Mickey Avalon, sa bite, son histoire

“If you were lucky / Licky licky, sucky sucky / Mickey mickey, fuck me fuck me” (Jane Fonda – Mickey Avalon)

Se noyer au fond d’une bouteille de Jack Daniels. Regarder de mauvais clips sur une télé trop petite. Mal aux cheveux, gorge sèche, pizza froide. En fond sonore, entendre ces quelques vers émouvants signés King Micko Black : “Elles me sucent la queue, me demandent s’il en reste un peu / Y’a pas de problème, je les baise à la queuleuleu / C’est ma voix, c’est ma voix, au fond de ta chatte.”. Parfois, la vie est aussi belle que cela. Alors on noie ses maigres espoirs sous du ketchup et on écoute Mickey Avalon, le froc baissé. Car Mickey, si l’on excepte King Micko (remplaçons-le par Tupac) a bien connu ces moments-là.

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En 2006 ledit Avalon balance son premier album solo, griffé de son patronyme, et les morceaux sentent bon la sueur et le foutre. L’entêtant My Dick en est l’un des plus emblématiques et sera magnifié deux ans plus tard dans Harold et Kumar goes to Guantanamo, suite d’un néo-classique du stoner-movie où l’on parle volontiers pot, bite et shit. Interprété avec tout le second degré nécessaire par le cabotin à la coiffure grunge, My Dick est un bon délire hard-cock, comme seuls savent l’élaborer les rappeurs bousillés aux substances illicites, sorte d’hommage fleuri aux métaphores scabreuses d’un Eminem en mode Slim Shaddy. C’est un blason du bas ventre, le show en solo d’un comédien outrancier qui se regarde le nombril, ou plutôt ce qu’il y a en dessous. Digne des envolées lyriques d’un Booba, cette ode à la queue du maestro est de ces élans mégalos qui font du rap un petit monde paradoxal, tantôt fait de pompes crasseuses foulant le bitume des bleds misérables, tantôt de Nike scintillantes, lourdes et putassières écrasant la gueule des godasses trop petites. Là, on est plus proche de l’autodérision clinquante de The Lonely Island. Avalon nous dit que sa bite “[is] locked in cage”, à l’image d’une boîte de farce-et-attrapes avec un gros cadeau dedans. “Not gonna get you a fancy car […] Not gonna get you a house in the hills / A girl like you needs somethin’ real […] Somethin’ special girl / It’s my dick in a box” – lui rétorquerait Justin Timberlake.

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Mickey Avalon se prend pour le John Holmes du flow et n’a pas peur de la démesure, démontrant à l’instar de ladite star son importance au seul fait de son énorme pénis (“My dick, V.I.P”). My Dick, pourrait-on dire à première vue, c’est le rap dans ce qu’il a de plus régressif : non pas le besoin de sortir la tête de l’eau et les jambes des bouges, mais au contraire de se complaire dans une arrogance carnavalesque. La satire d’un milieu stéréotypé où les gros calibres égalent la taille des chibres. C’est Mickey lui-même qui l’affirme : “My dick is like a M-16 !”. Au sein de l’historiographie du rap, les tirades d’Avalon, renvoient à celles de Lil’Kim, éparpillées à travers Not Tonight ou How Many Licks (“Kim got your dick hard, startin fights in the yard / Hotter than a Pop Tart fresh out of the toaster / Niggaz do anything for a Lil’ Kim poster”) ou au Suck It Or Not  de Cam’Ron : “Missionary, back shots, pop it off, rock it off / I tell you right now if my cock is soft / But I want head before and after, top it off / On ya knees, show you how to top a boss / Lick, suck, deep throat, stop, cough, hop on, hop off, lollipop off”. Tout un imaginaire, hérité des pitreries salaces d’Aerosmith ou de Kiss. “Let’s put the X in sex, love’s like a muscle and you make me wanna flex, baby, let’s put the X in sex” priait Gene Simmons à ses groupies fiévreuses en 1988.

My Dick est un exercice de style grotesque que n’aurait pas renié Trey Parker et Matt Stone, ceux-là même qui font chanter à Kanye West “I’m a gay fish”. Avalon porte en dérision deux phénomènes socio-culturels, à savoir la sublimation du pénis comme équivalence du talent gangsta d’une part (Kanye en sait quelque chose) et l’obsession récurrente du clash d’autre part. On se croirait revenu au collège en pleine récréation, et cette école pourrait être celle du game rap comme de l’industrie en son entier (montrer qu’on en a des grosses et les poser sur la table). En plein egotrip, le poète urbain nous fait comprendre avec conviction que “My dick more mass than the earth”. Non content d’éjaculer sur notre enfance (“ta bite ressemble à Gary Coleman”) Avalon relie le sexe, le business, la culture populaire et la religion, tel le premier Terry Richardson venu : “nous avons des teubs comme Jésus, nous avons des teubs comme Jésus”. Libre à vous de traduire “Jésus” par “Jay Z”…et de voir en cette pirouette rhétorique une manière d’intégrer le Gangsta Paradise. Le fap du rap.

Bite et psychanalyse

Mais la pornophony n’est pas exempte de psychanalyse. “D.S is the best of the business” clame le chanteur. Echo à un passé de gigolo aguerri – exploration en profondeur du business underground – que l’artiste ne peut pas oublier et qui hante un album entier comme une foutue IST. L’image de la “dick” prise en main qui bifle l’audience fait beaucoup marrer, pourtant elle est le symbole central de cette période de son existence que l’artiste décrit au L.A Weekly comme le “weird time”, l’époque de l’addiction à la drogue et du corps marchandé : “It got to be a really dark, weird time. I mean, I’ve given guys hand jobs, but I’ve never been fucked in the ass and I’ve never sucked a guy’s dick. […]  It was tragic that I was such a complete loser”.

Cette expérience encombrante de prostitué des bas fonds, le rappeur la raconte via le morceau Dipped in Vaseline (d’après la Vaseline Avenue, là-même où l’on taille des pipes pour une poignée de dollars) : “In the Hollywood hills, Swallowing pills, Tipsy off scotch whiskey / Sniffin’ blow through hundred dollar bills / I toast mimosas from coast to coast / In penthouse suits / With out any clothes”. L’humour et la musique sont comme la masturbation : un exutoire. Le fap magnifique que représente ce morceau, c’est l’autosatisfaction ironique, la branlette parodique d’un égaré de la vie qui se sert de ses gros sabots pour cacher la misère. “My dick pain and big” précise Avalon, la douleur de l’érection symbolisant les tourmentes de sa conscience.

En jouant avec sa bite durant tout un show vrillant à l’épique, Avalon assume ce qu’il est (encore), c’est à dire une personne de petite vertu. Au sein du même album, il le chantonne joyeusement comme il pourrait le soupirer : “It’s all the same when they call my name / Mickey Avalon, hustler hall of fame. Amusez-vous de ma bite, aussi grossière qu’un stand-up comedian à la Richard Pryor (le rigolo qui en parlait si bien), mais n’oubliez pas qu’elle a une histoire. Même si, dans ce milieu, elle est une monnaie comme une autre, qu’elle fasse vendre des disques ou jouir les vieillards.

En ce sens, il est tout à fait logique de voir l’artiste citer Macaulay Culkin comme métaphore péniale (“ta bite ressemble à Macaulay Culkin”…genre des cambrioleurs veulent te la bouffer ?). Mickey Avalon a grandit près des collines d’Hollywood. Le californien ne fait que dépeindre cet immense concours de chibres qu’est l’industrie du spectacle et le traitement des idoles qui lui est inhérent. En écho à cet artiste gentiment cynique se complaisant dans l’arrogance, Culkin quant à lui symbolise le“rise and fall”, la grande dépression de l’american dream. il fait désormais partie de la cour des monstres, de ces maudits enfants-stars qui étaient destinés à devenir des damnés. En témoigne cette vidéo promotionnelle déprimante où, en pleine descente de coke – et/ou gueule de bois – l’ancienne vedette de Home Alone avale laborieusement une pizza sans même parvenir à la terminer. Culkin, c’est l’industrie en ce qu’elle a de plus glauque, un produit vite consommé, digéré, puis foutu aux poubelles. La vie est une pute.

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Avalon quant à lui perçoit l’art comme une forme de prostitution, aussi ce morceau hilarant et aisément consommable fait-il office d’argument de vente. Sa teub est mainstream, sa teub est la Californie, sa teub est dans les multiplexes, sa teub symbolise ce que le public souhaite. “My dick plays on the double feature screen”...telle une rockstar ou une égérie de l’usine à rêves.

My Dick ne traite que de l’entertainment : le culte du physique et son inéluctable dérision, l’absurdité d’être une star, la trivialité propre aux vanités d’hier et d’aujourd’hui. Sauf qu’au lieu de cacher ses attributs, Avalon en fait l’éloge détourné. Et cette abondance de mots crus ne fait qu’évoquer la finalité du bordel de l’american dream : l’overdose. Comme celle dont est morte sa soeur…Le trash est des plus dépressifs si l’on passe outre les potacheries de l’ado attardé nourri aux clips de MTV et à son hip-hop vulgos, voire aux détournements de Weird Al Yankovic. Les chansons de Mickey Avalon sont ambivalentes : la prose qui s’y étale joue de l’hyperbole ludique et pleure la misère zolienne en même temps. La voix est celle d’un loser sublime dont la mère dealait de la marijuana tandis que papa se shootait à l’héro, avant de crever, bourré, d’un accident de voiture. Thugh life ?

Comme Culkin, Avalon est un gosse sacrifié, fils de parents fantômes. Alors que pour beaucoup de grandes-gueules la superficie des organes génitaux est une manière de masquer la pauvreté des rimes, le rappeur californien se sert de la guignolerie comme d’une catharsis, moyen comme un autre d’oublier les Alcooliques Anonymes pour goûter au Hall of Fame, de devenir une étoile par la seule force de sa queue. L’île d’Avalon est l’endroit où vit la fée Morgane. A travers Mickey, c’est aussi le lieu de résidence des junkies, dealers et âmes égarées. Oui, Mickey a eut une bonne vie de merde, drugs, sex, mais pas vraiment rock’n’roll. Qu’importe : à la petitesse de son existence médiocre, il répond avec la grandiloquence d’un baron, persuadé de percevoir en sa bite l’assurance de la succes story. Il s’exorcise par la punchline bigger than life du gros son rap, mécanique artistique qu’il résume par “My dick is like supersized”.

Quand Avalon nous parle de sa bite, il sait qu’il propose une potacherie des plus éphémères, blague d’un soir dont le potentiel est vite épuisé. Il s’en fiche. Son état d’esprit, sorte d’épitaphe, est inscrit sur son compte Twitter : “live fast, die young & look good in your grave”. Fapper et crever. On retrouve cette attitude insolente à travers ce morceau tellement cool et tellement pathétique à la fois.

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