Budapest : derrière le rideau vert

On est partis avec Guilhem couvrir le week-end d’une troupe de neuf rejetons de Gengis Khan, neufs potes de notre âge aux neuf zéros sur chaque compte. Non loin de Budapest, perdu en pleine campagne, là où se niche sur les hauteurs d’une colline un étrange manoir baroque, théâtre de débauche et de décadence.

Vendredi, premiers symptômes

Notre arrivée sur zone est tendue, on n’est pas les bienvenus et de toute façon on ne devrait pas être là car personne d’extérieur ne peut y accéder ; mais nous avons été conviés à l’événement par Patrick1, qui tient une agence d’escorts. Alors nous voilà, deux types paumés au milieu des voitures de luxe, des gardes du corps et du personnel qui s’affaire en silence. La tension est palpable. Patrick, lui, ça le fait marrer, il est content de nous voir et les choses ont l’air de plutôt bien se goupiller. On le suit, c’est ce qu’on trouve de plus prudent à faire.

Dans une salle isolée, nos neuf mercenaires font ripaille. Interdiction formelle de leur parler, voire même de les croiser, ils sont là incognito et personne ne sait rien d’eux, à part qu’ils ont débarqué en jet privé et qu’ils ont payé une coquette somme pour s’éclater. On passe furtivement devant et on poursuit la visite. Le manoir est un labyrinthe au décor d’un autre temps qui étend son luxe de coin en recoin, entre trophées de chasse et animaux africains empaillés.

Les loisirs en infinite2

C’est un week-end détente pour milliardaires qu’ont organisé Patrick et ses comparses hongrois. Au menu : traversée de Budapest en grande pompe sous la garde de la police locale, cuisine française, détente, tir au pigeon, fêtes et filles. Notre groupe est clairement pas venu pour taper le carton, mais plutôt pour claquer du popsi3. Des filles sont mises à leur disposition, elles viennent de Hongrie et des environs, elles sont actrices X ou escorts et pour le moment elles patientent plus loin car dans le pays de ces milliardaires, on ne mélange pas les genres, même à plusieurs milliers de kilomètres de chez soi.

Patrick continue à nous faire le tour du propriétaire, il nous présente un peu tout le monde, il est comme un gosse. De salle en salle, on arrive devant un rideau vert. Derrière se trouve le salon principal où se déroulera l’essentiel de la fête. Une danseuse du ventre y serpente sous l’œil attentif des animaux empaillés qui ornent l’endroit ; une girafe au mur a l’air de suivre ce petit ballet avec intérêt. Hello Babylone, tu m’avais manqué tu sais ! De l’autre côté du rideau, en backstage, les filles attendent sagement autour d’une table qui sera notre QG pour le week-end. On leur fait coucou et on poursuit la visite plus bas, direction la piscine intérieure, Patrick tient à nous présenter quelqu’un.

A peine le temps de humer le chlore ambiant que L., la vraie, une des plus belles actrices d’Europe, s’approche de moi avec l’aplomb et l’assurance de celle qui en a vu d’autres. Elle est enfin là, en chair. Je suis tétanisé, je baragouine quelques banalités dans un anglais branlant. Elle a repéré ma gêne, en joue, j’ai envie de fuir loin de tout, du porn, du sexe, de redevenir enfant et seul tellement sa beauté me met mal à l’aise. J’ai ses images en tête, ce film qui vaut sa carrière où elle nous fait découvrir Buda en bonne compagnie, sourires et yeux malicieux dans les remparts du château. C’est bien la même que j’ai en face, le décor a changé mais on reste en plan POV. Ça me défile devant les yeux et je suis muet, je suis pétrifié, malade de timidité et honnêtement dépassé. Cinq minutes s’écoulent et on passe déjà à autre chose ; je recommence à respirer. À mes côtés Guilhem s’apprête à dégainer.

Rappel à l’ordre

Les filles ce soir seront neuf, ratio impec, de la pornstar à la fille vulgaire, de la beauté cruelle à la silicone un peu gênante. C’est le moment que choisit Guilhem pour entrer en action. Flash, service d’ordre, main sur l’objectif ; last action hero ; on se fixe. Un coup de pression furtif mais propre vient de tomber sur un hipster, on se tend, on a faim, on a peur, beaucoup trop de paramètres en si peu de temps. On vient d’apprendre à nos dépens que personne n’est chaud pour faire la couv de Voici et qu’on ferait mieux de la jouer fine si on veut pas se retrouver dans le premier avion direction Paris avec la mafia russe en guise de PNC. Accueil tonique donc, on s’écarte du drame, histoire de souffler un peu et de se faire oublier.

Direction l’envers du décor, les cuisines, la cave, le restaurateur français et son personnel. Le manoir en a vu d’autres, des orgies romaines et des parties fines sous l’œil vicelard du patron des lieux. Un vieux coquin qui se pavane lentement de pièce en pièce, verre à la main et sourire au bec. Un bel enculé, nous dira-t-on plus tard, mais pour le moment on inspecte, on discute, on se restaure et on goûte le vin du boss.

Les filles appelées sont des party girls, elles ne tiennent pas le rôle d’escorts, elles sont pas venues pour discuter mais pour ambiancer. C’est ce qui est en train de se passer maintenant derrière ce fameux rideau vert, là où notre groupe a migré après leur dîner pour danser à grandes gorgées de Macallan 12 ans d’âge et de tonneaux de Redbull. Les mecs sont des colosses, des vrais guerriers, ils boivent tellement que ton foie de routard en aurait la nausée, et ce petit monde s’encanaille gentiment. Des petits coups d’œil furtifs nous indiquent que nos nouveaux amis font une petite boum bon enfant sans orgie en vue – comme pour le repas, on ne mélange pas les filles avec le clan des amis. C’est en haut à l’étage que le serious business opère, à l’abri des regards indiscrets. Le process est simple : la fille prend la main du garçon et l’emmène sexer dans une des chambres, et au vu du nombre d’aller-retour qui glissent dans notre dos, on se doute qu’elles ne chôment pas. Ce petit manège rythmé à coups de Kamagra – générique du Viagra sans les effets secondaires – se poursuivra une partie de la nuit.

Et nous on attend, on est là autour de la table avec les gardes du corps taillés en triangle et les organisateurs. La danseuse du ventre croisée plus tôt est aussi présente, une fille au sourire tellement magnifique que nos langues servent de ramasse-miettes ; du coup on se donne du courage pour la regarder sous perfusion de pálinka, l’eau de vie locale. L’alcool nous rassure et on commence enfin à se détendre. Y a pas grand chose à faire vu que notre marge de manoeuvre est réduite par leur stress, puis quand on a compris le système fille-danse-chambre-baise-danse, on a vite fait le tour puisqu’on ne peut rien mater. Le temps passe doucement et on se dit que ça serait bien de se la rentrer, les gardes du corps s’endorment et même les filles commencent à s’arrêter de « bosser », puis arrive l’improbable.

Un pipou dans le grand huit des émotions

L., débarque et vient me causer. Okay pourquoi pas, je pense continuer à lui baragouiner quelques conneries si ça peut lui faire plaisir, mais elle, elle me demande si je pense à elle. « tout le temps » je réponds, le sourire crispé. Et là, elle prend ma main. Le signal. WTF !? Il se passe quoi les mecs ? C’est pas moi le client y a erreur sur le destinataire, non ? Elle m’embarque « discuter » plus loin. D’un coup je pige l’issue, c’est pas possible, je suis tétanisé j’en tremble de partout. Non, quand même pas ? Si ? Ah bon… Comment faire… C’est pas tellement dans mes habitudes ces petits cadeaux en nature… On discute de choses inutiles, on se rapproche, non mais sans déconner ? Mon coeur commence à faire de la fumée à force de tourner à plein régime, je suis censé faire quoi là ? Désolé mais j’ai pas le mode d’emploi moi, je suis pas comme ces types là-bas, mais je me contrains à suivre le flux du fu. Techniquement j’ai 12 ans et je suis tout à fait puceau et elle s’approche trop, trop, trop près de moi pour que ce soit vrai, je suis tombé dans un mirage, j’espère, enfin je crois…

On monte à l’étage, observés par ces dizaines d’animaux cloués aux murs, il faut que je me pince mentalement, c’est la pálinka qui tape trop fort ou ce rêve prend vie ? Je ne sais plus, je me laisse couler même quand ce milliardaire passe à côté de nous et me file un coup de pression au cube. Tous les indicateurs sont maintenant dans le rouge, évanouissement temporel, une faille s’ouvre dans ma tête, je plonge dans les délices de ce vortex hongrois. Adieu douce innocence. La vie après cette parenthèse sera différente, je serai un homme dorénavant.

De retour sur un nuage, je vois qu’on se marre bien par ici, on se ressert un coup Guilhem ? Elle m’a l’air d’avoir des vertus intéressantes la grappa du vieux. Léger comme une plume, rire nerveux collé au cortex, j’avance dans la nuit magyare et ce pays commence à me plaire. Mais la tension remonte, on sait plus très bien si c’est l’alcool qui double les gens ou si la nouba s’est transférée de notre côté, mais toujours est-il qu’on est maintenant entourés de filles et que de l’autre côté ça discute sec entre potes. Y a un truc qui cloche, il est trop tôt pour fermer l’établissement, il se passe quoi patron ? Il se passe que les filles font monter les prix, deux passes et tu t’alignes, ce qui n’est pas tellement du goût de l’organisation qui avait prévu le full package et ne compte pas changer les règles du jeu en cours de route.

Puis y a pas qu’elles qui commencent à faire chier, le groupe aussi s’y met en renvoyant la djette puis toutes les filles comme on renvoie de la marchandise. Ils les traitent comme du bétail, malaise dans l’air quand le luxe impose son respect. Et la bande de potes a faim maintenant. Ils demandent un macdo alors qu’on est en plein milieu de la campagne à 2 heures du mat. Ça roule les mecs, par contre si ça ne vous dérange pas, on aimerait rentrer chez nous. Alors on se refait tout petits, on ne croise pas leur regard et on patiente gentiment que notre chauffeur parti à la conquête de l’Amérique revienne nous prendre. De retour sur place, il décharge la marchandise et les mecs avalent leur caprice avant de se barrer dans leurs chambres, seuls. On se retrouve là, plantés comme des cons. Les filles partent à leur tour, elles ne reviendront pas demain, sauf deux élues dont L. Finalement on se fait ramener par notre chauffeur tout-terrain qui ne dort jamais et on atterrit à Buda au fond de la nuit. Un flashback sur la soirée avant de se coucher, un dernier rire nerveux, et Morphée s’occupe du reste.

Samedi, Eyes Wide Shut

Posés à l’appart à envisager un futur incertain qui devrait rapidement débarquer, on attend le signal qui indiquera la présence de notre chauffeur dans le secteur. Pendant ce temps, les préparatifs vont bon train au manoir, la soirée s’appelle Eyes Wide Shut, et c’est pour ça qu’on est là. Le chauffeur arrive, un des gardes du corps d’hier, la vingtaine, une armoire normande sur pattes ; on monte, on pose pas de question. Sa Golf GTI noire rabaissée démarre et on s’accroche au siège. Sa conduite est plus que sportive, on fonce dans les rues de Budapest comme au grand prix de Monaco. Une fois sur l’autoroute, il pousse la sono qui beugle de l’eurodance et appuie franchement sur le champignon. On file vers le manoir à 200 à l’heure en lançant des appels de phares pour écarter les malheureux manants qui pourraient nous barrer la route. Je repense à hier, je pourrais crever à faire 15 tonneaux dans un ravin que ça me serait bien égal, et c’est à ce moment que résonne dans la campagne la reprise d’Hotel California par les Gipsy Kings. À supposer que la mort nous fasse signe dans un virage mal négocié, au moins on aura du style si quelqu’un a l’idée de filmer. Contre toute attente, on arrive entiers.

Toujours cette tension palpable sur place, Monsieur 10 000 femmes (un des organisateurs, ex “hardcore star” hongrois, du type cerveau planqué dans les pectoraux) nous adresse même pas un regard, bon esprit. C’est Patrick qui nous accueille, toujours ce même sourire, et nous emmène derrière les cuisines goûter le dîner royal du soir préparé par un restaurateur français expatrié à Budapest. Vins d’exception, cuisine parfaite, on est comme des coqs en pâte, la corruption a du bon surtout quand elle touche la corde sensible de la gastronomie française, notre fierté retentit dans les assiettes. On discute bouffe et bonne chère, on se fait arroser, on se marre, on s’en fout des filles de tout ça, ça n’a plus d’importance quand on se fait péter la panse.

Le temps est doux, on mange tout ce qui passe et on est vite cuits, justement c’est ce dont on avait besoin pour couler entre les murs et se glisser entre les regards. En haut, les filles se préparent pour la soirée Eyes Wide Shut, elles sont dix-huit, moins deux qui ont disparu dans les fourrées on ne sait pas trop comment. Guilhem en profite pour aller prendre quelques photos. Il revient cinq minutes plus tard, la queue entre les jambes, l’organisation nous fout encore des bâtons dans les roues, c’est compliqué cette affaire. Patrick nous rassure, on aura ce qu’il faut. Alors on continue à trinquer et à planer, plat après plat, de délices en douceurs. Mais les choses s’accélèrent.

Iván les bons tuyaux, l’autre collègue hongrois, annonce que le groupe en est au dessert. Patrick nous emmène à l’étage par une porte dérobée, on passe d’un coup du calme à l’effervescence. Elles sont toutes en train de se préparer, d’ajuster leurs sous-vêtements, entre shooting et pálinka pour se motiver. Des popsi à pleurer de partout, des boobs à croquer, je me bloque à l’écart verre de Lynch-Bages en main, j’observe le défilé des filles, pas malheureux dans mon coin. Je resterais bien une éternité à contempler ce petit manège, plaisir d’adulte comme être calé dans les loges du Crazy Horse. Y a de la punci4 dans l’air, ça me plaît. Quand tout ce petit monde semble prêt, branle-bas de combat, on s’aligne, on se met en place. Je croise sous sa capuche le regard de L. qui m’envoie un petit coucou mignon, je me liquéfie.

Plus loin l’orchestre classique prépare le terrain pour l’arrivée du défilé, tout colle au film de Kubrick, c’est impressionnant. Puis elles descendent une par une l’escalier, on espionne le tout de l’étage en évitant de trop se faire cramer. Toutes devant nos comparses de la biture, elles ôtent leur cape, dévoilant une partie de ce qui a motivé leur voyage . Ils applaudissent, le boss entame une danse locale et tout le monde est heureux. L’organisation peut souffler. On est au milieu de nulle part, des actrices X masquées s’exhibent pour un groupe de potes sponso par Visa Infinite, déguisés et masqués, on scrute tout ça au milieu d’animaux empaillés, tout est normal et on en oublie un peu qu’on n’est pas censés croiser ces types.

Parano dans le manoir

Les filles sont reparties je sais pas trop où, j’ai zappé un épisode, les mecs remontent l’escalier, j’envoie des signaux d’alerte à Guilhem : c’est la panique. On part se cacher comme on peut, c’est-à-dire face à un mur blanc… Je ne sais pas si le danger est réel, mais on a une ligne de conduite qui est de rentrer de Buda en vie, donc on se faufile comme on peut, on se cache derrière des poteaux, c’est absolument pas crédible mais je crois que les mecs s’en branlent, ils sont partis à la chasse aux petits culs. Ce foutu manoir est trop grand, on se perd, on retrouve plus la porte dérobée. C’est la merde. On croise un type, encore un coup de pression furtif, on baisse la tête. On tente une porte au hasard et par miracle c’est la bonne, direction fissa notre base secrète sur la terrasse.

Et il se passe quoi maintenant ? Les filles sont finalement retournées dans le salon principal où deux djettes peu vêtues envoient du son, ça se passe bien à en croire le nombre d’allers et retours vers les chambres. Le ratio a doublé, alors ils profitent doublement. Nous on est installés autour de notre table ronde, et comme on n’aura pas de quoi se rincer l’œil car pour nous les orgies ne sont toujours pas au menu, on continue à se mettre bien derrière ce satané rideau vert qui nous gâche la vue. Patrick nous fait apporter du Hennessy XO, le groupe commande une nouvelle caisse de Redbull, on fume un cigare en pensant à DSK dont l’affaire vient d’éclater sur nos timelines, ils dansent sur du R’n’B, on flotte total au-dessus de tout ça, même Monsieur 10 000 femmes commence à se détendre, ce qui serait cool car il commençait un peu à nous saouler, feu le cogneur de culs hongrois.

Pendant ce temps-là, y en a un qui commence à énerver l’organisation, c’est le pimp roumain qui s’est incrusté à la party et qui fait monter les prix de ses filles, un type un peu baraque en survet vert, la classe. Le type s’est caché dans les fourrés ou derrière un Hummer, va savoir, sûrement avec ses autre copains qui ont embarqué les filles volatisées en début de soirée. Il vient mettre la pression depuis un moment, car c’est lui qui contrôle les Roumaines sur le territoire hongrois. Nos gars les envoient gentiment chier et un sympathique « c’est un barbare, on va l’enculer » fuse dans l’air. Pourquoi pas.

Le brouillard s’épaissit

Côté spectacle, la fête bat son plein et les enchères montent pour savoir à combien va partir la djette, qui n’était pas forcement venue pour finir à quatre pattes, mais quand les billets pleuvent, le client est roi. Ils sont tous ronds comme des queues de pelle, un des serveurs chante comme un clown ivre des « House grappa ! House grappa ! ». On accepte à condition d’avoir du Redbull dedans. Finalement on saura jamais le fin mot de l’histoire de ce nouveau cocktail démoniaque, le serveur étant trop pété pour connecter ses derniers neurones. Plus loin, on entend des claques, une des filles s’amuse à gifler à la bûcheronne Monsieur 10000 femmes qui fait semblant d’être impressionné et se marre comme un fou. D’accord. Les choses se brouillent un peu, on capte de plus en plus mal les ondes, plus que des parasites et des bribes de conversations nous parviennent. Des filles passent nous rejoindre en titubant, la sueur au front d’avoir trop aimé, quand retentit dans l’atmosphère « Alors On Danse », tube qui a traversé les frontières pour atterrir dans ce domaine perdu et réchauffer une dernière fois la piste aux colosses.

Le petit matin pointe doucement son nez et les premiers rayons de soleil rebondissent sur les cadavres des bouteilles. Les filles se sont évaporées par magie, les dernières sont sur le départ. Notre groupe qui continue à jouer avec leurs capes et leurs masques, passe piquer des clopes à Guilhem ; pas de question, donc pas de réponse, il vaut mieux en rester là. Ils partent dans leurs chambres, on en profite pour aller voir ce qu’il reste du salon qui nous était caché. Les reliquats d’une fête bien arrosée jonchent le sol, sous l’oeil stoïque d’une hyène et d’un singe empaillés. On traverse ces ruines entre capotes intactes et canettes de Redbull éventrées, il n’en reste plus une goutte, ces types sont des ogres. En traînant nos pieds au manoir dans l’attente d’un éventuel chauffeur, on découvre une fille allongée près de la piscine, des masques par terre, des cigares écrasés, signes d’une orgie qui n’a pas tellement dégénéré. Ils sont droits dans leurs bottes ces bonshommes, rien ne bouge.

Les derniers survivants vont prendre la route, on négocie nos fonds de poche contre un chauffeur tombé du ciel et on repart dans le matin avancé vers Budapest. Le ronron de la voiture berce nos souvenirs de plus en plus vaporeux, le sommeil nous appelle. On passe à deux doigts de se prendre une voiture en contre-sens mais on fait confiance à notre bonne étoile pour nous déposer dans les bras de l’appartement.

Une chimère sur orbite

Enfin sur place, on s’endort, Budapest est une chimère sur orbite, loin des regards et de la morale. L’argent paye les fantasmes, concrétise les rêves qui arrivent sur un plateau d’argent. La vie en milliards, c’est du sur-mesure calibré selon ses désirs, c’est vivre dans le parc d’attraction de ses envies.

De notre point de vue périphérique, difficile de savoir ce qui se tramait dans la tête de ce groupe de potes, s’ils considéraient les filles comme des éléments du décor ou comme un service. Cette parenthèse d’un week-end, loin de leurs familles et de leurs responsabilités, ne semble qu’à moitié assumée : ils se sont offusqués du fait que les filles n’aient pas leur propre chambre ou qu’il n’y ait pas deux savons par salle de bain… Des signes qui ne trompent pas.

Et qui es-tu finalement, party girl ? Prostituée ? Escort ? À mi-chemin entre les deux, l’une ou l’autre selon l’heure ? Ne serait-ce pas le comportement de tes clients qui change ton statut ? Des parties fines de Berlusconi aux plateaux de tournages en passant par Budapest et ses orgies, à quoi tu penses quand tu changes de partenaire ?

On revient à Paris avec ces interrogations en suspens, on est quand même tristes de lâcher cette opulence et cette facilité pour nos petites vies d’un seul coup bien ternes. Sans argent, tu n’embarques pas sur porn star airlines, tu n’as que ton écran pour pleurer.

1 Tous les prénoms ont été modifiés
2 Carte Visa réservée aux très riches
3 Cul en hongrois

4 Chôtte en hongrois

Photos par © Guilhem Malissen

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  • Gonzo, le type qui fait rêver de devenir rédacteur au Tag.

  • Certainement le meilleur reportage que j’ai pu lire ici 🙂

  • Petite question, indiscrète évidement, on en arrive comment à avoir ce genre de contact journalisticopornochic ? Taff, pote, internet ? Pas que j’ai envie de me lancer sur vos traces, pure curiosité :p
    En tout cas superbe reportage, presque envie de retourner à Buda moi hu

  • Ouais… ce que tu nous décris là c’est quand-même la vision prolo-beauf de l’orgie. Celle faite de flouze et d’une absence totale d’imagination. Que les mecs en soient réduits à refaire Eyes Wide Shut montre bien à quel point « l’élite » n’est définitivement qu’une bande de blaireaux que seul le fric distingue. Et puis, ce porno bling-bling fait de nanas clonées et vulgaires n’a au fond rien de bien bandant. Aucun vice, rien de réellement conscientisé. Simplement des nanas totalement lisse à telle point qu’à part celles qui couinent différemment telle Kelly Wells, on ne les distingue pas vraiment.

    On part au Rainbow Gathering la semaine prochaine, je te ferai un topo des orgies hippies en mode peinture de guerre/encens/krishna murti si tu veux.

  • Plus que bien écrit j’avais l’impression de vivre le truc avec vous…!!!

  • J’avais arrêté de lire le Tag ces deux derniers mois, je l’avoue. Je suis con parfois.

    Les mots m’emmènent toujours plus loin que les images et j’en ai encore eu la preuve ce soir. (Sans vouloir minimiser le travail de Guilhem).

    Merci pour l’article, c’était du lourd.

  • Les mecs sont de véritables clichés vivants.

    « Meuh, on va a Budapest se payer de la pute ce week-end dans un manoir super cher en buvant du red bull et en mangeant du macdo… Meuh »

    Que les mecs soient milliardaires ou smicar, ils partagent toujours les mêmes fantasmes beauf d’un supporter de foot. C’est désolant.

  • Salut Gonzo (et Guilhem, oeuf corse!).

    Belle plongée dans cette sorte de faille spatio-temporelle, moitié beauferie-thunée-no class, moitié rêve humide éveillé (la pudeur du non-récit de ton escapade avec L. est des plus touchante).

    Donc, rien de nouveau sous le soleil: deux p’tits mecs en immersion hasardeuse, avec leur sensualité débordante, leur gentillesse et leur curiosité, c’est quand mm autre chose que la bande de types lourds, serrés du cul et des neurones, que vous avez cotoyés.
    La thune ne fait pas leur bonheur, ou alors j’ai raté un épisode…

    L’analyse globale de cette expérience et la question finale au sujet du concept (si j’ose dire) de party-girl confirment le niveau d’intelligence du TP.
    « Ya aussi du cerveau dans ma bite, passque sinon, c’est rien d’aut’ qu’un vit sans vie. »
    (citation imaginaire et pourtant bien réelle)

    Compliments pour la plume et pour les photos à l’arrachée.

    Vous, vous aimez la femme. Vraiment.

    See you !
    Toy

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