Loi SESTA – FOSTA : un pas de plus vers la censure et le puritanisme

Mercredi dernier, le Sénat Américain a voté une loi qui a fait beaucoup parler sur les réseaux sociaux, particulièrement chez les travailleurs du sexe et les défenseurs de la neutralité du net. Cette loi, rédigée sous couvert de lutte contre le trafic d’êtres humains et la traite des femmes se révèle non seulement inefficace, mais pose de réels problèmes pour la liberté d’expression et le droit au rassemblement.

Qu’est-ce que la loi SESTA – FOSTA ?

SESTA – FOSTA est un mélange de deux lois présentées cette année aux États-Unis, en passe d’être validées et mises en exécution. La première : SESTA (Stop Enabling Sex Trafficking Act) a été proposée par le sénateur républicain Rob Portman en août 2017 et avait pour but de faciliter les procès contre les sites internet qui « assistent volontairement ou supportent la traite sexuelle ». La FOSTA (Allow States and Victims to Fight Online Sex Trafficking Act) présentée par Ann Wagner, une représentante républicaine également, est essentiellement une réécriture de la même loi à la différence près qu’elle inclut également les sites liés à la prostitution en général.

Ces deux lois s’attaquent à une partie de la Section 230 du CDA (le Communications Decency Act), une loi votée il y a 20 ans pour protéger les hébergeurs et les media en ligne de ce que leur utilisateurs pouvaient faire ou dire. La nouvelle loi propose au contraire de les rendre responsables légalement, jusqu’à des poursuites criminelles, si des discussions en rapport avec le trafic d’être humains étaient visibles sur leur site. En gros, le SESTA – FOSTA loi modifie le code pénal pour y ajouter une section qui impose des pénalités (soit une amende, soit une peine pouvant aller jusqu’à 10 ans de prison, ou les deux) à une personne qui gère un site internet promouvant ou facilitant la prostitution d’une autre personne, confondant travail du sexe forcé et travail du sexe consenti et légal.

Une loi problématique pour les travailleurs du sexe

À l’annonce du vote, les réactions ont été immédiates. Plusieurs sites internet ont supprimé des pages complètes de contenu, sans chercher à faire dans la dentelle. C’est ainsi que le célèbre Craiglist a supprimé toute la section « personnals », les petites annonces personnelles, utilisées pour les rencontres pas forcément tarifiées. Backpage a suivi, et Reddit a fermé des sub entiers dédiés aux travail du sexe et Google supprime des contenus Drive.

Et c’est bien là que le bât blesse : sous couvert de combattre la traite et l’esclavage sexuels, la SESTA-FOSTA met en danger tous les travailleur·se·s du sexe qui utilisent au quotidien un Internet largement dominé par des sites américains. Avec cette loi, il devient alors impossible pour eux de faire leur promotion en ligne sous peine d’être censuré·e·s ou de voir leurs comptes fermés, et ce même s’ils résident dans un pays où la prostitution est légale. Ils n’auront plus non plus d’endroit pour s’entraider, ou même simplement communiquer entre eux. Comment savoir si un client est « safe » si un forum pour escort hébergé sur un site américain, doit fermer ? Comment prévenir les collègues qu’un autre est mauvais payeur, ou bien ne respecte pas le consentement ?

Le monde du porno a bien évidemment réagi. D’une part pour soutenir les collègues travailleurs du sexe mais aussi pour s’élever contre ce qui s’apparente à une tentative de censure qui pourrait les toucher (et à terme aussi le grand public). Pour rappel, une partie des performers proposent des prestations diverses (qui de l’escorting, qui de la domination) pour compléter leurs revenus entre deux tournages. En m’entretenant ainsi avec un travailleur du sexe qui souhaite garder l’anonymat, je découvre qu’il s’inquiète  pour son site Internet fraîchement remodelé : « Je suis hébergé sur Square Space et c’est une société américaine. Ils pourraient supprimer mon site avec cette nouvelle loi. » Et en effet, les termes du SESTA-FOSTA sont si vagues, que tout site publiant un contenu qui serait pro-travail du sexe pourrait être mis devant la justice.

Heureusement, la solidarité s’organise et les associations et activistes donnent des conseils pour protéger son contenu et ses comptes de messagerie. On conseille des sites hébergés en Autriche, des e-mails sécurisés, et surtout le nettoyage de son compte Twitter en supprimant les tweets relatifs à toute forme de travail du sexe.

Des implications pour le grand public

Même si, comme souvent, ce sont les travailleurs du sexe qui sont en première ligne, tous les utilisateurs d’Internet sont en droit de s’inquiéter. Microsoft a ainsi annoncé que dès le 1er mai le « langage offensif » sur ses logiciels sera interdit et prévoir de surveiller les utilisateurs soupçonnés de contrevenir à cette règle. Les termes vagues de ces nouvelles conditions d’utilisations permettront d’après l’activiste Jonathan Corbett de s’immiscer dans vos conversations privées . Des voix s’élèvent déjà pour regretter la perte des sections de petites annonces de Craiglist, comme cet homme qui a rencontré un des ses partenaires sur le site. Mais quelle autre solution ont les dirigeants du site ? Le risque de se voir traînés en justice et donc de perdre tout leur site est trop grand. L’EFF (Electronic Frontier Foundation) l’a dit : « Aujourd’hui est un jour sombre pour Internet.  La SESTA/FOSTA va réduire au silence la parole sur Internet en forçant les plateformes à censure leurs utilisateurs. »

Difficile de nier qu’en 2018 nos vies sexuelles sont très liées à Internet. Et une loi comme le SESTA-FOSTA a plus l’air de contrôler la liberté sexuelle que le trafic d’être humains. Les États-Unis sont maintenant dans l’attente de la signature présidentielle qui validera cette loi. Car à présent, le seul qui peut empêcher le passage du SESTA-FOSTA est Donald Trump, en y opposant un veto, ce qui vous vous en doutez est très peu probable.

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