Confinement : sous les claviers, le fap

Que se passe-t-il lorsque l’on donne aux gens ce temps qu’ils demandent depuis si longtemps ? En allant plus loin que les chiens tête en bas affichés sur Insta et les élucubrations sans fin des apprentis virologues sur Twitter, dans le monde du porn aussi, les visiteurs changent leurs habitudes.

Un certain plaisir personnel, voilà avant tout ce que recherchent ceux qui jouissent d’un tant soit peu de temps libre en cette période confinement. Et en matière de plaisir, quoi de mieux qu’un bon vieux porno, bien calé·e au fond du canapé (slash bureau pour celles et ceux en télétravail, mais t’inquiète on dira rien) ? Au-delà des chiffres, que ce soit au niveau de la fréquence ou des choix en matières de sites et de tags, les variations se font sentir au fil des interviews.

À la recherche du tag perdu

Découvrir de nouveaux tags, s’aventurer dans les chemins parfois tortueux de l’offre porn sur l’internet mondial, voilà un défi digne de ce temps parfois beaucoup trop long, surtout lorsqu’accompagné de solitude. Pour Elsa, 31 ans et confinée seule, c’est une occasion en or. Deux semaines avant le confinement, cette institutrice a opéré une remise en question importante concernant sa sexualité. « J’ai rencontré une femme, et je suis clairement attirée par elle », explique-t-elle, « c’est un vrai changement dans ma vie et, bêtement peut être, je profite de ces moments seule pour visionner un peu de porno lesbien féministe, chose que je n’avais jamais faite avant. » Un moyen pour elle de se centrer sur ses désirs en la matière, et ses potentielles limites. D’un porno « plutôt mainstream », selon ses propres paroles, aux tags lesbiens, les habitudes d’Elsa ont considérablement évolué.

C’est le cas également de Max, jeune homme cis bi de 25 ans. « C’est l’occasion de regarder des vidéos sur lesquelles je ne me serais pas forcément arrêté », entame le jeune homme, « le porno gay, par exemple, que je regarde peu habituellement. » Au-delà même des tags, ce sont des performeurs et performeuses auxquel·le·s Max s’attache, au cours de ce confinement. Il cite notamment Lana Rain, cosplayeuse NSFW adepte de fucking machines. « Jusque là, je n’étais pas particulièrement réceptif à ce genre de vidéos, mais sa manière d’en user de façon assez variée, et avec différentes atmosphères, c’est vraiment sympa », poursuit-il. Aller de vidéo en vidéo, jumper d’un tag à l’autre à la recherche de la séquence qui répondra à nos désirs, et se découvrir de nouveaux tags chouchous, l’offre immense d’internet en matière de porn devrait pouvoir ravir tou·te·s les curieux et curieuses.

Au-delà d’une variation en termes de tags, les interviewés notent aussi un changement éthique dans leurs choix de vidéos.

Éthique et tags

Le confinement semble également conférer aux internautes un temps de réflexion quant à l’éthique de leurs choix de visionnage. Si chacun met la limite où bon lui semble, quelques thèmes reviennent au fil des interviews, pour une remise en question approfondie. Des normes physiques encore fortement présentes dans le porn mainstream, largement mis en avant sur les plateformes les plus visitées, tout d’abord. « Un truc qui me marque beaucoup dans le porn gay, c’est l’omniprésence de ‘stud’ ou de ‘twink’, des colosses musclés ou des jeunots très minces », souligne Max, « c’est quelque chose que je trouve dommage, mais qui au fond trouve un écho similaire dans le porn hétéro. »

Un avis partagé par Lara, 34 ans. « Avant le confinement, j’étais dans la vitesse et l’à-peu-près », explique-t-elle, « si une vidéo ne me convenait pas tout à fait, je faisais l’impasse sur les moments cringe et basta. » Aujourd’hui, c’est un peu différent. L’exigence de Lara se trouve décuplée au fil des jours. « J’ai plus de temps, que je choisis de consacrer en partie au choix éthique de mes vidéos », poursuit-elle, « je me pose des questions telles que : ‘est-ce qu’il y a des bails sombres sur la boîte de prod ou sur les acteur·ice·s de la vidéo’, ‘est-ce que je peux tipper les acteur.ice.s’, ‘quels indépendants je peux favoriser’, etc. » Une démarche, notamment économique, allant en faveur des performeurs et performeuses. « Lorsque l’on sait que les travailleurs et travailleuses du sexe ne bénéficient pas des mêmes aides que le salarié lambda, je me dis qu’apporter sa petite pierre à l’édifice, c’est pas plus mal », conclut Lara.

Tag me tender, tag me true

Oui, oui, on sait, vous aimeriez savoir si ça fap plus ou moins que d’ordinaire. En réalité, au vu des témoignages, entre celles et ceux qui augmentent considérablement la fréquence de leurs visionnages, et la team « rends la tendresse IRL stp », les courbes ne semblent subir ni grandes envolées, ni chutes vertigineuses selon les sites.

Côté internautes, le temps semble effectivement commencer à se faire long pour certains. « Je matais un peu de porn avant, régulièrement, et en ce moment plus du tout », confie Chloé, « j’avoue que le monde extérieur est tellement stressant, je n’en ai plus envie. » Juste avant le confinement, Chloé avait repris des sessions de Skype sex avec l’être aimé, sessions également abandonnées au vue de la gravité pesante de la situation. « Quand j’ouvre un site porno, je regrette de ne pas avoir la douceur de son désir, donc je referme la page », détaille-t-elle, « Le porno c’était mon truc à moi, et le Skype sex un ‘rapport’ sexuel et amoureux. Là je n’ai plus l’un, et j’ai moins envie de l’autre. » Avec le confinement, Chloé explique désexualiser les vidéos en question, et manquer d’imagination pour trouver ce qui pourrait pallier ce manque. « Je ne veux plus l’ultraviolence que je consommais avant, mais le porno plus doux m’ennuie terriblement », confie-t-elle.

À la rescousse de ces client·e·s en manque de contact humain avant tout, les cam girls constituent pour certain·e·s la solution. Dans une interview donnée à Brut, Sophie, de son prénom d’emprunt, parle de son activité, peaufinée au fil du confinement. « Le confinement fait ressentir un peu plus de solitude à certains », explique-t-elle, « je pense qu’ils essayent un petit peu de combler ça en venant échanger en virtuel avec des filles. » Cette dimension humaine, dépassant le cadre du sexe, Vera Flynn l’a également évoquée lors de notre interview. Celle-ci souligne par ailleurs un fait largement occulté : si les échanges sont en hausse, cela n’affecte pas ou peu les revenus issus de l’activité de camgirl, puisque tous n’aboutissent pas sur de véritables demandes. Ainsi, si a priori, les camgirls représentaient une solution, celle-ci semble être à sens unique, pouvant creuser une précarité déjà présente dans le milieu, tout en augmentant la charge mentale des travailleuses du sexe en matière d’échanges sociaux.

Tag yourself : newbie edition

Pour Camille, c’est une première : le confinement lui a octroyé l’occasion d’ouvrir la boite de Pandore. « Je n’ai jamais ressenti le besoin d’aller vers des sites, mon imagination me suffisait jusqu’ici », confie-t-elle, « sauf que, confinement et surtout, ennui oblige, j’ai épuisé mon imaginaire. » Elle se tourne d’abord vers des films incluant ses crushes en matière d’acteur·ice·s, et puis, la curiosité l’emportant, se tourne vers les sites porno. Et là, c’est la surprise ! « Si les pages d’accueil m’ont d’abord rebutée, en cherchant un peu, j’y ai trouvé mon compte », rit-elle. Depuis trois semaines, elle visionne deux à trois vidéos par jour. « C’est une façon très agréable de passer le temps, et de prendre soin de soi », explique-t-elle, « la masturbation ne faisait pas partie de ma vie avant, alors que bon Dieu, ce que ça fait du bien un peu d’endorphine ! », rit la jeune femme.

En revanche, pour Camille, hors de question de plonger dans l’offre porn sans un brief préalable. « Mes copines sont déjà au fait des boîtes a priori éthiques et celles qui le sont moins », explique Camille, « je leur ai demandé avant celles qu’il fallait éviter, et les travailleuses du sexe à soutenir, également. C’est important de partir sur de bonnes bases, surtout lorsque l’on sollicite un milieu où la précarité est très présente. » Une apprentie spectatrice oui, mais responsable.

Fréquence, exigence, variations de choix… Ces interviewé·e·s ont vu leurs habitudes porn être bouleversées par la situation actuelle. Et vous ?

Photo en une Victoria Heath pour Unsplash

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