Les petites perceptions : premier impact

« Les petites perceptions » est une série de courts récits d’anticipation sur le futur du sexe et du porno. Dans un futur proche dont les racines prennent naissance en 2015, les frontières entre réel et virtuel se font de plus en plus floues. La technologie dupe les sens et ouvre la voie à une nouvelle ère : celle de l’illusion et du doute. L’émergence d’un nouveau continent.

Confortablement affalé devant le mur qui me sert d’écran, je fais défiler les pages de mon historique à l’aide de petites baffes dans les airs, trop feignant pour viser correctement de mon doigt-pointeur l’icône de Virtual Sin. Je remonte le temps et observe mes obsessions qui n’ont jamais vraiment bougé depuis toutes ces années. Toujours ces mêmes boules huilées qui s’écartent pendant que mes yeux s’écarquillent.  

Enfin arrivé je remarque une certaine Brittany dont le nom m’échappe. Virtual Sin m’assure pourtant avec un aplomb qui m’étonne qu’elle est taillée spécialement pour moi. Le site analyse ma conso depuis que j’ai accepté ce paramètre mais c’est bien la première fois qu’il se lance dans une recommandation aussi pointue. Qu’a-t-elle de si spécial ?

Elle s’appelle précisément Brittany Luv, c’est une rousse éclatante au pétard parfait avec un léger strabisme qui transforme déjà mes jambes en coton. Bordel, ces cons disent vrai, les tags qu’elle propose ressemblent à un menu de mes pires fantasmes. J’en avale ma salive de stress, ma main se met à trembler, mon coeur s’accélère. Le porn immersif est devenu une vraie dope, de l’adré pure à s’enfiler par les yeux ; un saut dans le vide depuis sa chaise de bureau.

Il est à peine 8h30 du mat’ et j’hésite quand même à mettre le casque, j’ai encore mal à la queue à cause d’hier soir. La tentation est forte, si dure que mon cerveau disjoncte et se convainc d’un quickie avec Brittany qui va me mettre immanquablement en retard. Tension, adrénaline, orgasme, endorphine… Tout ça me semble finalement assez naturel. 

Brittany… Brittany… Montre-moi que tes boss t’ont bien codée.

J’enfile le casque, ma chambre disparaît et l’interface supplante les murs jaunis de ma piaule mal rangée. Elle est là, elle m’attend en se dandinant lascivement dans son nuage de tags.

Avant de lancer cette histoire éphémère et virtuelle, plusieurs options se présentent et prennent la forme d’un curseur qui varie selon le niveau d’intelligence artificielle de l’actrice : allant de leur propre scénario à l’adaptation totale à mes propres fantasmes. Cette nouvelle option est encore expérimentale mais elle est prometteuse. Avec l’analyse de mes goûts, elle est censée s’adapter à mes fantasmes de manière interactive et proposer un porn plus proche de mes attentes. C’est du moins ce que j’ai compris en lisant en diagonale leur dernière newsletter.

Je choisis de donner sa chance au futur et de m’éclater les neurones par la même occasion, je pousse alors le curseur à fond à droite. Je lance le porn, l’interface disparaît et un nouveau décor prend forme.

À la place de ma chambre, ils ont modélisé une pièce sombre et crade. Le sol est en pierre, on dirait le sous-sol d’une vielle bâtisse dont je pourrais limite sentir l’odeur. Je les soupçonne d’être allés fouiller salement mon historique, à moins que ce soit un hasard ou ma parano ?

Je me balade dans la pièce mais pas trop loin car mes mouvements sont toujours limités par ma « vraie chambre » dont les frontières apparaissent dans le casque sous la forme de petites lignes rouges. Ces derniers liens avec la réalité physique me rappellent que je reste coincé dans un petit appartement dont la surface se réduit à mesure que les possibilités de la réalité virtuelle s’étendent.

Je fais rapidement le tour de cette cave étrange mais je ne trouve pas de trace de Brittany. Je lance un petit “hey ho !” qui ne sert à rien et je commence à regarder mes mains, fasciné par les progrès de leur modélisation. Je pourrais presque m’amuser à compter mes poils. J’entends alors un “honey…” par derrière. Je me retourne, personne. “Honey… come… please…”. Cette merde commence à me faire flipper.

Le son provient du mur qui sépare la chambre du salon que je ne peux pas traverser. Je suis coincé dans ce porn à moins que ce soit encore un bug du site. Je m’approche quand même du mur, à la limite du possible et il se change progressivement en une vitre qui donne vers l’extérieur.

Devant moi, Brittany est accroupie sur une surface en verre transparent, elle halète et s’enfonce lentement des doigts dans le cul. C’est comme si j’étais sous une table basse en verre mais debout. Elle a l’air d’être possédée et me regarde dans le blanc des yeux. Je m’approche au plus près du mur et colle mon oeil contre cette fausse vitre. Elle bave, crache, lèche la vitre qui est mon mur, qui est maintenant mon visage qui reste terriblement sec. La frustration est immense ; mon érection aussi.

Je recule et admire le travail. Les mecs sont forts, très très forts et je me demande si cette référence ne viendrait pas d’un porn que j’ai saigné cette année, une sorte de POV où un type était justement coincé sous une table en verre. Sauf que là je suis debout sous la vitre, comme si on avait mis à la perpendiculaire deux plans différents. Virtual Sin est en plein délire, j’hallucine dans plusieurs dimensions pendant que l’adrénaline n’en finit plus de vivre et mourir dans mon corps comme des vagues de stress et de plaisir.

Pendant que je regarde Brittany se masturber, une icône apparaît et me propose plusieurs tags : squirting, gaping, toys, jerk off instruction ou de passer à la scène suivante. Je choisis alors le JOI, dont la capacité à me faire jouir rapidement ne me déçoit jamais et convient parfaitement à l’heure matinale de cette rencontre.

Du bout du doigt je choisis le tag et après un petit lag dégueu, Brittany change d’attitude. Elle se lève, garde les jambes écartées et commence à me parler. Je m’approche du mur, je suis maintenant debout face à son entrejambe. Elle descend lentement, me fixe du regard, j’ai la bite à la main et une boule dans la gorge. Elle m’appelle par mon pseudo, une option payante qui vaut son prix : “Look at me Gonzo… don’t touch you little perv”. Je lâche l’engin qui vient rebondir sur le mur froid de la chambre provocant un nouveau choc de dimension.

Elle me parle, me dit de la regarder et de la fermer. Elle se touche à quelques centimètres de mon visage. J’espère que la vitre ne va pas lâcher ou le mur s’effondrer sur moi. Elle me demande de reprendre ma teub en main qui, tendue comme jamais, commençait à pleurer de chaudes larmes contre la frontière de ma réalité.

De manière méthodique, elle me dit ce que je dois faire et m’ordonne de suivre à la lettre ses instructions ; je suis coincé entre la peur et l’excitation. Quelques minutes plus tard, un décompte qui démarre à 30 apparaît à côté d’elle. Elle m’explique qu’à la fin du temps, je devrai jouir… Sinon je serai puni. L’envie d’en finir étant plus forte qu’une punition, je me concentre en fixant sa chatte qu’elle frotte dans une sorte de transe extatique tout en continuant à m’encourager. Je bois ses paroles sans fermer les yeux. Le décompte s’écoule lentement.

Le point de non retour arrive entre les chiffres 8 et 7, je me retiens de toutes mes forces, mes jambes tremblent, à 3 je serre les dents à les péter, à 1 j’explose en poussant un cri suraigu et cette folle en profite pour me squirter dessus. Surpris par son orgasme, je recule la teub à la main, je me prends les pieds dans un truc au sol, je m’éclate en arrière et me retrouve le cul par terre, le casque en biais. Un oeil dans chaque monde, je vois un bout de Brittany les yeux révulsés, de l’autre ma main souillée. Je suis sonné.

Je reste dans cette position pendant quelques minutes, puis j’enlève doucement le casque et vérifie que rien n’est cassé. Je me masse lentement le crâne et je reste encore un moment par terre, savourant les vagues d’endorphine qui refluent lentement, me laissant seul et doucement idiot, allongé sur le tapis de ma chambre.

Illustration par François Saintamon

Aucun commentaire. Laisser un commentaire

Laisser un commentaire