Le Festival du Films de Fesses : « la frontière est très mince entre érotique et pornographique »

Nous avons eu la chance de nous entretenir avec deux membres principales de l’équipe de la 6e édition du Festival de Films de Fesses qui aura lieu du 27 au 30 juin 2019 à Paris : Anastasia Rachman sa co-fondatrice et Léa Chesneau, sa programmatrice. Festival de cinéma de fesses exigeant et léger, le FFF  (non, pas la Fédération Française de Football) nous emmène à rêver de lunes dans tous les sens du terme.

Pour commencer est-ce que vous pouvez vous présenter : de quel horizon venez-vous et qu’est-ce qui vous a donné envie de monter ce projet de festival ?

Anastasia Rachman : Au début c’était une aventure amicale. Même si ça pouvait paraître une blague ou un amusement on l’a pris très vite au sérieux, et là au fil des années on se rend compte que c’est plus que nécessaire d’avancer avec le projet. On vient tous du cinéma. Moi, je suis distributrice de films et je pense qu’on est tous sensibles au sujet qui nous porte, l’érotisme, intimement, politiquement, cinématographiquement. Le but premier du festival c’est de montrer de beaux films, mais aussi des films qu’on n’aurait pas l’habitude de voir au cinéma, d’être dans une forme d’exigence vis-à-vis de la mise en scène.

Léa Chesneau : Je suis programmatrice de films et j’ai rencontré Anastasia qui commençait ce projet quand je finissais mon mémoire sur la sexualité dans la teenage apocalypse de Gregg Araki.

Under The Skin, Jonathan Glazer (2013)

Under The Skin, Jonathan Glazer (2013)

Il y a vraiment un aspect de votre programmation remarquable : la diversité des types de films programmés : à la fois des films reconnus par la critique comme Under the Skin (Jonathan Glazer, 2013) ou des films issus de la culture underground ou bis qui sont aujourd’hui reconnus : Kenneth Anger, Cattet & Forzani… Du porno, de l’érotique, du documentaire, de la fiction… Cette année : c’est la Pleine Lune. Pourquoi ce thème ? L’underground ? La sorcière ? Les fesses ?

LC : Un peu tout ça. Au début on voulait parler de sorcellerie, et puis on a élargi au fil du temps. Ça nous permettait de trouver pas mal de films pour des raisons de financements et de rareté des copies. On essaye de montrer les meilleures copies possible à chaque fois. On essaye de trouver le plus de diversités dans nos sélections, notamment pour mettre de plus en plus de femmes réalisatrices, même si le travail d’archives est compliqué et on se rend compte de l’étendue des dégâts.

AR : Après, on voit de plus en plus de femmes dans les courts-métrages, c’est sûrement en train de changer dans le bon sens.

En termes de financement, est-ce que vous trouvez qu’il y a un soutien pour la thématique des sexualités du côté des institutions ?

AR : Aucun, c’est même pire que ça, en fait ils s’autocensurent. Ils ne cherchent même pas à découvrir le contenu de ce qu’on fait, mais préfèrent s’arrêter à une forme ou au nom du festival… Voilà, et ça justifie le fait qu’ils ne peuvent pas aider ÇA. Alors, je ne sais pas exactement ce que recouvre ÇA, mais ça leur permet de ne pas trop avoir à se justifier et à rentrer dans les détails… Ça me rappelle une anecdote de rendez-vous mémorable… Cette responsable nous a fait comprendre qu’il fallait être dans une forme d’enthousiasme (dit avec un sourire robotique), de communication joyeuse et ne surtout pas devenir agressif, politique, insistant.

LC : On ne nous prend pas vraiment au sérieux avec le nom du festival déjà. Comme on n’est pas un festival sur les questions de genre ou sexualités, c’est moins facile à défendre parce qu’on n’est pas directement rattaché à une cause. Ça ne nous empêche pas d’avoir envie d’explorer les questions de consentement, qui manquent dans l’éducation. Mais sans moyens et sans appuis, c’est compliqué.

scorpio-rising-dandy

Scorpio Rising de Kenneth Anger (1964)

Ce qui est intéressant dans votre festival c’est que vous revendiquez un point de vue complexe sur le cinéma, qui sort des cases, mais en même temps aujourd’hui pour obtenir des financements, il faut se vendre et revendiquer clairement et politiquement nos opinions. (ce qui est un bien et un mal : cela rend plus clair, mais enferme également) Vous revendiquez beaucoup l’esthétique, mais votre démarche de visibilité n’est-elle pas en soi politique ?

LC : Complètement, dans nos choix, contre la censure qu’on a reçue qui nous a collé directement un côté politique. Il fallait se défendre, il y a eu par exemple la tribune avec Romy Alizée dans Libération. C’est impossible de parler de sexualité sans être politique. Tu as quand même envie de défendre des points de vue.

AR : Tous les ans, on essaye d’accueillir plein de choses différentes, que ce soit en pornographie, sur les questions de genre dans les documentaires contemporains, le collectif Eros&Réseau, Carmina [NDLR : la rédac cheffe du Tag] au jury, Polychrome… Après c’est sûr que notre point de vue part premièrement du cinéma et se distingue de festivals plus ciblés comme Loud and Proud ou Chéries Chéries, mais ça se complète, je pense. Souvent, il y a des films qui naviguent entre notre festival et ceux-là. Et par exemple des films érotiques avec des lignes qui sont restées dans des schémas hyper-réac avec une mise en scène moyenne, ce n’est pas pour autant qu’on va les montrer, pour nous ce n’est pas du cinéma.

Cruising Poetry, Antonio Da Silva (2018)

Cruising Poetry, Antonio Da Silva (2018)

Dans une interview pour Télérama, en 2015, Jérémie Couston vous disait ainsi « il n’y aura pas de porno, rassurez-moi ? (ou plutôt mon rédac’ chef) » et témoignait de cette peur du « ça » de la part des institutions ou en tout cas de la peur de la pornographie, pensée sans mise en scène. Quel est votre point de vue sur l’éternelle distinction entre érotisme et pornographie ?

LC : Ce n’est pas tellement la frontière qui nous intéresse entre cinéma et pornographie…

AR : Je ne cherche pas à opposer les deux, la frontière est fragile. Si ça nous permet de montrer des choses plus implicites ou au contraire plus explicites, comme Spermula (Charles Matton, 1976), tant mieux. Comme quand tu fais l’amour ou que tu baises, tu n’opposes pas les deux, tu ne sépares pas ces deux émotions.

LC : Même si sont des industries différentes avec des contraintes différentes.

AR : Ensuite, on montre des films dans une salle de cinéma, du coup on ne peut pas dépasser le -16 ans légalement. Donc même si on montre des choses très frontales, très explicites comme on a pu le faire avec Iron Maiden de Virgil Vernier ou cette année avec Antonio da Silva qui montre des queues en érection, c’est pornographique ! On n’est pas que dans ça en effet. Après la frontière est très mince entre érotique et pornographique, mais notre idée centrale c’est l’idée de cinéma, de mise en scène, qu’importe la catégorie.

LC : Oui, Antonio da Silva, ils sont accessibles en ligne sur le même modèle économique que les sites pornographiques payants par exemple, mais faut quand même qu’il y ait cette idée de cinéma-là. Le principal pour nous c’est d’allier sérieux et légèreté, de parler sérieusement de choses légères et inversement. La sexualité c’est ça, c’est à la fois léger et sérieux.

Barbarella, Roger Vadim (1968)

Barbarella, Roger Vadim (1968)

Vous devez en plus rassembler un public, malgré la censure.

LC : On a présenté nos films cet hiver à Melun, les gens ont trouvé ça hyper glauque. Du coup, c’est tellement lié à l’intime de chacun, que les réactions varient. C’est dur de trouver une ligne médiane.

AR : En tout cas, toutes ces questions de censure m’ont vraiment confortée dans le fait qu’il fallait rester libre. T’es encore plus conforté dans l’idée qu’il faut encore plus faire tout péter. Je ne m’interdis pas de faire la case jeune public l’année prochaine, de laisser plus la parole à des collectifs féministes… Ce qui est génial c’est que le public du FFF peut être cueilli par quelque chose auquel il ne s’attendait pas en fait. On rajeunit aussi la rue Champollion avec des jeunes cinéphiles, cela provoque des mélanges : les habitués du reflet Médicis qui découvrent des films qu’ils n’auraient pas regardés, des jeunes qui découvrent peut-être Barbarella (Roger Vadim, 1968). Ça crée vraiment des débats, les gens ont envie d’en savoir plus… Ça brasse.

Le festival du film de fesses, du 27 au 30 juin 2019 à Paris

LE_FESTIVAL_DU_FILM_DE_FESSES_2019

Cette publication est possible grâce à la contribution de Frédéric A, merci !

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