La puissance de Ben Frost

À partir du 16 mai, la Krause Gallery, à Manhattan, accueillera Ben Frost. L’occasion de parcourir une œuvre faite de délires paranos et de juxtapositions acerbes.

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Ben Frost est une sorte de Lichtenstein dépressif. Il emprunte à l’artiste pop ses images iconiques de charmantes femmes tristes, dont les larmes coulent comme la peinture sur une toile. Mais pas de blondes dramatiques sorties de désuets pulps magazines écornés. Faisant fi des délires vintage, le street artist plaque ces belles gueules d’amour sur des paquets rouge-sang de McDonalds et illustre des boîtes d’antidépresseurs et autres produits d’usage en puisant, comme Warhol, dans l’environnement socio-culturel qui est le sien. Dans un monde gavé ras la gueule d’images choc et charnelles, où le consommateur-branleur n’est jamais loin de se morfondre jusqu’à en devenir peine-à-jouir, on ne s’étonne même pas de voir Alf associé à la malbouffe, Hello Kitty à l’onanisme, et, métaphore superbe s’il en est, une belle mélancolique couplée à la morphine. Toutes les drogues, douces ou dures, nous épuisent ici jusqu’à la crevure : sexe, bouffe sale, pillules, séries tv, autant d’éléments forniquant tous ensemble, non sans malaise. Un malaise bien générationnel, évoquant une anarchique masturbation du lendemain faite sous Lexomil.

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La culture populaire est considérée comme une expansion quotidienne de nos faits et gestes les plus triviaux : bander, manger des céréales, zieuter des classiques du dessin animé américain tout en pensant aux touffues forêts de seins des mangas les plus galvanisants. Armée de la démesure propre aux provocateurs comme Terry Richardson, Frost encartonne les cartoons aux images de la Seconde Guerre Mondiale, plaque Bugs Bunny contre le logo Special K et balance le meilleur personnage de Family Guy sur une boîte de Viagra. Dans ces monstrueuses liaisons entre ces bribes de notre imaginaire, tout s’enchevêtre de façon chaotique, si bien qu’un Pokémon semble plus pervers encore que ces énormes fesses censées promouvoir un sachet de riz. Puisque tout est porn, le porn est un produit comme un autre et, dans cette supérette, on se touche sur un fragment de Daffy Duck.

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Dans une création superbe, où Frost semble cristalliser ses obsessions pour de bon, l’accroche d’un film d’adultère des sixties au titre plus que significatif (Sin in the Suburbs) y côtoie un Pikachu enveloppé dans un Happy Meal, chialant à l’instar des femmes précitées, tandis que la sempiternelle famille Simpson s’affiche, les yeux barrés, en noir blanc… Comme un vieux souvenir. Plus pertinent que cet Oncle Picsou symbolisant la victoire du capitalisme (et surtout du consumérisme), cette partouze d’images imbriquées les unes dans les autres est une cruelle et juste peinture de notre vie : infidélité, aveuglement, tristesse décolorée, soif de hentai. Les yeux barrés pour signifier qu’on s’efface dans l’anonymat à force de se remplir d’images, l’absence de couleurs pour surligner notre inaptitude au bonheur, et, en contrepoint à cette morosité du taggeur épuisé, de jolis oiseaux à la Disney pour figurer la naïveté de nos idéaux éphémères. Belle allégorie du porn, vieux.

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Ajoutez à ça la métaphore surréaliste des quatre yeux et vous obtenez le symbole même du tag parfait, celui qu’on quête jusqu’au vertige à travers des mosaïques tortueuses de vignettes organiques. L’expo de Frost est à juste titre intitulé The End of Innocence, appui ironique de cet usage pour le moins sarcastique de nos modèles d’enfance. En conclusion, le lapin de Tex Avery tire la langue comme un guedin tandis qu’une demoiselle se touche les seins, le fast-food est offert par la Grande Faucheuse et la branlette parfaite se fera sur un paquet de muffins. Bon appétit.

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