Son of a Bifle

Le réalisateur Jean-Baptiste Saurel est un fan notoire de Tarantino, et à l’image du menton le plus proéminent et bavard d’Hollywood, il préfère clarifier les choses façon dictionnaire en introduction de ses films. Si Pulp Fiction s’ouvre sur une définition précise du terme « pulp », le court métrage La Bifle mis en scène par Saurel débute lui aussi par une mise au point linguistique – certes inutile pour la plupart des lecteurs du Tag – qu’on partage ici :

Quelques secondes avant cette précision lexicale, La Bifle débute en réalité son générique d’ouverture par le logo de la très sérieuse Semaine de la critique de Cannes 2012, la section parallèle du festival dédiée à la découverte des jeunes talents. Fun fact : le court, tourné en mars dernier, y avait été sélectionné sur visionnage d’une version préliminaire, et sa post-production ne s’est véritablement achevée que deux jours avant le début du festival. Le générique de fin n’est pas en reste non plus niveau street-cred du 7e art : on y découvre que des structures comme le CNC, la Sacem ou encore l’Adami ont apporté leur soutien à ce court métrage. De quoi titiller ma curiosité : comment un film de 25 minutes où il est principalement question de taille de pénis et de coups de bite géante a pu s’attirer de tels appuis institutionnels ?

Difficile de faire plus alléchant (et intriguant, venant du pays de Dany Boon) que le synopsis officiel : « Francis est le patron d’un vidéo-club qui doit son succès aux films de Ti-Kong, star du Kung-fu et briseur de nuques. Complexé par la taille de sa bite, Francis n’arrive pas à avouer ses sentiments à Sonia, son employée. Mais lorsqu’elle se voit offrir un rôle dans Evil Nurse, dernier opus de Ti-Kong, Francis n’a plus le choix. Il va devoir regagner sa confiance pour sauver Sonia d’un terrible danger : la Bifle »

En vous parlant aujourd’hui de La Bifle, on verse à la fois dans l’inédit (le film n’est pas visible en ligne), l’annonce (des projections du film arrivent, dont celle organisée par Panic Cinema le 29 octobre, le Tag vous en reparlera) et le #old, sachant que le court a donc été projeté en mai dernier à Cannes où il s’est attiré une plutôt bonne presse – même Premiere.fr a kiffé. Sauf que moi, j’étais pas à Cannes, d’ailleurs je vois pas trop ce que j’y foutrai vu que j’ai déjà une carte Gaumont illimité et l’ADSL. Je me suis donc contenté d’une copie numérique du film, et au-delà de l’aura cannois cité plus tôt, c’est la facture même du film qui m’a agréablement surpris. Avec un présupposé aussi potache, je m’attendais clairement à un délire entre potes tourné à l’arrache avec un Canon 5D, genre sketch de 10Minutes à perdre. Or, s’il y a bien du zboub à foison dans La Bifle, il y a surtout du dialogue pêchu, des acteurs attachants et une esthétique qui n’a rien du truc cheap et bricolé qu’on aurait pu craindre. Jugez plutôt :

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Histoire de tout de suite mettre les choses au clair et de ne pas non plus passer pour un suce-boule de première, reconnaissons que le film n’est pas exempt de défauts. Le côté über-dialogué évoqué plus tôt n’évite pas toujours la lourdeur. Quant au coup du duo de potes nerds employés de vidéo-club, ça fait juste presque 20 piges qu’on en a vu la couleur du côté de chez Kevin Smith avec Clerks. Dur également de cautionner le caricatural personnage du producteur porno à l’accent rital totalement hystérique, ses apparitions dans le film étant relativement pénibles – de ce côté là, l’hilarante prestation de François Damiens dans un rôle similaire chez Les Kaira n’a pas à craindre la concurrence.

Ces piques réglementaires envoyées, concentrons-nous sur ce qui fait le charme du film. Ouvertement fan des comédies américaine de l’écurie Judd Apatow (Superbad, En cloque, mode d’emploi), Saurel nous propose avant tout une bromance saupoudrée de pastiche de films de genre (kung-fu en tête), et non une parodie de série Z genre Grindhouse avec une pincée de fion autour. De cul explicite, d’ailleurs, le film en est quasi exempt, à une prothèse de chibre XXL près. « On ne voulait pas d’un film obscène, Jean-Baptiste déteste la vulgarité » nous explique Amaury Ovise (Kazak Productions), producteur du film. Pas de nichons ni de petites fesses, aucune sécrétion génitale : le film est bien sage comparé à ses lointains cousins japonais bardés de membres surdimensionnés baladeurs. La taille du sexe est d’ailleurs au centre du scénario : le héros, un trentenaire complexé par son entrejambe, s’en va tout de même affronter un hardeur expert en bifle doté d’un braquemard d’éléphant pour conquérir la fille de ses rêves. « A la fin, on voulait que cette grosse bite soit tellement drôle à l’image que ça purge toute l’obscénité de la chose », ajoute Amaury, qui confesse que malgré son absence d’images trash, le film n’a pas connu un financement de tout repos.

Si la thune du CNC a été facilement récupérable via un dispositif d’aide automatique, Saurel étant un ex de la Fémis, une douzaine de régions ont refusé de mettre la main à la poche jusqu’à ce que la Haute Normandie se décoince un peu et accepte. « Aucun diffuseur télé n’a souhaité le financer sur lecture du scénario. Du côté de France Télévisions, on nous a bien fait comprendre qu’un pénis de 1m20 à l’écran, ça n’allait pas être possible. Du côté de Canal+, ils hésitait mais le succès d’estime à Cannes les a convaincu », détaille le producteur. La chaîne cryptée diffusera normalement La Bifle en octobre dans Mickrociné, son émission hebdo consacrée au court-métrage. Aucune mise en ligne sur une plateforme type Vimeo ou YouTube n’est prévue pour l’instant – on doute que ce soit encore le cas après la diffusion sur Canal, avec ou sans l’aval de la prod.

Amaury planche désormais avec Jean-Baptiste Saurel sur le développement d’un potentiel long-métrage qui pourrait être une extension de l’univers de La Bifle. Suite/adaptation ou pas, il sera sans doute question de l’angoisse des trentenaires pas super à l’aise niveau vie sexuelle. Tant que Saurel n’y troque pas les délires à base de pines king size contre des monologues relous en huis-clos intimiste, on suivra ça de près.

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