La campagne anti-porn de Fight The New Drug

Depuis le 25 septembre dernier, la Bay Area de San Francisco est recouverte de ces panneaux imposants, vous sautant aux mirettes comme des slogans tout droit sortis d’un mauvais remake de Invasion Los Angeles ou d’un film de Gaspar Noé : Porn Kill Loves. Leur mise en place est le fait des « Fighters », blazes assumés des instigateurs Mormons de Fight The New Drug. Le temps n’est plus aux sermons mais au combat, puisque ladite mention est enrichie d’un « Fight For Love », qui ne fait qu’appuyer la dimension « militante » du projet. Pas très Peace and Love, tout cela…

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Est-il pour autant question de criminaliser la pornographie ? Pas vraiment, avance le CEO Clay Olson. « Notre objectif n’est pas d’attaquer l’industrie directement ou d’outrepasser la légalité. Notre but est d’engager une conversation autour de ce sujet, en employant la science, les faits et les témoignages personnels. Notre campagne existe depuis 2008 et ne fait qu’accroitre, de plus notre présence en ligne est très forte. C’est la première fois que nous bénéficions de panneaux d’affichages pour répandre notre message« .

Spread the message ? Voilà une formulation qui, ironiquement, fait plus penser aux vidéos de nuru massage qu’à un parti politique. Mais le fond de l’affaire est moins fun que ce jeu de mots. Si l’on en suit le discours de Clay Olson, il n’y aurait rien de plus démocratique que Porn Kills Love. Passons sur le fait un peu taquin que ces « engagés » se plaisent surtout à vendre des t-shirts et avouons que cette démarche super-médiatisante de punchlines grandeur-natures invite moins au débat pédagogique qu’à la propagande qui claque. Et comment croire en la possibilité d’une « discussion » quand, sur leur site, les manitous de ce projet ne clament pas « think about it » mais bel et bien « tell the truth » ?

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The Facts of Life

Pour la galéjade, venons-en justement aux « faits » scientifiques. Une sorte de best-of de vérités toutes faites qui pullulent dans l’univers médiatique depuis trop longtemps déjà. Ces assertions bien appuyées sont celles-ci : le porno affecte le système cérébral puisqu’il provoque une addiction digne de la cocaïne (d’où la mention de nouvelle drogue), ruine vos relations sexuelles et la stabilité de votre vie familiale, renforce la violence faite aux femmes en alimentant les pulsions primaires masculines, influence d’une façon néfaste la perception des adolescents quant au sexe, et, lieu du tout-virtuel, condamne à la solitude et au mal-être. De plus, l’industrie porn est un vaste système mafieux corrompu qui se construit sur le viol, les drogues et la prostitution. On notera qu’en cette année 2015 il n’est jamais fait notion de productions indépendantes (du porn amateur entre couples par exemple), d’actrices militantes ou de cinéastes féministes. Il n’est jamais non plus question de parler du rapport de la femme à son corps ou du pouvoir libérateur de la catharsis

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En définitive, le jugement est principalement porté sur notre génération, celle des tagueurs connectés, des tubes et des réseaux 2.0, cette prolifération du triple-X comme culture pop qui n’aurait fait que pervertir davantage les idées prônées par Hugh Heffner et le Dr Kinsey en les vulgarisant et en les dématérialisant. Plus de façons d’avoir accès au porn, de plateformes et de niveaux de perception potentiels : l’ère de Pornhub et du VR  semble être celle des damnés. C’est ce régime technologique de l’accessibilité permanente et de l’intégration culturelle de l’explicite à notre quotidien – voire d’une façon ou d’une autre à notre personnalité – qui inquiète énormément ces faiseurs d’idées.

Loin de se faire discussion culturelle, le projet, qui nait d’une incompréhension face à l’évolution d’un public et à la réalité de son mode de pensée (la lucidité et les pratiques d’une audience), a tout…du conflit communautaire. D’un côté, la communauté du web, de la cam et des sites de stream, et de l’autre, ces Mormons vindicatifs. Entre les deux, tout un océan de thèses, de témoignages d’artistes pornographes et de producteurs clairement ignorés par ces foufous un chouia fanatiques, qui n’ont certainement jamais entendu parler, au choix, d’une Angie Rowntree.

Porn is the new drug

Porn is the New Drug

Entre les lignes, en jouant d’une peur constante dont l’objectif est de renforcer la la culpabilité de la figure parentale en surlignant ses responsabilités de pater familias (d’où l’accent porté sur le divorce, le couple et l’enfant), Fight The New Drug condamne moins le porno que l’acte de masturbation en lui-même, synonyme d’infidélité…voire la fiction, forcément blasphématoire : le porno est condamnable puisque comme tout oeuvre créative, il n’est qu’un mensonge. Le comble du comble ! Au-delà des nombreuses contradictions dissimulées dans ces textes (le porno n’a rien à voir avec les vraies relations sexuelles…mais est dangereux car il les imite) de nombreuses études sociologiques et neurologiques – comme celle-ci –  sont heureusement là pour démonter point par point leur « vérité »…la plus fréquemment (et scientifiquement) contestée étant celle qui donne tout son sens à leur projet, à savoir que le porno serait une drogue. Dès leur point de départ, l’argumentation des Fighters n’a plus la moindre raison d’être.

Bon, sinon les gars, et si vous matiez Orgazmo, histoire de ? Nulle doute que ce grand film mormon et politique (lui) pourrait vous donner quelques idées sympathiques…

 

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