De Brazzers à Manwin : mainmise sur le porno mondial

Ce n’est plus un studio, ni une marque, ni un modèle, c’est une véritable pieuvre qu’est devenu en à peine 6 ans Brazzers. Le studio créé en 2005 sous l’impulsion de trois nerds, trois petits génies qui n’avaient jamais mis les pieds sur un tournage X : Ouissam Youssef (le visionnaire), Stephane Manos (le businessman) et Matt Keezer (le roi du SEO, l’optimisation de moteur de recherche) est devenu entre temps Manwin, holding aux ramifications sans fin, avec à sa tête Fabian Thylmann, premier magnat du porno mondial.

De Brazzers à Pornhub

Parti de la méthode BangBros, c’est à dire créer un network de niches en pointant les fantasmes des jeunes dudes américains – principalement les milfs à gros seins – le studio s’est rapidement hissé en haut des charts aux côtés de BangBros, Naughty America et Reality Kings. Puis il a finalement dépassé BangBros, en perte de vitesse au tournant de cette décennie, pour devenir le network numéro un. Trois ans après sa création, il monte Mofos, son petit frère orienté starlettes. Un second network plus proche des attentes d’une nouvelle génération de fappeurs, où la tension et l’empreinte au réel font la force de ses productions. La sucess story de ces trois potes aurait pu s’arrêter là, mais ce n’est pas cette histoire qui nous intéresse, c’est ce qu’est réellement devenu Brazzers ; la vitrine d’un empire porno tentaculaire. Petit retour quatre ans en arrière, année de naissance du porn 2.0.

2006 marque l’arrivée sur internet des Xtubes avec comme emblème YouPorn. Reprenant le modèle de Youtube mais adapté au porno, et évidemment gratuit, les Xtubes se moquent du copyright, se réfugient dans des paradis fiscaux et jouent au chat et à la souris avec les studios classiques. Une provocation que ces derniers voient d’un très mauvais oeil, au moment où les effets du p2p commencent sérieusement à ronger leur chiffre d’affaire. En à peine un an YouPorn est devenu synonyme de porno, répondant ainsi à une forte demande du public, toujours plus nombreux à regarder du porno, mais de moins en moins prêt à lâcher sa carte bleue. Tant et si bien que dès 2008 en France, le tag “youporn” a dépassé “porno” dans les recherches Google. Le site est ainsi devenu une marque générique comme Kleenex ou Frigidaire. C’est donc tout naturellement que d’autres tubes se sont multipliés. Flairant la tendance, Matt Keezer rachète alors début 2007 en toute discrétion le nom de domaine pornhub.com pour la modique somme de 2 750 dollars et monte ainsi le premier tube du jeune network.

Porno VS Youporn. Source : Google Trends

Le biz entre deux chaises

Les fondateurs de Brazzers ont compris qu’il ne fallait pas s’étendre sur ce projet, et continuer à communiquer comme si de rien n’était sur leurs productions, à travailler leur SEO et à croquer des parts de marché de BangBros. Mais voyant l’audience des autres tubes exploser, ils en profitent – parallèlement au rachat d’autres sites de niches – pour s’offrir Tube8 et ExtremeTube et ainsi élargir leur offre, semi-légale. Leur positionnement est pour le moins délicat : un pied dans la profession (Brazzers), l’autre chez l’ennemi (Pornhub). La discrétion est donc de mise.

Ils tentent alors un jeu dangereux mais qui va s’avérer payant. Ils injectent leurs propres productions dans leurs tubes à côté des vidéos illégales, tout en luttant ouvertement mais mollement contre le piratage. Les internautes ne se doutent de rien et pensent que ces productions sont pirates ou le fait d’uploadeurs généreux. Au premier abord (si ce n’est les pubs pour Mofos ou Brazzers, qu’on retrouve également sur Piratebay ou chez les concurrents), rien n’indique que Pornhub et Tube8 appartiennent au studio ; c’est pourtant un premier cercle vertueux qui se crée. L’auto promo discrète et gratuite des productions Brazzers se fait via Pornhub. La marque est ainsi présente à la fois dans une offre légale sur leur network et surtout là où l’audience est désormais massive : sur les tubes. Brazzers grossit vite et devient Mansef, première holding du groupe.

Quand l’astuce de Pornhub est découverte par la profession, nos trois nerds commencent sérieusement à avoir  chaud aux fesses, ils deviennent, du haut de leur jeune âge, les nouveaux hommes à abattre du x business. Sentant le vent tourner, ils quittent la boîte, s’évaporent dans la nature ou foncent placer leur agent dans le caritatif, pour se racheter une conduite publique. C’est en mars 2010 qu’un geek-businessman allemand de 31 ans, Fabian Thylmann, qui a déjà bien roulé sa bosse dans le business du X (Privateamateure, Webcams, XTube ou DirtyHobbyJob lui appartiennent), rachète pour 140 millions de dollars Mansef qui devient alors Manwin. C’est la création du premier “tycoon” (magnat) du porno mondial.

Infographie de l’empire Manwin début 2011. Courtesy of NYMag.com

Un empire porno est né

Dès lors, son expansion s’accélère, avec la volonté non affichée mais évidente de devenir leader dans chaque catégorie du X. De la production (Brazers, Mofos) à la distribution (classique et “moderne” via son réseau de tubes), en passant par les services de webcam, les contenus éditoriaux (les différents blogs de la boîte) et maintenant les médias classiques (via Playboy Plus Entertainement). Manwin veut être partout.

L’audience des sites appartenant au groupe (cf fin d’article) donne le tournis. Pornhub (Alexa Rank 73) ; Youporn (Alexa Rank 79) ; Tube8 (Alexa Rank 114) ; SpankWire (Alexa Rank 363) ; Keepmoviez (464) ; XTube (Alexa Rank 670) ; Brazzers (Alexa Rank 949) ; Mofos (Alexa Rank 1926)… Mais l’entreprise ne s’arrête pas là. Pour asseoir sa crédibilité dans le monde du porno, elle monte avec succès courant 2010 ZZinsider le blog SFW de Brazzers, puis Peeperz, équivalent du Tag Parfait aux Etats-Unis mais avec une force de frappe… américaine. L’audience cumulée de ces sites est estimée – même si le chiffre est contestable – à 50 millions de visiteurs uniques par jour ; ce qui placerait l’empire Manwin dans le top 10 mondial.

Fabian Thylmann, en businessman aguerri, a faim. En mai dernier, il rachète YouPorn, symbole d’une génération élévée au porno gratuit et premier tube français en popularité.. En juin c’est Twistys qui se fait racheter, incluant Sextube, Gaytube et Trannytube pour étendre son offre aux LGBT. En août c’est Playboy qui est approché pour conclure un accord avec Playboy TV et son business en ligne. Fabian déménage alors sa boîte dans un pays aux facilités fiscales évidentes, le Luxembourg. Paradoxalement ce pays interdit la création de site porno en .lu pour la «protection des bonnes mœurs» et voit d’un mauvais oeil l’arrivée du magnat du porno sur ses terres.

Où va-t-il s’arrêter ? Difficile à dire, l’homme est discret, Manwin et ses 13 SARL n’apparaissent pas dans l’annuaire luxembourgeois, il n’existe même pas de page Wikipedia sur lui, seule sa page Linkedin est active. Face à Manwin, très peu (ou plus) de concurrence, mis à part XHamster et XVidéos qui font des scores plus importants que Pornhub, et LiveJasmin qui reste, de loin, le site de sexcam numéro 1 au monde. Les studios traditionnels sont très très loin derrière. Combien faudra-t-il de temps pour que Manwin mange sa concurrence et devienne numéro un absolu ? Les acquisitions s’accélèrent, l’entreprise grandit (500 employés dans le monde dont 350 à Montréal (l’ex maison mère) ; + 50% d’audience cette année) et Fabian a désormais la mainmise sur le porno.

Fabian Thylmann a monté son Xanadu

On entend partout que le X va mal, pour les studios qui sont restés sur des méthodes de marketing des années 90 peut-être, pour les petits malins qui ont grandi avec internet, moins. Si le combo Brazzers / Pornhub pourrait être un modèle économique à suivre pour attirer massivement la génération des 18-30 ans qui consomme du porno sans en acheter (voir le système légal d’affiliation qui régie les xTubes), l’hégémonie de Manwin commence à devenir vertigineuse. Le porno aurait-il son premier Xanadu ?

Certes, Fabian Thylmann n’a pas la mégalomanie de Charles Foster Kane, ni le style d’un Hugh Hefner, mais son empire n’en est pas moins tentaculaire. Dans un contexte pornographique dépressif, l’insolente vitalité de Manwin devient un véritable feuilleton économique. Malheureusement, Fabian Thylmann, en pur businessman pragmatique, semble – comme l’étaient les fondateurs de Brazzers, mais de manière encore plus féroce – apporter peu de crédit à la qualité de ses produits, du moment qu’ils sont regardés massivement. Et c’est peut-être ici que se profile son talon d’Achille : à trop uniformiser son offre, il prend le risque de lasser. L’internaute a ses habitudes de consommation mais ses clics sont dictés par la nouveauté et surtout par l’offre la plus large au sein du même service. Résultat, face à Xvideos et XHamster, Pornhub voit son audience baisser régulièrement au profit de ces derniers, dont l’offre est la plus large.

La concurrence est féroce

Avenir incertain

Mais, en cumulant les dernières acquisitions comme YouPorn ou SexTube, la tendance s’inverse mais pour combien de temps encore ? Combien de temps faudra-t-il au public pour se rendre compte que leurs tubes favoris appartiennent tous au même groupe et contiennent les mêmes vidéos ? Les comptes Twitter des différents sites du groupe passent leur journée à se répondre, à la limite de la schizophrénie. Leur agrégateur de tubes, PornMD, renvoie par huit fois aux mêmes vidéos. Brazzers est partout, jusqu’à l’overdose mais a sensiblement ralenti la création de contenu. Seul Mofos garde encore un peu de fraîcheur, mais a également du mal à se renouveler.

Il serait temps que les barons du porno prennent enfin conscience de la nécessité d’adapter leurs contenus aux modes de consommation modernes ; sans ça, l’avenir du X risque de tomber dans les mains de ce geek businessman qui semble ne prendre son pied que lorsque les chiffres s’entremêlent. Aujourd’hui Manwin concentre 113 sites ou network et draine vers son réseau de tubes, une grande partie de l’audience (massive) des consommateurs qui ne payent pas. Personne aujourd’hui n’est en mesure de dire où Fabian va bien pouvoir s’arrêter. Internet is for business.

Fuck Yeah Fabian !

Chronologie sélective :

• Début 2005 : création de Brazzers.
• Janvier 2007 : rachat du nom de domaine pornhub.com puis création de Pornhub.
• Entre 2007 et 2008 : création des sites Sexproadventures, Bigtitsatwork… puis acquisition de Tube8 et ExtremeTube.
• Début 2008 : création de Mofos.
• Courant 2009 : création de la holding Mansef.
• Février 2010 : création de Peeperz (le véritable lancement se fera un an plus tard).
• Mars 2010 : rachat de Mansef par Fabian Thylmann qui devient alors Manwin. Les actifs xTube, Privateamateur, Webcams appartiennent dorénavant à cette nouvelle holding.
• Courant 2010 : acquisitions de MaxHardcore, SpankWire, GermanGooGirls…
• Juillet 2010 : lancement de ZZinsider.
• Mai 2011 : acquisition de YouPorn.
• Juin 2011 : acquisition de Twistys et de ses tubes (Sextube, Gaytube, Trannytube).
• Août 2011 : accord avec Playboy TV et acquisition du business en ligne de Playboy.
• Septembre 2011 : lancement de Peeperz XCast (show de 20 min sur l’actu porno.
• Novembre 2011 : lancement de Playboy Plus Entertainment.

Pour pour plus d’informations, on ne peut que vous conseiller de lire cet article très complet sur le porno paru en février dernier dans le NYMag et toujours d’actualité.

Aucun commentaire. Laisser un commentaire

  • Très intéressant, il faudrait que je relise ça à tête reposée. Plus d’articles du genre parlant du biz du porno ne seraient pas de refus. 🙂

  • dis, ça veut dire quoi SEO ?

    • Search Engine Optimization. Grossièrement, comment arriver à placer en tête son site dans Google. A une époque, en tapant PORN, la première ou deuxième réponse était Pornhub et/ou Brazzers. Ce qui est absolument délirant connaissant la bataille sans merci que se livrent les sites pornos pour arriver en première page Google. (J’ai fait un edit du chapeau du coup)

  • Juste par curiosité, où se place youjizz dans tout ça?

  • Très intéressant comme article. Petite typo par contre (je me permets)

    « la génération des 18-30 ans qui consomme du porno s’en en acheter »

    s’en en acheter -> sans en acheter 🙂

  • « Youporn est ainsi devenu une marque générique comme Kleenex ou Frigo. »
    Pour frigo, je ne vois pas le rapport 🙂

  • Excellent article sur les dessous du X buisness même si j’ai repéré une petite coquille.
    « s’en en acheter » —> « sans en acheter » (dans le paragraphe Fabien Thylmann a monté son Xanadu)

    Il montre que la pornographie s’impose en vrai modèle industriel. Partant d’une vision idéaliste et artistique, qui consiste à faire ce qu’on ne fait pas ailleurs, à parler à tous les publics, à croquer les parts de marché des mastodontes… On en arrive à la standardisation à l’uniformisation et… à la globalisation (I see ya Google).

    C’est le but de toute entreprise, arriver au stade de l’oligopole en dépit de la « concurrence libre et non faussée » (sic)

    Grace au warez j’ai constaté que Brazzers avait une longueur d’avance claire sur Bangbros, Mofos, Naughty america et compagnie. Une véritable écurie d’actrices hallucinantes spécialisée dans des mini séries (Pornstar like it big, milf like it big, big tits at work, big wet butts…). Brazzers c’est aussi une qualité d’image irréprochable et parfois des mises en situation originale ou comiques.
    Malheureusement le tout à tendance à s’essoufler. Les vidéos sont plus rares, les actrices moins variées, les scène sont de plus en plus ressemblantes.

    L’esprit initial se serait-il envolé sur les coups de butoirs d’un idéal mercantile ?

  • Top article, je RT et je poste sur mon forum pour le coup !

  • Face aux difficultés judiciaires d’Xhamster, Manwin aurait peut-être l’occasion de leur faire une offre ?

    A moins que ce soit Manwin qui soit à l’origine de leurs ennuis *ambiance paranoïa*. Ca ferait une bonne idée pour de scénario télévisuel pour Aaron Sorkin tout ça.

  • Ou est-ce qu’on va pouvoir se branler « bio » maintenant ?!!

  • L’article qui te permet de parler business avec DSK en toute détente ^^

Laisser un commentaire