Richard Kern, shot in Paris

À l’occasion du tournage de son Shot by Kern en mars dernier, d’un passage à la Cinémathèque et d’une expo, nous avons attrapé Richard alors qu’il sortait du casting et avant qu’il n’examine ses Polaroids pour sélectionner les modèles parisiennes.

Richard Kern : On m’a dit que vous étiez un site porno intellectuel, j’ai demandé comment c’était possible, on m’a répondu que c’était la France… Mais moi je ne fais pas de porno, alors qu’est-ce qu’on va se raconter ? Bon ba je baisse mon pantalon…

LTP : Wokay… Les amateurs de ton travail récent ne connaissent peut-être pas tes films des années 80. Ils s’inscrivaient dans un mouvement appelé le cinéma de transgression. En quoi est-ce que filmer des scènes de sexe était transgressif ?
Le sexe qu’on voyait dans ces films, ce n’était pas du sexe romantique, et en ce sens c’était transgressif. Dans Fingered par exemple – dans tous mes films en fait – le sexe est violent. On parle des années 80, quand, tout ce que montrait Hollywood, c’était des scènes de sexe très romantiques, avec des bougies et tout, et je ne connaissais personne qui faisait l’amour comme ça, jamais. Dans la vraie vie, tu rentrais le soir, t’étais un peu hourdé, tu jetais quelqu’un sur le lit et tu baisais. Ou bien c’était tout simplement une bande de défoncés qui faisaient n’importe quoi.

Donc c’était plus une réaction au cinéma traditionnel qu’au porno…
Ah oui ça n’avait rien à voir avec le porno, c’était contre Hollywood. Et puis c’était aussi beaucoup… Par exemple dans Goodbye 42nd street, il y a une scène avec ma copine de l’époque et ce type… Je voulais juste la voir le faire. Ils baisaient déjà ensemble, j’étais furieux, et je voulais au moins en être spectateur, donc je les ai mis tous les deux dans une scène. En fait, très souvent, je demandais à des gens s’ils voulaient baiser devant la caméra, et je leur disais qu’on ferait un film autour, juste pour les voir le faire. Tu peux obtenir n’importe quoi avec une caméra. Les gens qui réalisent des pornos le font pour l’argent, moi je ne shootais pas pour l’argent, ce n’était pas l’idée.

Je lisais récemment un article critiquant le cinéma érotique, qui serait une mesquinerie quand tout le monde veut en fait voir des bites et des chattes. Tu partages cet avis ?
On m’a proposé d’exposer au musée de l’érotisme, et rien que le mot m’a fait dire non. Le mot « érotisme » semble avoir été inventé pour rendre acceptable l’envie de regarder du sexe. J’aime regarder des trucs sexy, mais l’érotisme, particulièrement en photo, c’est… J’ai fait ce genre de clichés hein, quand j’ai débuté, en noir et blanc, avec des filles qui posent et se mettent de l’huile et toutes ces conneries, mais c’est juste une excuse pour les mater toutes nues, c’est stupide. Je déteste l’érotisme, vraiment. Quelqu’un a écrit à propos de Face to Panty Ratio, un de mes récents films, que c’était du mauvais érotisme. Mais ce n’est pas érotique putain, l’érotisme n’est pas le propos, le sujet c’est la beauté, c’est l’obsession, l’obsession pour des choses que tu regardes mais qui sont inaccessibles.

Tu rencontres beaucoup de filles qui « posent » ?
Oui, surtout des modèles d’agences. Hier je shootais une fille ici pour un magazine et je n’arrêtais pas de lui dire d’arrêter de prendre ces poses stupides qui rendent bien sur un catalogue, mais pas avec moi. Un des trucs c’est de n’avoir aucun miroir ou élément réfléchissant, car dès qu’elles se voient elles réagissent à leur image. Bon et puis j’essaye de shooter très vite pour qu’elles n’aient pas le temps de se laisser aller à ces conneries.

On s’appelle le Tag Parfait, en référence à la quête de la meilleure combinaison de mots-clés sur les tubes…
[Il coupe] Je n’ai jamais fait ça, je n’utilise pas les tags, il faut que j’essaye.

…C’est comme ça que tu as découpé ton DVD Extra Action, avec un segment legs, un segment BBB
En fait l’histoire de ce film, c’est que Taschen me filait 11 000 dollars de plus si je faisais une vidéo, alors j’ai juste compilé quelques trucs que j’avais tournés, ce n’était pas génial, j’étais embarrassé de sortir ça mais les gens ont vraiment aimé, à ma grande surprise. À l’époque j’avais un genre de site porno, newnudecity, qui n’était pas à moi mais qui portait mon nom, je tournais beaucoup de vidéos parce qu’ils voulaient des vidéos, et pas mal d’entre elles étaient finalement assez chouettes.

J’aime regarder du porno, mais – comme tous les mecs j’imagine – j’aime surtout regarder des films où je sais qu’il y a cette actrice particulière qui sera à poil. Un de mes amis me racontait l’autre jour qu’il avait demandé à un type s’il avait vu tel film, et le type lui répond que c’est de la merde, alors mon pote lui dit « oui mais dedans il y a machine qui est à poil », et l’autre de rétorquer qu’il ne regarde pas un film pour voir une actrice nue… Tu rigoles ?! Pourquoi est-ce qu’ils mettraient des filles nues dans les films si ce n’était pas parce que c’est précisément ce qu’on veut voir ?

Tu es très #voyeur et #celebs, est-ce que le voyeurisme est l’étape ultime de ta recherche du réel ?
Toutes mes photos sont fake, ce sont des fausses versions de choses réelles… Mais je suis un peu sorti de cette phase. À un moment c’était un truc nouveau de voir des célébrités à poil, mais maintenant elles sont partout. T’as vu cette photo de Scarlett Johansson, de son cul ? Ça c’était chouette, c’est mon écran de veille. Il faut que ce soit quelque chose comme ça, spécial, que tu n’as jamais vu. Mais aujourd’hui tu peux voir à peu près tout…

Comment est-ce qu’une photo de voyeur, qui n’est en rien artistique, peut devenir une œuvre d’art ?
Ça tient beaucoup à la composition évidemment… Mais c’est intéressant parce qu’on voit bien que n’importe qui peut prendre une bonne photo. Moi j’ai toujours travaillé sur un type de composition, un thème. Dans ma série Office, il y a une femme dans un bureau, avec un tailleur, et elle se penche pour étudier une carte et tu peux voir sa culotte… À ce moment-là je m’intéressais aux « choses que j’aimerais voir ». Quand tu te promènes tu peux parfois entrevoir ce genre de scènes. Je marchais récemment sur la 14ème, une rue très passante, et je croise une jolie fille avec son copain, elle portait un t-shirt très ample et ses seins en sortaient, elle ne s’en apercevait pas, elle marchait et tous les mecs avaient leurs yeux rivés… C’était incroyable, ça aurait fait une super photo.

Tu dis que tu ne fais pas de porno, mais n’y-a-t-il pas une frontière, quand tu shootes une fille et qu’elle commence à se toucher par exemple, au-delà de laquelle ça devient un peu du porno ?
Ça devient du porno si je l’utilise pour ça. Il y a quelques scènes dans Extra Action où je disais aux filles « masse-toi un peu » en pensant « s’il te plaît, s’il te plaît, caresse-toi », et parfois ça arrivait, et je me disais « merde alors »… Ça a fini sur un DVD. Est-ce que c’est du porno ? Je ne sais pas. Je n’ai pas touché d’argent pour ça, ce n’était pas prémédité. Il arrive, quand j’ai de la chance, que ça devienne vraiment porn, mais je ne le publierais plus aujourd’hui, je le garderais pour moi.

En ce moment je shoote quelque chose qui s’apparente vraiment beaucoup à du porno, je ne sais pas ce que je vais en faire. J’utilise du Cetaphil, qui ressemble à du sperme, et j’en asperge les modèles par terre… J’ai demandé à toutes les filles aujourd’hui si ça les dérangeait que je les couvre de savon. C’est tellement suggestif… Trop pour que je le publie, ça ne marche pas avec ce que je fais, mais qu’est-ce que c’est beau ! Et la raison pour laquelle c’est beau, c’est que ça ressemble à un bukkake.

Dans Extra Action il y a cette scène avec une Japonaise qui se masturbe sur un lit, et après qu’elle ait joui il y a un plan sur ses yeux qui roulent de gauche à droite et de droite à gauche… Ce n’est pas le plan le plus hard du DVD mais c’est probablement le plus puissant. Qu’est-ce qui t’excite particulièrement pendant les shootings ? Est-ce que tu cherches à pousser les modèles vers de relatifs extrêmes ?
À propos de cette scène en particulier, je lui avais juste dit de se tourner sur le lit et elle a commencé à se caresser, et j’ai eu la bouche sèche, et puis je me suis dit « wow, elle est en train de jouir putain », c’était fou. Mais pour ce qui est de l’extrême… J’ai montré à la Cinémathèque mon film Cutter : une fille, japonaise aussi d’ailleurs, m’avait écrit qu’elle aimerait être photographiée et je lui avais répondu qu’elle avait beaucoup de cicatrices et elle m’a dit qu’elle se scarifiait parfois. J’ai trouvé que ce serait cool à shooter. Elle a pris un avion immédiatement. Je l’ai filmée et interviewée, elle était juste assise là à se couper, c’est un film simplissime mais c’est tellement extrême. Ce n’est pas comme ces slasher movies californiens qui glorifient le sang, elle parle de dépression, de la drogue qu’elle prend, tous ces trucs… C’est ce que j’ai shooté de plus hard, pour moi, mentalement, j’ai mis des années à pouvoir regarder les rushes. J’avais peur, je ne me sentais pas bien, ça me donnait l’impression d’être l’auteur d’un genre de porno bizarre.

Et maintenant ?
Disons que j’ai réussi à l’accepter… Et je crois que c’est vraiment bon. Mais ce n’est pas sexy du tout.

J’ai une question pour vous : est-ce que vous savez si les gens se branlent sur les Shot by Kern ?

J’imagine, forcément.
Je ne comprends pas pourquoi des gens payent pour du porn, pourquoi ils ne vont pas juste… Moi je vais sur Xvideos, c’est comme Youtube, tu peux t’y perdre. Le porn a un objectif : te faire bander. Alors ça va être différent pour chacun évidemment, mais justement le meilleur truc sur Xvideos c’est la preview que tu peux voir n’importe où dans la barre de progression, et hop tu chopes le meilleur moment, parce que t’as pas le temps ! C’est pas l’histoire qui m’intéresse…

[S’adressant à notre photographe, des étoiles dans les yeux] Tu regardes du porno ? Tu regardes quoi ?

Pauline [qui ne s’y attendait pas] : Euh, plutôt de l’amateur, mais j’aime bien les trucs arty aussi…

Richard : Moi je regarde beaucoup de porno français des années 70 et 80, c’est mon genre préféré. Les femmes françaises de cette époque sont géniales, Il y avait quelques actrices vraiment incroyables. Sinon j’aime bien les trucs japonais, bien barrés, comme les films avec des vielles. Tu ne sais jamais à quoi t’attendre avec le japorn

Il y a des poils dans le vintage et le nippon. Tu as souvent l’air content de découvrir un pubis quand le modèle ne l’a pas rasé…
Oui c’est vrai, mais il y a un gros comeback. Je regardais Caligula l’autre jour, et à un moment sa sœur dans le film, qui n’a pas de scène de sexe mais qu’on voit nue, lève les bras, et je m’aperçois que fuck, elle a de longs poils blonds sous les aisselles, ça m’a marqué, et je me suis dit qu’il fallait que j’explore maintenant, si c’est vraiment un truc qui m’excite. C’est toujours un gros choc pour moi. Ça l’était aussi par exemple en parcourant les photos de New Yorl Girls, j’ai réalisé que beaucoup de filles à l’époque ne se rasaient pas les aisselles, je ne le remarquais pas particulièrement quand je les shootais… Ce genre de trucs, les fétichismes, se développent tout au long de ta vie. Récemment j’étais à la piscine avec une fille avec qui j’étais sorti vingt-cinq ans plus tôt, et elle est toujours très belle. Elle est assise là, et je vois ses pieds, et la courbe incroyable de sa voûte plantaire, je regarde ses pieds et je me dis God, comment j’ai pu ne pas m’en rendre compte à l’époque. Mais je n’étais juste pas plus intéressé que ça par les pieds…

There’s so many variations of everything.

Photos : Pauline Smadja

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