Fuzati / Orgasmic : « Nina Simone n’a jamais eu besoin de se mettre à quatre pattes »

J’ai découvert Fuzati et son Klub des Loosers  en 2004 avec « Vive la vie », l’album le plus déprimant qui soit. Mes odieux groupes de black metal dépressif pouvaient aller se rhabiller, on touchait là au fond du trou avec un flow déjà caractéristique et une plume trempée dans les larmes de la frustration et de la désillusion post-adolescente. 10 ans plus tard, Fuzati retrouve Orgasmic, son premier compagnon d’armes (avec lequel ils nous avaient offert offert l’hymne « Baise les gens »), pour délivrer le sobre et racé « Grand Siècle ». Je les ai rencontrés chez un disquaire parisien pour parler un peu de la faiblesse de la chair.

Il y a pas mal de références au porno que ce soit sur les albums du Klub des Loosers ou sur Grand Siècle. Quel est votre rapport au porno et jusqu’à quel point constitue-t-il une source d’inspiration ?
Fuzati : Je vais répondre pour les textes. Vive la vie était un album d’adolescent, donc il y avait des références. J’incarne un personnage un peu loser, donc forcément je parle de porno. Nous venons d’une génération où il n’y avait pas Internet. Accéder au porno c’était un chemin de croix quand tu n’avais pas Canal+. Il y avait ce côté un peu mystérieux, un peu magique alors que maintenant tu y as accès en deux secondes avec un ordinateur. La presse écrite porno était plus importante que maintenant. C’était l’époque où on pouvait voir des pornstars comme Julia Channel à la télé traditionnelle.

Pour ce qui est de l’influence, tout le monde regarde du porno même si on ne force personne à le faire. Comment faire la part des choses dans ta sexualité entre ce qui t’a été dicté par le porno et ce qui tient de l’instinct naturel ? Vu qu’on a tous grandi en regardant du porno, on ne pourra jamais le savoir et ça c’est dommage. Même si dans l’intimité tu peux parfois te retrouver à faire des trucs super hardcore, finalement, le porno ne montre que ce moment-là, pas l’avant ni l’après. Ça risque de baiser un peu – sans mauvais jeu de mots – les rapports entre les jeunes. Les mecs de 14, 15 ans qui voient des meufs se faire gang-banger par douze mecs, ils vont arriver et c’est ça qu’ils vont avoir en tête. Même s’ils peuvent faire la part des choses, c’est quand même de l’ultra-violence, l’air de rien, et c’est très facilement accessible.

Orgasmic : Maintenant il y a les téléphones !

Fuzati : Et il y a un truc qui est plus pernicieux. Avant on te filait une cassette et tu t’en foutais si l’actrice était jolie ou pas, c’était du porno. Désormais tu peux essayer de composer, tu peux aller dans des niches… Cette recherche du tag parfait est un peu étrange, parce que la réalité n’est pas comme ça. Le sexe, c’est la rencontre de deux personnes et ce ne sont que des compromis parce que chacun est différent, à moins de tomber sur une personne qui te correspond totalement, ce n’est jamais du « tout, tout de suite », sur mesure. La réalité n’est pas comme ça. Être habitué à regarder toute la journée ce qui te correspond est quelque chose de bizarre. Dans la vraie vie, c’est un truc qui se construira progressivement.

La quête du Tag Parfait t’apprend justement qu’elle ne pourra jamais être pleinement satisfaite. C’est là où le réel intervient irrémédiablement, les désirs évoluent et l’écran de l’ordinateur ne sera jamais qu’un palliatif. Tu m’as dit avant l’interview que tu n’étais plus du tout au courant de l’actualité porn, tu n’en consommes pas du tout ?
Fuzati : En fait,  il m’est venu un jour une pensée qui m’a tout à fait bloqué. Finalement, quand tu regardes du porno, tu as des gens qui sont en train de plus ou moins prendre du plaisir, de s’amuser, et toi tu es comme un con avec ta queue devant ton ordinateur. Une fois que tu sors de ton corps et que tu t’es vu comme ça, ça devient bizarre. Et puis peut-être que c’est comme tout, tu vois à une époque j’écoutais beaucoup de son des années 90’s et puis je suis arrivé à saturation. Là, il y a peut-être une saturation à voir des anus dilatés. Et puis il y a le côté glauque. Pierre Woodman, par exemple, je trouve ça super sale. Tu sens très bien que les meufs sont là parce qu’elles ont besoin de thunes et en regardant ça, tu cautionnes. Je ne condamne pas le porno, je suis juste passé à autre chose. De toutes façons tu ne peux pas dire « Je suis pour ou contre le porno », il y a tellement de styles de porno différents et certaines font ça parce qu’elles kiffent vraiment. Encore une fois, personne ne t’oblige. Si les gens y vont c’est que quelque part ça les intéresse.

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Pour revenir à ma première question, le porn peut-il avoir selon vous une influence d’un point de vue musical ?
Fuzati : Chez moi j’ai la B.O de Gorge Profonde qui défonce. Dans le porno des années 70’s tu avais des trucs assez cool.

Orgasmic : Il y a une frange du rap américain où les liens avec le porno sont hyper assumés. Tyga produit du porno par exemple. Il y a eu les DVD de Snoop. Le rap de strip club est devenu beaucoup plus populaire. Je pense aussi à des mecs comme Juicy J et Three Six Mafia… Pour certains de ces mecs-là, ça fait aussi partie de leur vie d’être avec des actrices porno, ils en côtoient vraiment.

Sur Planetarium tu parles de « menteurs rêvant de gros seins, de gros moteurs »…
Fuzati : C’est toujours un peu le truc ! A part les mecs dont parlait Orgasmic, peut-être. Mais tu as plein de types dans leurs clips, tu vois bien qu’ils ne baisent que dalle, que c’est juste des meufs qui ont été engagées pour la journée.

Orgasmic : Comme la voiture qui est souvent de location !

Fuzati : C’est le côté qui fait un peu plus pitié. Soit c’est ton style de vie et dans ce cas-là tu assumes, mais pour moi ce sera toujours bizarre de voir un mec qui a une Rolex et qui prend le métro. Necro a poussé le délire jusqu’à se faire sucer dans un clip, au moins le mec parle de baiser des meufs depuis des années, et voilà il le fait.

Vous avez parlé de rap US mais quid de la France, on se souvient de la collaboration entre Doc Gynéco et Dorcel en 2006, un peu sur le modèle de ce qu’avait fait Snoop en 2001 avec Hustler…
Fuzati 
: Les Français, toujours un métro de retard…

Et si vous deviez collaborer à la bande-originale d’un film porno, ça donnerait quoi ?
Fuzati : Ça ne m’intéresserait pas de bosser sur un tel projet, je pense que la musique n’est pas du tout importante dans le porno. C’est vraiment un tapis sonore, les gens n’y prêtent pas attention, tu peux mettre n’importe quelle musique d’ascenseur. Et comme ça n’a pas d’importance, je ne vois pas pourquoi je me prendrais la tête à essayer de faire quelque chose.

Orgasmic : Et pourtant, même quand tu regardes des gonzos pourris où ils mettent toujours deux minutes d’une espèce de musique d’intro, c’est très actuel. En ce moment c’est des trucs de trap, c’est hyper chelou ! Ça suit les courants musicaux et l’actualité musicale d’une certaine façon, mais toujours en en faisant une espèce de version d’ascenseur, un peu passe partout.

Fuzati : Ça m’intéresserait plus de travailler sur un film « traditionnel » où tu as des scènes pornos mais où la musique doit avoir un intérêt. Juste illustrer une scène de cul, je n’en ai pas trop envie. C’est comme quand on me demande quelle musique je voudrais mettre pour niquer. Quand tu es vraiment dans l’action, tu n’en as rien à branler.

Dans l’interview que vous aviez fait avec l’abcdr du son, tu constatais avec amertume l’emprise du virtuel sur les gens, l’incapacité à décrocher de son portable, tu penses que la communication entre individus en souffre beaucoup ?
Fuzati : Il n’était pas forcément question de la communication entre les gens, mais plus d’être ancré dans la vraie vie et pas tout le temps dans le virtuel. Il faut arrêter de toujours s’échapper, parfois ça peut être pas mal de regarder ce qui se passe autour de toi ou de prendre un bouquin.

Orgasmic : J’ai une vision très positive des évolutions liées au virtuel. D’ailleurs, je pense que la vie virtuelle va considérablement faire évoluer le porno avec tous ces casques qui arrivent bientôt. On va passer à un truc d’immersion encore plus intense que regarder de la 3D. Ca va changer considérablement les choses. Il va y avoir du matériel qui va aller avec, des espèces de trucs dans lesquels tu mettras ton pénis, en mode réalité virtuelle !

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Est-ce que le personnage de Vive la vie ne serait pas encore plus désabusé aujourd’hui avec l’avènement du virtuel qu’il y a dix ans, au moment de la sortie de l’album ?
Fuzati : Oui, bien sûr ! Il essaierait d’envoyer des textos et il n’aurait pas de réponse ou des trucs du genre « Non »,  ou « Lol ». (Rires)

Sur La fin de l’espèce, la semence jouait un rôle fondamental…
Fuzati : C’est un album sur le fait de ne pas se reproduire, donc si tu as suivi des cours de biologie, tu comprends pourquoi c’était important d’en parler. (Rires) C’est aussi pour ça qu’il y est question de porno, d’éjaculation faciale, de sodomie… Le sperme est utilisé autrement, ce n’est plus juste le truc pour planter la petit graine. Ça devient aussi un truc avec lequel tu peux jouer.

Il y a une référence qui m’a beaucoup plu dans Grand Siècle, c’est quand tu évoques le jeu Ecco The Dolphin sur Monogramme. Vous y jouez toujours ?
Orgasmic : Non, ce jeu m’avait saoulé ! En plus, je ne suis pas retro-gamer. Ma fille oui, par contre. Elle a dix ans et elle voulait absolument la Game Boy Color juste pour avoir le premier Pokemon.

Fuzati : Je n’éprouve pas de nostalgie car je n’ai jamais eu de console quand j’étais jeune. Je devais aller chez les gens pour y jouer. Je fantasmais sur la Megadrive et la seule personne qui en avait une ne possédait que Ecco The Dolphin comme jeu. Ça me paraissait ouf parce ce que c’était la console de mes rêves ! Mais en fait non, c’est super chiant comme jeu, tu es un dauphin quoi. Qui a envie d’être un dauphin ? Par contre, je joue à fond à F-Zero sur la Super Nintendo que j’ai récupéré. Comme les nouvelles consoles sont chères et que j’ai très peu de temps pour jouer, je n’investis pas là-dedans. Il n’y a pas de délire nostalgique, je n’ai jamais été trop un gamer, je suis assez nul aux jeux vidéo.

Orgasmic : Par contre on a beaucoup joué à Golden Eye ensemble, sur un tout petit 16:9 ! Il était ouf ce jeu, on y a passé des nuits entières.

Fuzati : Ha ouais ! Putain. Golden Eye. Je l’ai fini en mode « une balle, t’es mort ». Une fois ils avaient pris un trip avec un de ses potes et ont joué pendant des heures à Golden Eye, ils y étaient encore au petit matin ! J’y joue encore de temps en temps mais ça a vieilli.

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Orgasmic, d’où vient ton pseudo ?
Orgasmic : Il vient d’une discussion entre amis rappeurs, à l’époque. Ils voulaient me trouver un autre pseudonyme que celui que j’avais. Il s’est avéré que c’était ça, c’est même une fille qui l’a suggéré !

Fuzati : Tu as vu qu’il y avait une pub pour une marque de capote qui s’appelle Orgasmic ? Et le truc en plus, c’est deux platines de DJ ! Une avec le signe masculin, l’autre avec le signe féminin.

Orgasmic : Arrête ! (Rires)

Qu’est-ce que vous écoutez en ce moment comme musique ?
Orgasmic : J’écoute une chanteuse R&B qui s’appelle SZA, qui est du crew de Kendrick Lamar. Et des tools de techno qui sont inaudibles, à part par moi ou quand les DJ les mélangent. Mais moi je préfère les écouter séparément.

Fuzati : J’écoute du jazz anglais, fin 60’s, début 70’s. Des mecs comme John Taylor, Don Rendell et Ian Carr. J’écoute aussi un peu de musique brésilienne, Azimuth, de la fusion du début 70’s. J’en profite pour mettre le doigt sur un phénomène bizarre, c’est cette hyper-sexualisation des chanteuses mainstream qui ne choque plus personne. Elles sont obligées de faire ça pour vendre des disques alors qu’à l’époque, Nina Simone n’a jamais eu besoin de se mettre à quatre pattes pour avoir du succès. Aujourd’hui, Rihanna, tu as l’impression que tout ce qui lui manque dans la vie c’est de faire un gang bang. Pareil pour Christina Aguilera ou d’autres. Il n’y a pas de pénétration mais c’est tout comme, la limite a franchement été dépassée. Miley Cyrus – qui ne sera jamais kiffante, quoiqu’elle puisse faire –  qui choisit Terry Richardson comme réalisateur pour son clip, c’est le symbole que le porno prend désormais part à la culture mainstream. Notre clip pour Sinok va à l’opposé de tout ça, on a choisi de montrer des danseuses sans plan graveleux, loin du cliché.

Photos par Keffer

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