En défense du #droneporn

Gonzo, franchement, je t’aime bien, ça fait quelques temps déjà que je te lis et que ta manière de rendre hommage à l’humain qui est derrière le pornographe ressemble pour moi à une sorte d’acte politique. Mais sur le #droneporn ou #droneboning (le tag n’est pas encore très vivace mais peut-être bien qu’il connaîtra des grandes heures), tu m’as déçu. J’ai cru lire un extrait de rapport d’une brigade anti-fap qui s’insurgerait contre l’absence d’efficacité. Ta façon de renvoyer ces exhibitionnistes de la baise à d’anecdotiques marionnettes perdues dans l’immensité du décor m’a fait dresser, non pas le piou-piou, mais le poil hérissé d’incompréhension.

On est bien d’accord : toute techno nouvellement arrivée sur le marché a toujours son effet waouh qui montre les muscles comme une tribu de mécaniciens dans un #bukkake. Ca sent le vas-y-que-j’-étale-ma-technique, un peu comme cette révolution qui vient qu’est le casque VR. Evidemment, entre incarner le teubeur qui reçoit en immersion complète la bouche d’Emily Grey sur son engin turgescent et voir de loin des corps enchevêtrés dans l’harmonie artus-bertrantesque de la nature, il y a un monde. Ne me fais pas dire non plus ce que je n’ai pas dit : la VR, ça va tous nous faire fondre les plombs et sublimer nos derniers soupçons d’étrange étrangeté quant à la réalité ou non du porn… Mais ce n’est pas une raison pour laisser le #droneporn à la rubrique insolites des pages Yahoo !.

On pourrait d’ailleurs partir de ce postulat : le #dronepron, c’est l’anti-immersif. L’anti-catalyseur du porno. D’habitude, on mouille les couches sur de la présence, cette position de la caméra jamais totalement anodine qui inscrit, n’en déplaisent aux curetons de la critique auteuriste, la captation du porno dans la grande histoire du cinéma. Dans les Cahiers du porn – sorte de pendant des Cahiers du Cinéma – on aurait tendance seventies : la présence bienveillante de l’opérateur tout près des acteurs, dans cette forme d’intimité très beatnik qui signalait qu’on se salivait l’entrejambe entre copains, entre la poire et le fromage, et qu’un cunni de touffe buissonnée avait le goût du digestif. On passerait ensuite à la présence-témoin des années 80 : cette sorte d’imagerie virile de la fille qui suce avec force détermination, comme pour prouver que la nature même du #porn rentrait dans nos por(n)es à nous, à l’heure de la VHS triomphante. Parce qu’il faut bien découper à la serpe, les années 90 seraient celles du POV, que tu affectionnes particulièrement, cher Gonzo. On irait de notre couplet sur l’image-miroir, l’avant-selfie qui nous donne le besoin de l’immersion, du shoot puissant d’adrénaline que nos vies sédentaires et solitaires ont éjecté de notre habitus social.

Regarder quelqu’un se faire pomper, ce serait retrouver la proximité de la chair, l’environnement câlinant de la main de la fille sur notre ventre : la pipe viendrait nous susurrer « ne t’en fais pas, mon grand, je suis là » quand, dehors, dans la vie civile, il commencerait à faire froid et notre distinction entre réalité et fiction se fracasserait en 2001 comme les avions sur les tours. La décennie 2000 ? Le mot léché ne s’applique plus qu’aux exploits cunnilinguesques : l’image devient HD, le regard soudainement plus distancié. Si ces images désormais d’Epinal d’un couple parfait effectuant la parade du sexe comme une chorégraphie de Béjart nous faisait bander, c’est aussi paradoxalement parce qu’on en était exclus, de tout cela. L’avènement de la porn-star, la vraie : celle qui devient icône pop. Sasha, Stoya, Nella et toutes ces nymphes en « a » (bon, y’a aussi Eufrat hein) qui squattent une presse traditionnelle cédant aux sirènes de l’imagerie pornographique. On gagne en respectabilité ce que l’on perd en proximité. Le porn devient parfois lointain, esthétisé à outrance, magnifié et dépoilé. Les queues sont immensément droites, des joysticks sur pattes. Et nous, dans tout ça, on est où ?

pornVR

Années 2010, arrivée en terre bénie du spect’acteur. Avec la réalité virtuelle, et sur la foi d’améliorations technico-esthétiques que le porn ne manquera pas de devancer, on reviendra dans le giron du sexe, du virtuellement vrai : jamais totalement du sexe (on reste seul) mais plus complètement de la masturbation. Regard caméra sans caméra, puisque la caméra, ce seront nos yeux et le montage nos oreilles qui nous guideront tantôt devant (Stoya aussi près de vous que votre maman quand elle vous fait la bise) tantôt derrière où un éphèbe s’occupera de notre postérieur. Année VR donc, oui, mais pourquoi pas années #droneporn aussi ? Comme le champ/contre-champ de deux fantasmes, l’immensément proche et le furieusement lointain, le yin et le yang de l’acmé pornographique…

Je développe donc mes quelques arguments : en vérité, je dois être honnête, ils tiennent à une forme de #porn que je ne crois pas encore totalement prêt à émerger. A une forme d’anti-identification porn, le temps d’après le star-system un peu bebête qui nous fait sortir les Kleenex sur Malena Morgan, alors qu’à y regarder de près, elle ne fait jamais que très bien son boulot, dans le cadre strict du plan. Alors qu’avec le drone justement, ces images vues du ciel, quel souffle, quelle liberté quand même ! Parfois, je me sens étouffé dans mon fantasme, quand le cadre qui m’est proposé revient invariablement à l’espace clos d’un studio, aussi travaillée que soit la déco. J’ai envie d’une giboulée de mars sur les corps préparés, d’impondérables de la nature, d’un coup de vent fripon dans les parties, que Brassens n’aurait pas renié… Dans le porn indoor, ça se passe sans possibilité d’accident : une pure grammaire fictionnelle dont la trame est bien souvent éculée jusqu’au trognon. Le #droneporn, sorte de documentaire du porn ? J’en veux pour preuve cette plus que touchante scène de baise dans le film de HPG, en marge de la vraie scène : un homme et une femme, acteur et actrice porno, qui malgré leurs statuts de fournisseur d’image iconiques, se retrouvent pris dans leur désir, leur véritable envie de partager leurs sexes comme on partagerait un casse-dalle. Et tout cela en plein cœur de dame Nature, à côté du plateau de jeu proprement dit et de la voiture prête à recevoir le corps de l’actrice noire qui doit s’y coller. Imaginez un instant qu’avec de tels scénarios ficelés comme une captation, on arrive au Depardon du #porn, une manière de surplomber la réalité du sexe confirmé d’habitude avec moult gros plans ? Qu’on laisse planer le doute : c’était qui ?

Attends, revenons un peu par ici, sous un autre angle, plus bas, plus près de la terre, faisons un raccord plan sur plan que l’œil ferait naturellement, à chercher l’indice, la chatte qui dépasse, d’un coup visible du fait de la proximité de l’engin (je parle du drone, hein) avec la scène. Imaginez encore que, par une incroyable alignement des planètes, le drone se trouve soudainement au-dessus des deux performeurs au moment exact de leur orgasme, laissant entrevoir jusqu’à leur rictus presque douloureux de libération, et que la caméra monterait comme monte, on le sait tous, le désir, avant de couler en rigoles de plaisir ? Le drone ferait des vagues autour d’eux, les envelopperait du décor sublime de leur moment de grâce : et cela pourrait être tout autant la belle nature, que l’usine désaffectée ou un bord d’autoroute, avec la mécanique régularité des voitures passant à côté, autant de conducteurs non-conscients de l’événement invisible à leurs yeux qui se déroulent tout près d’eux.

drone2

Voilà Gonzo, pourquoi à mon humble avis, on ne peut pas jeter le bébé #droneporn avec l’essuie-tout du fap. Le drone possède en lui une écriture cinématographique nouvelle, dont le porn pourrait se saisir pour desserrer l’emprise du sur-jeu, de la sur-signification, toutes ces « sur- » qui parfois nous excitent, mais la plupart du temps nous font zapper, tant il est vrai que le #homemade, le #nextdoor ou le #POV en situation (faussement) documentaire nous font bien plus nous mettre au garde-à-vous. On ferait du #droneporn une autre arme politique, pour remettre le sexe (c’est-à-dire la pornographie – la représentation) dans l’outdoor, le vrai, pas celui fabriqué des studios. En faisant fi de la starisation, on verrait des corps, des bouts d’expressions de visage, des positions et des harmonies avec la nature ; en conséquence, on se dirait « tiens, je l’ai déjà croisée sur un terrain de foot, celle-ci » ou « tiens, je n’avais jamais vu cette position sous cet angle » ou encore « tiens, cette symphonie de la caméra qui bouge en arabesque autour de ces pornstars anonymes accompagne mon éjaculation d’une poésie sans nom ». Comme une sorte de Terrence Malick du #porn. Franchement, qui refuserait de creuser dans cette direction, hein ?

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