mouvements sensuels et sexuels avec des branches et d’autres éléments naturels, sous une musique expérimentale improvisée. Voir des corps nus et non normés sur scène est vraiment inspirant. Cependant, je ne vous cache pas que je suis ressortie en n’ayant pas saisi toutes les finesses de la performance. Comme je le disais sur Snapchat pour ceux qui m’ont suivi, je n’ai pas une connaissance très poussée de ce genre d’oeuvre, je ne me permettrai donc aucune critique qui risquerait d’être infondée. Le temps que je me pose ces questions philosophiques, la salle enchaîne avec un apéritif et un dj set qui durera assez tard dans la soirée.

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Extrait de « Biofiction »

Le lendemain, à la lumière du jour, tout semble plus calme et sérieux. Je suis venue en avance pour avoir le temps de m’entretenir avec les différents invités du jour. Et quels invités ! Aujourd’hui c’est Buck Angel qui est à l’honneur. La journée ouvre avec la conférence de Marie-Anne Paveau sur la « Discursivité du corps sexuel et dimension réflexive des post-pornographies » (oui c’est sérieux je vous l’avais dit) : le public est conquis, attentif, informé. Si le sujet vous intéresse, courez vous procurer son livre !

On poursuit avec la projection de Sexing the Transmen, un documentaire sur la sexualité des hommes trans réalisé par Buck Angel. On l’y voit partir à la rencontre de personnes en transition (femme vers homme) et les interroger sur leur vie depuis qu’elles ont entamé le processus, les injections d’hormones et le besoin de connecter leur sexe, pour la plupart non opéré, avec leur corps… Le tout est entrecoupé de passages explicites tournés au même moment avec les mêmes protagonistes. Une façon pour Buck « de glisser des images porno dans un documentaire très sérieux », comme un pied de nez à la censure. Après le film, Buck a pris le micro pendant une heure pour raconter son histoire. Comment il a vécu une lutte quotidienne contre ce corps qu’il ne reconnaissait pas et comment il a fini par tenter la transition, à une époque où cela n’avait presque jamais été fait, en se disant « qu’au pire [il se] suiciderait ». Il est ému aux larmes lorsqu’il raconte ce moment crucial dans sa vie, quand il a enfin osé dire à sa psy de l’époque qu’il se sentait homme, et qu’elle lui a simplement répondu : « Je sais. Je l’ai su au moment où tu es entré pour la première fois dans mon cabinet », lui accordant pour la première fois une reconnaissance par autrui, lui sauvant probablement la vie à cet instant.

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Après ce moment intense, la salle s’est remplie pour un autre genre d’émotions : les courts-métrages porn, un moment assez attendu dans le festival. La sélection est pointue, esthétique et très sexy. On retrouve tous genres de scènes : de la chorégraphie BDSM à la manière d’une comédie musicale de Broadway, de l’urophilie, des jeux de sang qui ont fait grincer les dents de plus d’un spectateur, du squirt… J’ai eu un énorme coup de cœur pour Zolushka de Wes Hurley, une ré-interprétation très gaie de Cendrillon où le prince recherche son bien-aimé disparu aux douze coups de minuit, non pas à l’aide d’une chaussure de vair, mais du doux souvenir d’un rimjob parfait.

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Zolushka, de Wes Hurley.

On enchaîne sur un spectacle : Schönsheitabend, mêlant ballet classique, danse contemporaine, shibari et sexe gonzo (photo en Une), puis un passage obligatoire par la case restauration. C’est probablement une des choses qui m’a fait le plus sourire. Le fait de voir le public boire du vin (local) et manger des planches de charcuterie et fromage, une vision très traditionnelle et terroir, qui contrastait follement avec l’ambiance résolument queer, moderne, ouverte du festival. L’équipe de La fête du slip de Lausanne était là elle aussi, pour initier les gens aux vidéos en VR et présenter POV Paper, un journal au format classique et au contenu orienté vers la culture porn. La soirée se termine avec le groupe de musique électro avant-gardiste berlinois Hyenaz.

Le dernier jour du festival est consacré à la thématique « My Body is my Business » et se concentre autour de travailleurs du sexe, avec la présence notamment de Thierry Schaffauser, syndiqué au STRASS (Le Syndicat du TRAvail Sexuel), qui prend le temps d’expliquer les problématiques auxquelles on peut être confronté au quotidien dans ce milieu (des choses aussi banales que la location d’un appartement sans fiche de salaire ou les frais de déplacements). S’en suit une table ronde avec Marianne et Buck, qui soulève une question récurrente : pourquoi le statut artistique est-il si souvent remis en question lorsqu’il contient une pratique sexuelle explicite ? Est-on moins artiste qu’un autre parce que l’on montre son cul ?

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La projection suivante, Live Nude Girls Unite! nous replonge avec plaisir dans les années 90. On suit le parcours de la première grève et syndicalisation des danseuses du peep-show « Lusty Lady » de San Francisco. Une lutte difficile à l’époque, pour réclamer les mêmes droits que des employés d’un travail non-sexuel, pour empêcher la discrimination selon la couleur de peau ou la taille des seins des danseuses, mais surtout une lutte qui a inspiré le pays et qui a permis à des centaines de femmes de voir leur travail valorisé et leurs conditions d’emploi et de vie améliorées.

L’après-midi continue sur Traumboy de et avec Daniel Hellman, un one-man show présenté comme une sorte d’autofiction sur sa vie en tant qu’escort boy en Suisse, même si pour lui son métier relève plus « d’une recherche artistique que d’un réel gagne-pain ». Le spectacle est émouvant, il y évoque très naturellement et sans langue de bois des anecdotes sur ses clients, sa vie personnelle, son coming-out à ses amis… Et termine sur un karaoké très spécial, où le public se passe le micro et lit les commentaires reçus par Daniel sur son profil d’escort : fous-rires garantis.

Daniel m’a confié avoir « remarqué un énorme décalage entre la représentation du travail du sexe dans les médias et dans la culture. » C’est pourquoi il cherche à diffuser son spectacle dans des endroits moins ouverts que ce genre de festivals : « Ici le public est assez averti, mais parfois je joue dans des endroits où parler de prostitution semble aussi grave que parler de l’holocauste. Puis le public se rend compte qu’on peut en parler avec légèreté. Et c’est important car beaucoup de [travailleurs du sexe] souffrent de la stigmatisation et de la discrimination à un niveau politique et social mais aussi dans le milieu familial et amical. Il faut arrêter de montrer les travailleurs de sexe de manière négative, larmoyante comme si cela justifiait ce qu’ils font et qu’il fallait avoir pitié d’eux… Ca m’emmerde, parce qu’on ne fait pas ça avec d’autres métiers. On a même critiqué mon spectacle, soi-disant parce qu’il glorifiait les prostitués ! » Comme beaucoup, il est pessimiste sur la situation actuelle et se désole de l’hypocrisie et le paternalisme ambiant de nos sociétés : « On a l’impression qu’au lieu d’avancer il faut défendre ce qui était acquis. C’est pourquoi j’essaie d’apporter un côté pédagogique dans le spectacle. Pour essayer de casser tout ça. »

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« Traumboy », Daniel Hellman

Juste après et pour clore l’après-midi, Marianne, co-créatrice du festival mais aussi danseuse, contorsionniste et travailleuse du sexe, nous parle de son rapport avec ses clients urophiles dans Golden Flux. Comme son nom l’indiquait, je m’attendais avec un peu de crainte à une performance uro… Mais comme l’ensemble des spectacles du festival, elle était très naturelle, drôle, engagée et belle. Pendant tout le festival, le public a été mis face à des choses qui sont mal jugées ou critiquées dans nos sociétés, alors qu’elles ne sont rien de plus que des choses naturelles. La nudité, le sexe, la prostitution, l’urine ou même le sang sont mis en scène de manière esthétique, artistique. On en ressort ravi et, pour ma part, apaisé sur certains sujets et drôlement fâché sur d’autres. Si le festival voulait nous faire réfléchir sur ses thèmes, c’est réussi.

On clôture le week-end sur un concert de hip-hop queer avec Will Sheridan, aussi connu sous le pseudonyme de G.I.A.N.T., mais surtout pour sa carrière de basketteur, pendant laquelle il a dû garder le silence sur son homosexualité. Après avoir pris sa retraite et s’être consacré à la musique, il a été nommé Grand Marshall de la Pride de Chicago pour son travail queer novateur dans la musique et le sport. Le concert est très hot, le public aussi. Les gens n’ont pas l’air d’avoir envie de partir, de quitter la bulle de liberté et de tolérance qu’est le Festival Explicit. Je vois Buck torse nu sur la piste, l’équipe du festival également, ravie de pouvoir enfin se lâcher après avoir travaillé d’arrache-pied pour organiser un événement aussi réussi.

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Telle Cendrillon je me sauve avant les douze coups de minuit, non sans avoir discuté avec Marianne et Mathieu et les avoir remercié et félicité pour leur travail. Marianne m’a confié être ravie du succès de cette deuxième édition : « Les retours que nous recevons sont très beaux : les personnes vivent une vraie expérience, un voyage qui déplace et non une simple visite de spectateur. Et nous reviennent toujours ces phrases émouvantes nous remerciant de restaurer cet espace manquant, inexistant, du paysage artistico-culturel, de créer un lieu où se déconstruisent de façon essentielle des rapports au corps et au sexuel. » Je leur dis au revoir et leur renouvelle ma hâte de revenir l’année prochaine, mais cela semble compromis. Matthieu me dit en effet que « le départ de Rodrigo Garcia (le directeur de Humain trop humain, ndlr) rend la possibilité d’une autre édition incertaine, car l’existence de ce festival tient pour grande part en son invitation et sa confiance. Nous avons pour nous le succès des deux premières éditions et nous allons faire notre possible pour une troisième : ici ou ailleurs, selon les possibles qui s’ouvriront. » On l’espère en tout cas.

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Photos non légendées prises par mes soins.

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