Moi, camboy : la première fois (partie 1)

L’industrie de la sexcam redéfinit en profondeur depuis quelques années les frontières de la pornographie et de son business. La série « Moi, camboy » vous propose de suivre mes débuts dans mes nouveaux habits de camboy, un récit réel et en immersion dans l’univers fascinant de la cam.

L’ordi est posé au milieu du lit. Ses ventilos patinent à cause d’une couette trop dense qui l’empêche de respirer correctement. Il fait chaud, il le sait mais il ne dit rien. Sa condition de portable le réduit à ce faux silence et je me sens bien seul en slip à vérifier si le micro de ma webcam fonctionne correctement.

Tout marche comme prévu mais j’essaye tant bien que mal de retarder le lancement de ma dernière lubie : devenir cam boy, rafler la mise et partir loin d’ici. Je me suis fixé un objectif pour me motiver, comme on remplit une grille de loto un soir d’ennui. Assis en tailleur sur mon lit, j’ai l’air d’un con à deux doigts de faire une connerie mais j’avance, clic après clic. Je vérifie encore une dernière fois que les pays francophones sont bien bloqués, j’ajuste au mieux ma touffe de cheveux, je tente quelque regards caméra puis je me jette de la falaise en cliquant “start broadcasting”.

Nous y sommes, l’instant d’après, dans cet espace d’Internet grouillant de solitude. Tout en bas c’est la chute : des dizaines de milliers d’internautes main dans le slibard prêts à me reconnaître, la copie d’écran comme arme de poing, les réseaux sociaux en instruments de la blitzkrieg moderne. J’ai beau prendre mes précautions, je n’ai pas le contrôle du hasard. Le premier client est déjà là, je dois faire bonne figure si je veux un jour nager dans les dollars.

Il repart aussi vite.

Les minutes passent et j’ai l’impression de me regarder dans un miroir, tentant de me séduire moi-même dans mon magnifique Slip Français rouge, une rutilante machine de guerre, un joujou extra qui à coup sûr devrait séduire tous les hommes (et j’espère quelques femmes) passant par Chaturbate. Il n’en est rien, je suis bloqué au purgatoire de la cam, la dernière page des hommes où seules quelques âmes perdues osent s’aventurer.

Ma première fois sur Chaturbate (vision d'artiste)

Ma première fois sur Chaturbate (vision d’artiste)

Avec un peu de patience, des spectateurs débarquent enfin, y’en a même un avec des tokens qui se présente. Je lance un timide “hey”, on me répond “nice dick”, je lâche un pouce et un sourire gêné à l’écran. Je pense en même temps à disparaître de la surface du globe et ce que ça doit faire de se faire sucer par un homme. Je me caresse doucement, j’ai aucune idée de ce que je dois faire, si je dois sortir maintenant l’oiseau, tortiller du boule ou faire patienter mon audience fantastique composée de dix inconnus qui me regardent. Quelqu’uns me parlent, commentent de ce que je fais. Je n’ose pas leur demander de tipper* maintenant et je me prends au jeu. J’en montre un peu plus, un peu moins, je discute. Ils sont sympa, l’accueil est chaleureux et ils ont l’air d’apprécier ma teub alors qu’on ne se connait que depuis quelques minutes.

Je me trouve finalement assez à l’aise dans mon costume d’hétéro en train de faire bander ses collègues homos. Je ne vois pas leur tête, pour moi ce ne sont que des noms qui sortent et qui rentrent de la room. Mon anonymat semble solide jusqu’au moment où un type se faisant passer pour une fille me parle en français alors que j’ai délibérément menti sur ma localisation. Sueur froide et mains moites, qui est ce bâtard ? Il repart aussi sec. Le jeu reste dangereux.

La parano redescendue, je vois le temps défiler et le compteur rester désespérément à zéro. C’est officiel, cette première cam est un four. Piqué alors dans mon ego, je tente de remonter la pente et d’aguicher au mieux le client. Je me cambre à m’en péter le dos, je bande comme un taureau, je me branle, je tente des close-up, je fais mon show. Tout le monde s’en fout, les mecs se cassent, me laissant seul comme une merde.

Je ne lâche rien et continue à courir derrière mon premier token. Je prolonge la mascarade, je racole le client comme un vulgaire tapin, je me fous la honte et à force de me tirer sur la nouille je commence sérieusement à avoir chaud. Je sais plus quoi leur dire pour qu’ils lâchent des tokens ; je n’ai visiblement pas la fibre commerciale. Je me dis qu’un orgasme pourrait peut-être exciter leur portefeuille, j’annonce alors la couleur dans le chat que l’explosion finale approche. La foule des derniers pelés ne réagit pas tellement face à ces dernières cartes que j’abats dans un élan de désespoir devant eux. Je m’élance curieusement très excité dans cette dernière ligne droite. Le bouchon de champagne saute, j’en fous partout et toujours aucun token.

Lâchant un regard méprisant à mes spectateurs qui ne sont finalement qu’une liste de pseudos, je ferme l’écran d’un coup sec et je peste contre la vie. Être camboy n’a rien d’évident.

A suivre : « Moi, camboy : 1500 viewers et 1 cumshot (partie 2) »

*Tipper : lâcher un pourboire

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