Entretien avec l’abcdrduson : sexe, pouvoir et biftons

Gonzo – Sur un autre bord, avec les Ruff Ryders à l’époque par exemple, et encore maintenant il a cette espèce d’ambiance crypto-gay ultra virile et ambiguë chez les rappeurs qui sont pourtant la définition même de l’hétérosexualité. Vous en pensez quoi ?

Nico – Non, il y avait Eve quand même ! Mais c’est vrai que sinon…

Mehdi – C’était leur caution !

Guilhem – Booba aussi, le mec est tout le temps torse nu…
Mehdi – Ha bah ouais. Loin de moi l’idée de traiter Booba de… Je veux que ce soit très clair, j’ai pas envie de finir dans une petite boîte. Les Ruff Ryders c’était extraordinaire, les mecs étaient tous habillés en cuir, il y avait l’imagerie motard…mais moi je kiffais ça. (Rires)

Nico – Le reflet de ça c’est l’album 10 de LL Cool J.

Mehdi – Je me rappelle qu’il y avait eu une polémique de ouf du genre « Putain mais c’est quoi ce truc super gay ? »

Nico – LL Cool J quoi ! Ladies Love Cool James ! On ne dit pas Les Mecs Aiment Cool James ! Qu’est-ce que tu fais mec ? (Rires)

2Pac-booklet

Mehdi – Mettons les pieds dans le plat parce que personne n’ose le dire, mais en vrai le premier mec – enfin peut-être pas le premier, mais un dont personne n’ose parler parce que « respect », c’est Tupac avec le livret de All Eyez On Me, il est quand même en petit débardeur en cuir sans manches ! Je pense que c’est la limite tu vois, entre les mecs qui aiment s’exhiber et l’imagerie que ça peut parfois dégager. C’est comme Booba sur 0,9.

Nico – Mais il y a plein d’exemples comme ça ! Genre Erick Sermon. J’ai beaucoup d’amour pour Erick Sermon hein.

Mehdi – No homo quand même.

Nico – Bah no homo mais il y avait de la grosse rumeur de couloir le concernant. Cette petite moustache m’inquiétait déjà assez. (Rires)

Guilhem – L’homosexualité dans le rap, elle existe mais moi je ne connais pas de rappeurs qui en parlent (à part dans la récente scène queer).
Mehdi – Tu as une rumeur en ce moment sur Young Thug qui est la nouvelle sensation Trap, qui est une sorte de mélange improbable entre Lil’ Wayne et Gucci Mane qui est extrêmement fort. Et…il y a des rumeurs, mais je sais pas dans quelle mesure c’est vrai…

Gonzo – Tu ne peux pas, finalement, quand tu es rappeur assumer ton homosexualité avec toute cette ambiance ultra-hétérosexuelle autour. Comme les mecs dans les cités, alors que ça existe.
Mehdi – C’est un peu ça. Il y avait aussi Lil’ Wayne qui embrassait Birdman et qui avait justifié et assumé et ce geste en disant « I kiss my daddy. » Parce qu’en gros, Birdman c’est son père spirituel et ils s’embrassent sur la bouche en fait, entre eux. Et pour eux c’est pas du tout, du tout gay.

babykiss

Nico – Quand ils font leur coming-out généralement c’est dans leurs derniers jours. Guru aurait avoué dans ses derniers jours qu’il avait caché son homosexualité pendant toute sa vie. C’était un groupe super populaire, c’était inimaginable. Guru, putain. Il ne voulait pas l’assumer parce que le contexte n’était pas propice à ça.

Mehdi – Mais c’est évident que ça existe, il y a tellement de rappeurs, il y a tellement de footballeurs… mais oui, après, c’est compliqué à assumer…et si tu le présentes comme ça, t’es tellement « différent » que tu vas en effet être un spécimen, genre Mykki Blanco.

Nico – Tu ne peux pas être un rappeur grand public-populaire et être gay.

Guilhem – T’es stigmatisé, t’es brimé, tu peux pas…
Nico – « Il fallait le dire avant ! Si on avait su, vous nous avez trompés ! »

Mehdi – Après c’est le rap qui est comme ça aussi, il évolue. Même en France, à un moment on était en retard, tu ne pouvais presque pas être blanc et ne pas venir de cité et rapper. Enfin, tu pouvais, mais tu étais très vite catalogué comme « rappeur alternatif ». Il y a quand même un monde entre les Svinkels et Fuzati par exemple.

Nico – C’était tellement binaire en fait. Si tu faisais pas du rap de rue, tu faisais du rap alternatif.

Mehdi – Exactement. Et il n’y avait rien entre les deux. Alors que La Caution, qui est, pour moi, un des plus grands groupes de rap français, ils racontaient des vraies histoires de mecs de cité. Mais musicalement comme c’était pas du rap classique, il y avait parfois des trucs un peu plus électroniques, un peu différents et du coup ils étaient classés rap alternatif.

Nico – C’est juste la maturité du public français pour le rap. Quand tu vendais La Caution, t’étais qausi obligé de le vendre en tant qu’alternatif, surtout à l’époque. Alors que c’est beaucoup plus complexe que ça.

Guilhem – Il y a aussi d’autres contradictions. Pour Booba et Kaaris par exemple, tu vois que ces mecs-là sont des gros thugs mais qu’ils ont tous une copine…alors qu’ils rappent « mes baskets sentent la schnek, trop de putes à mes pieds » !
Mehdi – Je suis très curieux d’entendre le prochain disque de Booba maintenant qu’il va être papa. Pour les gens qu’ils le suivent depuis Lunatic c’est presque un moment intriguant. Est-ce qu’il va continuer à dire les mêmes trucs, les mêmes conneries sur les meufs, ou est-ce qu’au contraire, comme Jay-Z, il va arrêter de dire « bitch » parce que sa fille sera née ? [bien que ce ne soit plus le cas, ndlr]

Nico – Aujourd’hui Booba et Kaaris c’est la même chose, ce sont des personnages. Je ne pense pas qu’il va nous parler du fait qu’il va donner le biberon à son gamin le matin. Il va garder son masque de « Je suis Booba et je fais mon personnage de Booba ». Le rap aujourd’hui, quelque part, c’est l’imagerie du rebelle. Comme le rockeur des années 80 était un gros rebelle, on fantasmait sur les gros rockeurs. Le rappeur aujourd’hui c’est juste le rockeur revu à la sauce 2013 quoi.

Gonzo – Y’a la même chose avec le porno, comme on est dans du fantasme, dans la projection, on est dans l’ultra-sexualité et c’est sain que ce soit comme ça finalement, que le porno ce ne soit pas la réalité. Parce que c’est chiant. La réalité est chiante en fait.
Nico – C’est juste du fantasme, c’est pas ton quotidien, c’est justement aussi pour ça que tu as envie de t’échapper en écoutant un truc. J’écoute Chief Keef, j’ai pas envie d’aller buter un mec le lendemain dans la rue. Pourtant il y a une énergie, pendant une heure je vais me faire un truc comme je me fais un Scarface, et voilà. C’est pas pour ça que je vais être Tony Montana !

Mehdi – Il y a deux façons de concevoir les choses et tu les retrouves dans tout : les gens qui veulent avoir quelque chose de très proche de leur vie, ou quelque chose qui va vraiment les éloigner, les faire voyager. Personnellement, quand je vais au cinéma, les trucs ultra-documentaires, très proches du réel comme Erick Zonca, La Vie Rêvée des Anges – ça me fait chier, je préfère voir Bad Boys II ou Life of Pi ou Django je sais pas, des trucs qui sont très loin de la vie quotidienne. Je pense que c’est ça aussi dans le rap.

Nico – Ce sont les deux écoles du rap. Avec l’école réelle, très authentique, collée à la réalité et tu as cette espèce d’école de fantasme, de spectacle. C’est ça, c’est le film super classique qui colle à ta réalité. Tu te dis « Putain, j’ai l’impression de vivre ma vie, il a retranscrit ça. » Ok, ça a un intérêt, ça te plaît, ça te plaît pas, ou justement le fantasme absolu, les trucs que tu vivras pas qui te font un peu rêver.

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