Le souillage du Dirty Corner

En octobre 2014, le sculpteur Paul McCarthy faisait scandale avec son fameux “Tree”. Le 17 du mois, l’oeuvre s’était affaissée suite à un acte de dégradation volontaire. Ce buttplug géant installé Place Vendôme mettait en scène l’obsession première des artistes contemporains (l’anus) et a causé une belle colique à une tripotée de scandalisés puérils. Une indignation dont l’absurdité équivaut facilement à la censure de l’Origine du Monde par ce cher Mark Zuckerberg. Plus les choses changent, plus elles restent les mêmes… Surtout quand il s’agit d’employer le mot “pornographique” au vingt-et-unième siècle pour cacher ces sexes que nous ne saurions voir.

Rebelote dans le jardin du château de Versailles, tout près des oeuvres de Le Nôtre. Le Dirty Corner est l’œuvre du sculpteur Anish Kapoor et représente – tout du moins selon les dires de ce dernier – le « vagin de la reine qui prend le pouvoir ». En dévoilant l’intimité de l’instance royale, Kapoor souhaite par cette exposition “installer le chaos” en plein Tapis Vert. Résultat ? Le 17 juin dernier, cette grosse trompe d’acier de 60m de long a été aspergée de peinture jaune, subtile blague urophile s’il en est à l’égard d’une allégorie utérine. Ou quand l’archaïsme s’en prend à l’image la plus primaire qui soit, celle du Mont de Vénus.

anish kapoor vandalisme

L’ironie, c’est que le Masturbanisme d’Anish Kapoor a pour vocation d’interroger le public sur “la violence de la société contemporaine” et que ce type de nuisances lui donne entièrement raison. L’artiste va plus loin et déclare que cet acte intolérant est l’expression directe d’un malaise historico-politique gangrénant notre société nationale : “Le problème me semble plus politique qu’autre chose, il renvoie à une fraction que l’on me dit très minoritaire pour laquelle tout acte créatif est une mise en danger d’un passé sacralisé à l’extrême pour des desseins qui n’ont rien d’artistique.”. À travers la profondeur de cet orifice sombre comme l’obscurantisme, l’artiste met en évidence les cavités moisies de la caverne hexagonale. Et le cul de répondre au culte identitaire.

dirty corner shooting

Fustigeant ce vandalisme offensif, Kapoor nous invite à questionner non seulement le thème de la liberté d’expression mais, plus intéressant, la “tradition”-même du vandalisme. En 2008, le loufoque Jeff Koons provoquait déjà une levée de boucliers au Château avec son homard XXL, accusé d’outrager les emblêmes de notre belle République. Il ne fait pas bon proposer à Louis XIV un peu de kitsch ou de sang menstruel métaphorique, à l’image de cette peinture rouge qui recouvre les murs du Coin Sale. Ironiquement, les grands noms de la culture contemporaine se prennent régulièrement en pleine figure ce que les fédérateurs Dadaïstes prônaient, à savoir l’art du vandalisme et le vandalisme de l’art, autrement dit la “réponse à l’art par l’art”. Par cet irrespect commun, Kapoor rejoint donc Marcel Duchamp et de Vinci dans l’Histoire. Il y a pire dénouement pour un artiste qui, interviewé par le Figaro, n’hésite pas à qualifier son oeuvre de “métaphysique” et parle de “forces créatives” pour résumer ses abstractions…
Vagin ou pas, la masturbation, elle, est toujours d’usage à Versailles. N’en déplaise aux pudibonds.

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  • On va dire que c’est subjectif mais ce qui m’ennuie avec cette hor…euh, cette oeuvre c’est que c’est juste d’une laideur à faire peur (puis ça me pose un soucis lorsque le discours autour d’une oeuvre devient plus important qu’une oeuvre. J’y vois un peu un échec du manque d’évocation que provoque ce genre de croûte qui permet au moins à certain de départager les gens « qui savent » et les « barbares ».)

  • Je vis à coté du château et je me balade dans les jardins régulièrement. Je vais vous apporter quelques précisions sur tout ça :
    Déjà, il n’y pas 1 œuvre ou 2 mais 6.
    Évidemment personne ne parle des autres, alors que n’aimant pas la plupart des œuvres exposées, j’aime beaucoup Descension : un magnifique tourbillon d’eau ancré dans le sol.
    La très grande majorité des gens visitant les jardins sont des étrangers. Ils ignorent qu’il y a une exposition en venant. Ce qu’ils s’attendent à voir en est l’exact opposé du « Dirty Corner ». D’ailleurs, je l’ai remarqué à plusieurs reprises, les gens passent devant très interrogés (pour ne pas dire « dégoutés »).
    Anish Kapoor déclare qu’il voulait briser la perfection du plan d’herbe dans l’axe du grand canal. Ce qu’il n’a pas compris c’est qu’en réalisant cela, il vandalise lui-même une œuvre et la conception artistique des jardins du château.
    Ce mec étant totalement déconnecté de la réalité, il est à des années lumières d’imaginer que les gens trouvent son Dirty Corner gênant. Et pourtant, c’est vraiment pour de bonnes raisons (allez le voir en vrai, je vous jure…).
    Et au contraire je suis déçu qu’on ne parle pas de ses autres œuvres. Les miroirs (pourtant pas l’idée du siècle) sont intéressants, en accord avec leurs environnement et même les touristes apprécient.
    Alors d’accord Anish Kapoor peut être triste et dire que son œuvre vandalisée reflète la violence du monde moderne. Il manque plus qu’il sorte « si vous aimez pas c’est par ce que c’est de l’art »… Non mec tu fais de bonnes œuvres sauf que la c’est juste à gerber. Mais qu’il regarde 2 minutes en direction du grand canal, qu’il regarde les gens autour de lui et qu’il vienne dire haut et fort qu’il est fier de son Dirty Corner. Il est temps de redescendre sur Terre.

  • Oui, enfin parler d’art pour ces trucs, c’est quand même faire preuve de beaucoup de prétention et d’insultes envers les artistes et le public.

    Le plug était particulièrement moche et mal fait, aucune subtilité, aucun art, aucun travail artistique ni de recherche: vouloir nous vendre ça comme de l’art, c’est bien prendre les gens pour des abrutis. Malheureusement pour « l’artiste » (enfin, le commercial plus précisément), le « plus c’est gros, mieux ça passe » n’a pas fonctionné ici.

    De nombreuses prestations sont critiquées non pas pour la polémique mais pour leur qualité bien souvent médiocre. Sur les 3 citées, deux sont un bon exemple de cette médiocrité, le « dirty corner » lui se détache en raison de sa banalité (je ne compte plus le nombre « d’œuvres » de ce genre, ce n’est qu’une pale copie de ce qui existe déjà).

    Le gros problème de l’art actuel, c’est que ce n’est plus de l’art mais du commercial: on fait du polémique pour vendre à tout prix. Beaucoup d’artistes l’ont compris et tentent de nous vendre de la médiocrité emballée dans un beau paquet de marketing.
    Ça marche un temps avec quelques pigeons mais ça ne dure pas.

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