Morality In Media, lobby anti-porno

Morality In Media a vu le jour en 1962 sous l’impulsion d’un groupe de religieux catholiques, juifs, luthériens et orthodoxes ; depuis plus de cinquante ans, cette association à but non lucratif lutte de toutes ses forces contre la pornographie. Le gouvernement américain leur a déjà prêté main forte, cent cinquante mille dollars par-ci par-là. Il faut dire que Morality In Media a toujours été assez proche des hautes instances du pouvoir, que la Maison Blanche soit acquise aux Républicains ou aux Démocrates. Le créateur de l’organisation, Morton Hill, a fait partie de la President’s Commission on Obscenity and Pornography de Lyndon Johnson. L’actuel CEO de Morality In Media, Patrick Trueman, a dirigé la Child Exploitation and Obscenity Section pendant les mandats de Reagan et de H. W. Bush. Vous avez saisi l’idée, Morality In Media est un superbe spécimen de lobby.

Actuellement, Morality In Media est à la tête de la War On Illegal Pornography. Cette coalition, constituée d’une centaine de groupes anti-pornographie et de plusieurs membres du Congrès, fait pression sur le Département de la Justice des Etats-Unis depuis plusieurs années. Son objectif est de tuer le porno en faisant interdire sa distribution grâce à une interprétation et une application impitoyable des lois sur l’obscénité. Morality In Media mène également une quinzaine d’autres projets dans le genre : contre les noms de domaine explicites, contre le trafic sexuel qu’engendrerait l’industrie pornographique américaine, contre la nudité à la télévision. Toutes ces initiatives sont regroupées sous un seul nom, une seule bannière : Porn Harms. Ce week-end, histoire de bien propager ces idées, Morality In Media a organisé un grande colloque intitulé Coalition To End Sexual Exploitation 2014 Summit

Dawn Hawkins

Dawn Hawkins

Tout le gotha anti-pornographique était là, réuni dans l’hôtel Marriott de Tysons Corner, une ville du Nord de la Virginie. Les intervenants les plus réputés du colloque sont connus dans le monde entier ; Gail Dines, par exemple, est à l’origine du mouvement Stop Porn Culture. Elle a écrit pour le Time, le New York Times, le Huffington PostDawn Hawkins, la directrice exécutive de Morality In Media, écrit aussi pour le Huffington Post. Cette experte de la stratégie digitale et de la communication politique a travaillé avec Mitt Romney avant d’être engagée par Morality In Media en 2011. Le grand patron Patrick Trueman était là, lui aussi. Egalement présents des pédiatres, des psychothérapeutes, des neurochirurgiens mormons, des experts du trafic d’êtres humains. Tout un parterre de spécialistes bien décidés à prouver que la pornographie mérite d’être interdite. Il y avait même des pasteurs.

Ces intervenants ont enchaîné les parallèles foireux et les déclarations définitives comme on les aime : le porno est comme une drogue ou une épidémie, la science a prouvé l’effet néfaste de ces images sur le cerveau, et cetera, on connaît les gimmicks pseudo-scientifiques qui font danser tout ce beau monde. En vérité, le Coalition To End Sexual Exploitation 2014 Summit était avant tout une grosse opération de communication bien rodée, un événement spécialement calibré pour s’adresser à tous les chalands susceptibles de souscrire à l’idéologie anti-pornographique. Au cours de la même journée, on y a parlé de stimuli supranormaux considérés dans un contexte neuroplastique et de prévention par la foi. Un truc à la Bismarck, pour unir les troupes au nom d’un ennemi commun à grands coups de punchlines : ce week-end, en Virginie, la pornographie est devenue une « crise de santé publique » façon cigarette. 

Au cœur de l'action

Au cœur de l’action

Cette opération de communication un brin brutale a très bien fonctionné et pas seulement outre-Atlantique. Les conclusions du colloque ont carrément fait l’objet d’une dépêche AFP, très vite reprise par bon nombre de journaux français et francophones. Le caractère sensationnaliste de ces informations a largement suffi : le porno, une « crise de santé publique » ? Merveilleux. Le problème, c’est que dans la bataille, aucun de ceux qui ont repris cette information n’ont songé à enquêter sur les déclarations fallacieuses et les méthodes douteuses des intervenants du Coalition To End Sexual Exploitation 2014 Summit. Au Tag Parfait, on s’est dit qu’il serait peut-être de bon ton de souligner quelques faits un peu gênants.

Tout d’abord, il faut savoir que les journalistes qui ont assisté au colloque ont tous été préalablement sélectionnés par le staff de Morality in Medias. Un petit entretien avec Trueman, Hawkins et leurs collègues, l’air de rien, pour vérifier qu’aucun scribouillard un peu trop objectif ne vienne mettre son nez dans leur nid douillet et moite de consensualité. Nous on trouve que ça la fout déjà un peu mal mais on est habitué, on a déjà vu ça dans le dossier NoFap : tout ce qui compte, pour les anti-porno, c’est de ne pas être contredits. Ça se ressent aussi dans les méthodes des intervenants du colloque, qui n’hésitent pas à mentir pour conquérir les foules. Les anti-porno oublient volontiers qu’aucune étude scientifique sérieuse ne cautionne leur point de vue, bien au contraire. Ça n’a pas empêché Gail Dines, Dawn Hawkins et leur groupe d’experts de donner du  » beaucoup d’études scientifiques prouvent que le porno est néfaste » dès qu’ils en ressentaient le besoin.

La couverture de He Restoreth My Soul

La couverture de He Restoreth My Soul

Nous vous avions déjà parlé de ces études anti-porno et anti-masturbation. Très décriées au sein de la communauté scientifique du fait de leurs méthodologies douteuses, elles ont été menées par et pour des partisans de la censure ; à vrai dire, elles ressemblent surtout à des preuves fabriquées, qui mettent la réflexion scientifique au service de la conviction et de la foi. La principale caution scientifique du Coalition To End Sexual Exploitation 2014 Summit, le neurochirurgien Donald Hilton, illustre admirablement cette manière de procéder. Dans son livre He Restoreth My Soul, qu’il signe en sa qualité de médecin, ce Mormon déploie une réflexion franchement douteuse. Un gros yaourt goût Jésus avec de vrais petits bouts de science dedans. Donald Hilton nous parle de spectrométrie, de neurotransmetteurs, de dopamine, avant de citer les Évangiles au paragraphe suivant pour expliquer que la foi est le meilleur remède contre l’addiction à la pornographie, cet éternel fantasme.

Whether we serve as a bishop, facilitator, missionary, group leader, family member, or support person, we would do well to remember the words of Paul. We are admonished to neither strive nor argue. He reminds us to be gentle and patient and apt, or ready, to teach. Teaching is to be done with humility and meekness. Note the powerful relationship in 2 Timothy 2:25-26 between repentance, which God grants, and recovery, which one must seek first on his own, in order to be freed from the snare of addiction and the captivity of being led by the will of the adversary. God grants us repentance and we recover ourselves with His assistance, after “all we can do.”

Notre ami médecin nous explique ensuite avec ferveur que la foi exerce une influence positive sur le système limbique…

L’autre grande tête d’affiche, la fameuse Gail Dines, est avant tout professeure de sociologie. En janvier dernier, elle a publiquement accusé Kink de contrevenir à la Convention contre la torture des Nations Unies. Pour Gail Dines, la pornographie moderne est un véritable fléau qui encourage aussi bien la dégradation de la femme que le trafic sexuel. Son dernier ouvrage, Pornland: How Porn Has Hijacked our Sexuality, a beaucoup plu aux anti-porno mais c’est à peu près tout. Les critiques professionnels ont préféré souligner l’absence de véritable travail de recherche, accusant Dines de camoufler le manque d’épaisseur de son boulot en abusant de l’anecdote personnelle et de trucs rhétoriques. C’est là que ça devient rigolo : au cours du Coalition To End Sexual Exploitation 2014 Summit, Gail Dines, définitivement plus rhétoricienne que chercheuse, a donné une conférence intitulée Remporter le débat : des stratégies rhétoriques adaptées aux jeunes adultes.

Cordelia Anderson, Gail Dines et Sharon Cooper

Cordelia Anderson, Gail Dines et Sharon Cooper

On pourrait continuer longtemps dans ce sens-là, il y plusieurs dizaines d’intervenants. On vous épargne le reste, mais il y a de la qualité dans le panier : Bruce Taylor, un juge fédéral qui, pendant une interview, met l’homosexualité et la zoophilie dans le même sac tout en douceur ; Mary Anne Layden, une psychothérapeute qui prétend que plus une femme regarde de porno, plus elle est susceptible de se faire violer… Tous ensemble, ces tristes drilles ont réussi a faire croire au monde que les Etats-Unis considéraient désormais le porno comme une « crise de santé publique. » On parle d’un groupe d’experts, ça claque. Des experts qui mentent, qui pratiquent la censure, qui enchaînent les déclarations scandaleuses, qui enfantent d’études et d’ouvrages fallacieux.

Le pire, c’est qu’ils s’en foutent, l’objet de la lutte n’a que peu d’intérêt ; Morality In Media est un lobby. Tous ses dirigeants sont très impliqués dans la vie politique nord-américaine. Pour eux, le but est avant tout de créer un réseau dense et étendu qui va favoriser leur ascension vers les plus hautes sphères. Jusqu’ici, ça a plutôt bien fonctionné ; si vous lisez l’anglais, il y a de quoi rire dans cet article du Los Angeles Times. Il faut croire qu’emmerder les pornographes est le meilleur moyen de gagner en popularité. Si les électeurs américains détestaient le crépi, il y aurait des lobbies anti-crépi et le résultat serait le même qu’avec le porn. On ne perd pas espoir : un jour, peut-être qu’ils se trouveront un autre appât à électeurs et qu’ils nous foutront la paix.

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