La plus gironde des poupées russes : Veau Orloff and Merry Christmas

Le fromage, c’est la vie. Une bénédiction lactée venue d’un autre temps pour embrasser nos papilles. On le couche sur du pain comme un enfant fatigué, enveloppé paisiblement dans sa couverture de beurre salé. La croûte du pain craque sous la dent comme un toast fabuleux, puis vient le bain odorant du camembert qui emplit la bouche, et enfin l’arrière-goût subtil tout droit venu des Merveilles de Guérande. Mais nous ne parlerons pas ici de cette digression du souper. Ni des partouzes dantesques ou les corps fondus de l’empire-raclette agonisent sur l’autel de la barbaque. Gonzo l’a déjà fait et ce fut historique. Non, on va causer sensualité pure, on va causer poésie. On va causer veau Orloff.

Le nom rebute quelque peu. Le veau Orloff pourrait très bien se faire casser les noix par James Bond, Schwarzenegger ou McBain. Et pourtant, il ne s’agit pas d’un simili-Poutine, mais de bouffe. D’une parfaite alchimie qui naquit au cours du dix-neuvième siècle. Le veau Orloff a été créé par un virtuose français, le mythique Urbain Dubois, cuistot dont la Sainte Parole est encore étudiée par tous les futurs chefs de bouche du monde, pour contenter un ambassadeur de Russie affamé. C’est un festin des rois, qui supplante ces saletés de burgers capitalistes et autres baguettes de froggies. Le veau Orloff, c’est un peu, avec Tetris et Tolstoï, la fierté de l’âme russe. Mais trêve de clichés, passons à la fibre, au cœur, plongeons nos lèvres dans l’absolu. Disséquons la bête.

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Tout d’abord, l’implacable finesse du veau. Bien cuit, c’est à dire pas trop. Moelleux. Comme un duvet d’un blanc immaculé, ne demandant qu’à être souillé. A l’instar du steak saignant, ce tartare des dieux qui tient de la sorcellerie. Il doit se déchirer d’un coup de dents sauvagement asséné, puis glisser sur la langue et provoquer un orgasme dominical : celui qui prend aux tripes durant la dégustation d’un rosbif de rêve. Mais la viande est une princesse arrogante. Elle s’imagine supérieure à tout. Pourtant, elle ne se sublimera qu’au contact de son jules : c’est en se faisant pénétrer sans vergogne par ce foutu fromage mégalo que le plat devient parfait. Encore une fois, pas question de prendre les choses à la légère, en balançant du cheddar à l’arrache comme l’on fuirait en douce une coquine du samedi soir une fois le matin venu. Que dalle. A la fois fondu et dur, le fromage doit être envisagé dans sa globalité substantifique. Solide, pour faire sentir sa présence. Fondu, pour recouvrir le veau de son manteau d’hiver. Et, enfin, ultra-fondu, pour ainsi dire liquide, afin de noyer ce fatras de mets délicats en une sauce-jacuzzi chaude comme il faut. D’emblée souple telle une athlète sexy, la viande n’en devient que plus douillette, par ces faciales fromageuses assénées avec générosité. Une fois en bec, le mélange nous transforme en dévorateur possédé. En homme préhistorique.

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Le plaisir brutal du goût, la sauce qui pisse de partout et salit les fringues, le reste du fromage qui colle aux molaires comme du nougat. On ne sait déjà plus qui remercier. La Reine-viandasse, pour ainsi dire le Veau d’Or (en français dans le texte, sortez de votre poche le meilleur accent anglais possible) ?…Ou la redoutable efficacité gustative de ce fromage en morceaux, décomposé, métamorphosé, liquéfié ? Pas de jaloux : le Veau Orloff, c’est un couple aussi éternel que Homer/Marge ou Pâtes/Pesto. Un travail d’équipe. Une union fusionnelle. L’accueillir dans son bide, c’est le respecter. Le savourer. Puis l’aduler comme une vache sacrée.

Orloff est plus fort que Connery, Moore ou Brosnan. Il s’empare de toi et te fait te sentir heureux d’être en vie. Le plat parfait pour les fêtes : brûlant, bien gros et gras, à la fois populaire et complexe, riche et très joli. Le plus beau des cadeaux.

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Haut les cœurs, les taggeurs, et joyeux Noël.

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