Cardini&Shaw : « Tout ce qui est hypnotique est sexuel »

Après des années à s’aimer et à se croiser, David Shaw et Jennifer Cardini ont enfin eu le temps de se poser ensemble en studio et de sortir un premier ep, The Ballroom, en hommage au voguing. Deux artistes qui s’appuient sur la tension pour composer ou pour mixer, deux chats qui jouent sur une ficelle qui se tend, ça ne pouvait donner qu’un premier effort excitant. C’est à l’occasion de leur premier back-to-back au Trabendo que j’ai rencontré sous une pluie improbable les deux compères.

Comment vous êtes-vous retrouvés au studio Red Bull après tant d’années ?
David Shaw : Ça fait une bonne dizaine d’années qu’on se connaît avec Jennifer. Nos emplois du temps respectifs ont toujours fait que je ne pouvais pas et qu’elle ne pouvait pas… Mais on s’est toujours dit qu’un jour on y arriverait ! Vraiment ! Et là il y a eu la session Red Bull et on s’est dit « Vas-y, on le fait une bonne fois pour toutes ».

Jennifer Cardini : Ça nous a foutu une deadline.

David : La deadline qui fait que tu ne peux pas revenir en arrière, tu ne peux pas arriver en studio et dire « Je n’ai pas rendu ma copie… »

Jennifer : Il fallait qu’on écrive, qu’on compose la musique et que ce soit plus ou moins déjà fixé pour avoir une idée de la couleur.

David : Jennifer est venue une semaine à Paris. Elle est restée à la maison, mangée équilibré, piscine… Et on a écrit trois morceaux, un peu plus, mais trois qui étaient bons et on a fini en studio.

Ça donne quelle atmosphère deux personnes portées sur les sons pervers enfermées en studio ?
David : On danse beaucoup et puis on se contient. Parce qu’au bout d’un moment… ! (Rires) C’est mon amoureuse secrète. Il y a des rencontres qui suspendent parfois le temps, ces espèces de trucs un peu… Tu ne sais jamais… Et le truc marche.

Jennifer : Et vu qu’on est deux, on va tout de suite à l’essentiel.

David : Mais on y va avec amour, doucement. Elle est douce avec moi, je suis doux avec elle.

Pourquoi avoir choisi comme thème le voguing ?
Jennifer : Parce que la veille de mon départ de Cologne j’ai regardé Paris is burning avec Jessica, ma chérie. C’est aussi parce que ça tombait à une période où il y avait le mariage gay, toutes les conneries qu’on a pu entendre. Elle m’a montré ce truc et ça m’a beaucoup émue. Du coup, quand je suis arrivée à Paris j’avais toujours le film dans la tête. Je l’ai montré à David et on a été émus par ces gamins qui tentent, à travers les ballrooms et le voguing, de changer de classe sociale.

Après, tu peux faire un rapprochement avec la période actuelle et le fait qu’il faille encore se battre. La grosse marche arrière, le u-turn de Hollande… Ce n’est pas fini. Et puis, dans les années quatre-vingt dix j’avais 16-17 ans. C’est une période que j’ai connue, mes premières soirées il y avait des danseurs, beaucoup de Madonna, c’est aussi un truc qui fait partie de ma culture.

David : En matant le documentaire on écrivait des phrases clés.

Jennifer : Il y avait des super punchlines.

David : On regardait le truc dans le canapé, hyper émus encore une fois et on notait à tout va. Et après on revenait dans la pièce à côté, où l’on bossait et on regardait ce qu’on avait noté.

Pourtant, les deux premiers tracks ne sonnent pas vraiment voguing. C’est un point de vue extérieur, ou bien intériorisé ?
David : Le clin d’œil par rapport au voguing est moins dans la musique que dans l’esprit. C’est plus en rapport avec le message.

Jennifer : Et le côté queer, aussi.

David : C’est subjectif, mais je trouve que c’est quand même hyper féminin. Et j’assume totalement de dire « Il est hyper félin, féminin ». Et tu retrouves ces choses dans le documentaire, ce côté hyper élastique…

Jennifer : C’est aussi, à la base, ce qu’a été la musique électronique. Ça a commencé dans le milieu gay et c’était quand même la possibilité pour des gens de se retrouver quelque soit leur classe sociale, leur sexualité, leur race… Les gens se mélangeaient, il y avait une énergie fantastique. C’est aussi ce que tu retrouvais dans les premières soirées de musique électronique. Ça permet à des gens de n’importe quel horizon, de n’importe quelle sexualité, de se retrouver. Donc si la musique n’est pas voguing, je pense que c’est ça qui m’a plu : son côté fédérateur. Je suis très heureuse d’être dans l’époque dans laquelle on vit, je ne suis pas nostalgique. Mais c’est vrai que ce côté-là était vachement beau alors que maintenant la musique électronique est devenu un truc plus mainstream et plus hétérosexuel. Tu prends Ibiza, l’Angleterre…

David : On ne parle plus de mouvement, on parle vraiment d’un commerce, on ne parle plus d’esprit…

On a perdu ça à Paris ?
Jennifer : J’ai l’impression que ça revient parfois dans certaines soirées. Paris ça a toujours été assez queer. Je pense plus à l’Angleterre, où on trouve des affiches qui demandent aux mecs de bien se tenir dans les toilettes des meufs. Les soirées sont super-hétéros. Après il y a des soirées gays, évidemment, mais les deux ne se mélangent pas forcément. Ou pas autant qu’avant. Ibiza c’est pareil. Il y a des gays qui sont… C’est très…

David : C’est très rangé.

J’ai déjà interviewé David donc je connais déjà ses réponses, mais… Je voulais te demander les morceaux les plus sexuels qui te viennent en tête

Jennifer : Nine Inch Nails, CloserNotre prochain morceau qui est assez sexuel. Il y en a beaucoup. My Forbidden Lover de Chic est assez sexy, je trouve. Un truc qui est supposé être vraiment sexy, qui est étiqueté sexy. Tu connais Eartha Kitt ? Elle a une voix comme ça… C’est supposé être super sexy et au final ça ne l’est pas du tout. Mais je ne sais pas, j’ai envie de le dire, ça me fait rire.

Les sorties de ton label sont aussi dans cet esprit-là, très tendues.
Jennifer : Ouais, j’aime bien la tension. Quand ça prend aux tripes, quand ça pulse…

David : Moi j’aime bien quand ça tient les couilles. (Rires)

Ça veut dire quoi ?
David : Quand ça les portes, que ça les caresse…

Quand il y a de la tension dans les couilles ?
David : Je déconne ! (Rires)

Jennifer : Ça va être sur le site. Il va l’écrire. David Shaw aime bien quand la musique lui porte les couilles. (Rires)

David : Ha non, c’en est un autre, je ne dis pas ça, ce n’est pas moi !

Jennifer : Ouais, j’aime bien quand c’est sexy. J’aime bien les trucs mélancoliques, mais pour moi la musique c’est d’abord sexuel. Comme la musique africaine. En fait, pour moi, tout ce qui est hypnotique est sexuel. Il y a un côté de quasi-méditation, tu arrêtes de réfléchir…

David : Comme la transe quoi.

Est-ce que tu peux me parler du morceau que tu as sorti il y a six mois, Sex Gang 
David : Sex Gang est un morceau pour le super label Astrolab Recordings. C’est vrai que plus j’avance, plus je suis à l’aise et confiant dans ce que je fais. Je me rends compte que j’ai toujours cette réelle proximité avec Green Velvet ou Blake Baxter et j’avais un peu cette envie de faire un truc un peu dans cette couleur-là. Ce n’est pas très compris mais je trouve que ce type de couleur me va bien, ces basses, sans tomber dans le cliché old school des basses house avec une voix. Avant, on me rapprochait souvent de Depeche Mode, maintenant c’est de plus en plus d’INXS.

Jennifer : C’était bien INXS.

David : Il faut savoir que j’adore INXS, je suis très, très, très fan de ce que fait INXS.

Jennifer : Et de l’Australie en général.

David : Et de l’Australie en général. Et Sex Gang, cette espèce de… Dans Sex Gang, je parle de l’homme ou de la femme que je peux aimer. Sans faire de mélange.

Cardini & Shaw01

Il y a d’autres morceaux qui vont sortir, vous allez continuer ?
Jennifer : Ce n’est pas un one shot. On a des projets, on discute beaucoup.

David : Ça aurait pu l’être. Mais il y a une vraie envie. Ça a pris du temps mais on s’est trouvé.

Ça va sortir dans l’année ?
Jennifer : On n’habite pas dans la même ville [Jennifer Cardini habite à Cologne, ndrl], les choses peuvent prendre un peu de temps, mais on a des trucs de prévu.

David : On a quelques démos et oui, on veut tenter un album, on a déjà des idées de couleur, de digressions…

Dans un format assez pop ?
Jennifer : Pas forcément. Peut-être un peu expérimental aussi. Nous, on écoute de tout. On aime tout. Je pense que tu ne peux pas faire de la musique sans avoir d’espèces de référence. Tu te nourris de ce que tu écoutes et on a vraiment écouté de temps en tant qu’ados, en tant qu’adultes…

David : Mais, je trouve qu’on l’a digéré.

Jennifer : Sur un album, avoir des morceaux pop, ouais, avoir des morceaux ambiant, sans beat, hyper bizarres, aussi, avoir un morceau rock, pourquoi pas ? On verra.

David : Tout ça en étant cohérent, bien sûr.

Jennifer : Mais après, je pense qu’il y a une couleur de son. Il n’y a pas vraiment de règles. C’est chiant les règles. Si on commence à se dire qu’on va faire un album calibré dancefloor pour passer en festoche, je pense que ça ne va ressembler à rien.

David : Nous, demain, si on peut jouer au MoMA c’est cool, tu vois.

Jennifer : (Rires) J’adore quand il est humble !

David : Je n’en ai rien à foutre !

Vous vous êtes préparés à votre premier back-to-back ?
Jennifer : On a passé des disques en commun. Avec des sons sales. Avec des breaks très sales. Le Rex a eu la gentillesse de nous prêter sa salle pendant trois jours. On veut rester assez libre, on a une sélection, on sait que ça fonctionne bien ensemble, on a nos morceaux. C’est une première fois…

C’est la toute première fois ?
Jennifer : Ouais.

David : (Chante) Toute, toute… Ouais.

Jennifer : Et c’est aussi la toute première fois que je vais chanter. (Rires)

David : Qu’elle va utiliser son organe.

Jennifer : Donc c’est un peu le flip, mais ça devrait aller.

David : Jenni a fait sa sélection, j’ai fait la mienne, on a commencé à faire…

Jennifer : A voir ce qu’on pourrait raconter comme histoire.

Et pour finir, quels sont vos projets, individuellement ?
Jennifer : Je continue le label, je continue la tournée avec les artistes de Correspondant.

David : Elle est en pleine promo de la compil !

Jennifer : Je fais de la musique toute seule, après c’est très difficile parce qu’on s’amuse tellement tous les deux, maintenant, que quand je fais des boucles j’ai envie de les garder pour mon maxi mais je lui fais écouter et j’ai envie de le faire avec lui.

David : De toute façon, oui, on a notre truc en commun, même si Jenni a un projet d’album, je me permets de le dire. J’ai écouté pas mal de démos, et… Ce n’est pas parce que c’est mon amie et que je travaille avec elle mais c’est mortel.

Jennifer : On continue à bosser. J’ai quarante ans, donc j’ai quasiment quarante de carrière. Après, ça continue. A travers le label, la résidence au Rex, à travers Fabric, mais voilà. C’est toujours excitant de commencer quelque chose. Ca te donne une espèce de coup… Je pense que tous les deux on est super heureux.

David : Il y a une super dynamique, pour être des gens qui sont hyper cérébraux, ça nous permet d’être dans un truc de cut to the chase, de tailler dans le gras, on y va quoi.

Jennifer : On est vachement plus détendus tous les deux qu’individuellement. On fait confiance à nos goûts, on a les mêmes goûts, en même temps on découvre des nouveaux trucs chez l’autre…

Jennifer : Rien que dans la manière de travailler. Parfois, je ne vais pas être d’accord sur un truc… Tout est très clair, en fait. Ça a marché d’un coup.

David : C’est hyper naturel. (Rires) Que de l’amour. Sinon, j’ai le label, il faut que je planche sur mon deuxième album, j’ai le projet avec Jenni, j’ai un autre projet avec Dombrance qui m’accompagne sur scène, ça s’appelle DBFC et ça va sortir sur le label… Voilà, ça fait déjà pas mal. Mais on va dire qu’en ce qui me concerne, avec le label évidemment, comme projet général que je fais avec Charlotte, qu’on développe, il y a des nouvelles choses qui arrivent. La nouvelle sortie, j’en profite pour le dire, c’est Miro.

Jennifer : Il est mortel.

David : Ouais, il est mortel. Et il y a eu les remixes de Sarah juste avant… Le label est sur une bonne dynamique, apparemment ça passe bien, il y a pas mal de retours en ce sens. Il y a trois projets que j’aime bien : le mien, celui avec Jenni et celui avec Bertrand. Les trois plus importants qui, pour l’instant, cohabitent très bien parce qu’on est organisé, carré. Et parce qu’on a vachement envie de le faire. C’est quelque chose que je redécouvre, il faut le savoir. Vraiment. À un moment, j’avais un rapport un peu malsain à la musique. J’ai aucun gêne à le dire et grâce à la rencontre avec Bertrand et le fait que j’ai retrouvé Jenni et moi, mieux dans ma peau. Tu arrives à enchaîner.

Jennifer : He’s on fire !

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