Histoire d’oeufs

Il y a quelques matins où j’ai rêvé d’être un oeuf. Allez savoir pourquoi : l’oeuf est probablement l’objet le plus abscons de notre galaxie alimentaire. Pas vraiment rond, mais toujours pas carré, l’oeuf n’a pas d’autre utilité que d’agrémenter des carbonaras carbonisées ou de rater ses oeufs pochés. Surtout, l’oeuf est probablement l’aliment le moins sexué qui soit : ni phallique ni vaginique, il ne ressemble pour ainsi dire : à rien du tout.

Et pourtant, l’oeuf fait saliver les pervers de tous bords, qui voient dans le freudisme de sa conception la métaphore idoine d’un monde en fétichorama. Ainsi de Tenga, dont le masturbateur phare en épouse la forme absurde, ce qui n’a littéralement aucun sens technico-technique – qui s’imaginait un jour baiser un oeuf ?! N’est pas banane ou courgette qui veut… mais l’oeuf s’en sort plutôt bien malgré ses défauts de fabrication. La morale est sauve : nul besoin d’avoir une forme évocatrice pour pénétrer au Panthéon des aliments sexualisables.

La preuve avec sa présence rondelette sur les xtubes (en majorité dans des saynètes onanistes, notamment de vibros féminins éponymes ; on trouvera même une vidéo de foodporn sans une once de porn, un comble qui témoigne du statut de l’oeuf-roi sur ces ondes). Parmi ces apparitions remarquées, nos yeux ébahis pourront notamment s’enthousiasmer pour #cumonfood matinal. A peine sorti du bed que c’est déjà le breakfast pour madame, miam miam :

On notera que Queeny sait réussir l’épineuse cuisson d’un oeuf mollet à point, mais se refuse par contre à le gober proprement ; hum. Elle n’est bien sûr pas la seule à s’exercer à la Bénédicte au sperme, mais on vous épargnera les versions malement filmées : le foodporn est un art autant visuel que papillaire, non mais ! On vous laissera donc le soin de cliquer vous-mêmes sur les liens conseillés : par ici pour des oeufs brouillés au jus de bukkake, ou par là pour un cocktail aux trois oeufs et dix-huit shots, avalé d’une traite qu’on suppose difficile à passer.

Mais la vraie valeur érotique de l’oeuf ne saurait s’arrêter à ces maigres collations. Car l’oeuf prend tout son sens dès lors qu’il revient à ses premières amours : la pondaison. Chacun connaît l’adage, séculaire : la poule sort de l’oeuf qui sort de la poule qui elle-même sort de l’oeuf, et ainsi va le cycle de la vie. Mais oeuf rime aussi avec meuf, et l’adage prend alors un tout autre sens poïétique.

La scène la plus marquante de L’Empire des Sens (dont le producteur Kōji Wakamatsu vient de passer de vie à tripailles, smiley condoléances), celle d’un oeuf orphelin qui fait plop en tombant de la jeune chatte d’Eiko Matsuda, aura décidément marqué la jeunesse culinaire de quelques pornographes – et la mienne par la même occasion. Sur les tubes, on n’hésite pas, on récidive et s’en inspire. Heureux que nous sommes, on pourra même choisir entre la version pascale assez dégueulasse (pauvre lapin, pauvre Jésus), et celle beaucoup plus affriolante au doux parfum d’hashtag #ADP. Trois oeufs pondus sous ces deux seins qui confinent à la perfection : je n’ai jamais autant rêvé d’être un poussin pipou.

Mais ce n’est là que la partie émergée de l’oeuf qui, comme chacun sait, flotte parfois. Enfonçons-nous encore un peu dans les tréfonds de l’omelette baveuse en revenant aux pop-cultures nippones, toujours prolixes en what-the-fuck cinématographiques. Si Tamporo n’est pas resté dans les annales du cinéma contemporain, sa scène du baiser a connu un succès mérité : un jaune d’oeuf qui coule sur un menton pointé au ciel, ode au swapping qui aura inspiré quelques lesbiennes gastronomes et affamées. Là encore, comment ne pas souhaiter se réincarner dans cette ovalie jaune, transfugée entre deux bouches juvéniles avec la douceur d’un glaviot discrètement échangé ?

Et puisqu’on nage en plein bonheur, plongeons-y la tête jusqu’à s’y noyer. Comme le dit un félin proverbe bulgare : si tu n’obtiens pas ce que tu veux avec de l’argent, tu peux l’obtenir avec beaucoup d’argent ! Il en va de même pour les oeufs : un oeuf c’est bien, mais un gros oeuf : c’est mieux… Alors on prend les mêmes (des japonaises assagies, dignes VRP du what-the-fuck) et on recommence : cette fois avec un oeuf d’autruche très bien monté, pour finalement se retrouver face à cet envoûtant massage qui nous rappellera les heures les plus jaunes de nos bridées lisses.

Malheureusement, les oeufs d’autruche ne courent pas les rues, et coûtent suffisamment cher pour résister à nos ardeurs d’apprentis oeufologues. Mais le porno pense à toutes les bourses (cette vanne…), et sait proposer des alternatives plus précaires mais tout aussi chatoyantes. Certaines requièrent quand même une bonne douzaine d’oeufs et un gros saladier (la version ricaine du précédent massage, j’te raconte par le nettoyage), mais d’autres se limitent à un seul et unique embryon pour arriver à leurs fins : nous faire jouir.

En panne de lubrifiant ? Votre frigo est là pour dépanner. D’après l’auteur de la vidéo lui-même : c’est plutôt lol. Et il serait bien sot de ne pas écouter un mec qui a assorti son vernis à ongle à la couleur de son lubrifiant culinaire, CE GÉNIE (qui sera censuré pour ne pas heurter vos jolis petits yeux : cliquez donc ici pour admirer ce héraut)

Ton nouveau tube de lub’

Entre massages homoérotiques et branlettes de belles teubs, chaque amateur pourra donc s’y retrouver avec l’oeuf – ce qui est loin d’être le cas des autres aliments sexués, dont l’usage se résume bien trop souvent au combo pénétration / éjaculation / digestion. Est-ce à dire que l’oeuf a gagné ? Vu les tares avec lesquelles il partait, certainement. Et j’espère que je ne serai donc plus seul à prier Bouddha pour ma future réincarnation en oeuf : avec un peu de chance, toi et moi sortiront de la même poule et finiront unis, à la vie à la mort, dans une adaptation cinématographique de George Bataille – à qui on cédera le mot de la fin, lui qui seul a su mettre des mots sur cet insoupçonnable érotisme de l’oeuf :

Quand elle quitta la chambre, il commençait à faire nuit. J’allumai dans la salle de bains. Simone assise sur le siège, chacun de nous mangea un oeuf chaud, je caressai le corps de mon amie, faisant glisser les autres sur elle, et surtout dans la fente des fesses. Simone les regarda quelque temps immergés, blancs et chauds, épluchés et comme nus sous son derrière ; elle poursuivit l’immersion par un brut de chute analogue à celui des oeufs mollets.
Il faut le dire ici : rien de ce genre n’eut lieu depuis lors entre nous ; à une exception près, nous avons cessé de parler des oeufs. Si nous en apercevions, nous ne pouvions nous voir sans rougir, avec une interrogation trouble dans les yeux.
La fin du récit montrera que cette interrogation ne devait pas rester sans réponse, et que la réponse mesura le vide ouvert en nous par nos amusements avec les oeufs.

Georges Bataille – Histoire de l’oeil (1928)

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