George Issakidis : « L’énergie sexuelle est créatrice en soi, c’est la plus importante »

George Issakidis a attendu 42 ans pour lâcher son premier album sur le label Killthedj. Celui que l’on connaissait plus comme la moitié du groupe The Micronauts a sorti avec Karezza, un opus sensuel, organique, tripé et emprunt de spiritualité. On est allé à sa rencontre pour discuter tantra, mdma et de l’importance de l’énergie sexuelle dans le processus de création.

Est-ce que tu pourrais nous parler du concept de « The Republic Of Desire » ?
Tout ça tourne autour du mot désir. C’est l’émotion qu’il y a derrière toute action, quelle qu’elle soit, même si elle n’est pas axée sur le sexe — elle se cache derrière. Je suis fasciné par le tantra, pas le néo-tantra occidental, mais le tantra asiatique, hindou, bouddhiste. C’est un procédé qui n’est pas rattaché à une religion. Ils utilisent ça à des fins alchimiques, de transformation profonde. C’est là que réside ma fascination pour le mot desire et The Republic of Desire. C’est aussi un clin d’œil à l’un de mes écrivains préférés, William Gibson.

Est-ce que ce désir a une finalité ?
Je crois qu’il n’a jamais de finalité.

On reste en tension tout le temps ?
Dans le tantra c’est un peu le but, la pratique du karezza c’est repousser l’orgasme, pour monter les énergies à un niveau qui élève la conscience à un état qui permet des transformations internes ou externes.

Comment gérer la frustration à ce moment-là ?
Les gens vont trop vite, tu ne trouves pas ? Ils veulent tout, tout de suite. Ils accélèrent tout le temps. Moi, je veux tout ralentir, tout vivre, rester dans le moment le plus longtemps possible. Les gens ne sont jamais présents, ils sont toujours dans le passé ou dans l’avenir, proche ou lointain, et avec une certaine insatisfaction.

Même quand je mange, je fais des exercices de Gurdjieff. Manger lentement, une sorte de yoga de la nourriture, garder chaque partie de son corps dans sa perception au moment où l’on mâche, on sent, on essaie de sentir la peau du crâne, les ongles, tout ! Des exercices pour se ramener ici, maintenant, dans le moment, avec ce que l’on fait. Je vois des gens qui s’étouffent, comme si c’était le dernier repas de leur vie, ou le premier depuis des semaines. J’utilise la nourriture comme exemple, mais la consommation en général est comme ça.

photos G. Issakidis - credits Kate Fichard (2)

C’est une autre forme de plaisir, moins spontanée, plus diluée, plus forte ?
Pas forcément diluée, ni plus forte, mais plus attentive. Plus dans le moment et moins robotisée. Les gens sont robotisés dans leurs actions, leur tempérament, dans tout. Je fais ces rencontres dans ma vie pour essayer de casser ces imprégnations qui font qu’on va toujours réagir de la même façon. On accumule des couches, des couches et des couches qui viennent se mettre les unes sur les autres et qui ne sont pas nous. Elles viennent s’agrafer, se coller sur le vrai nous. L’idée c’est de casser tout ça avec ces pratiques, pour arriver à ce qu’il y a en-dessous.

Et finalement, quel est ton rapport au sexe, à un niveau moins tantrique, plus “simple” on va dire ?
Le sexe a une grande importance chez moi, il prend même trop de place dans ma vie (rires). Tu dis que tu le sens dans ma musique – beaucoup de gens le disent, en effet.

C’est conscient quand tu composes ?
C’est moi tout simplement, ça sort de moi comme ça. C’est pas conscient, je ne le fais pas exprès. En même temps, je reste là à faire de la musique et je suis comme un obsédé sexuel à penser à ce que j’ai fait avant et à ce que je vais faire plus tard. Le sexe est une énergie, qui est axée sur le chakra sexuel plus que sur les circuits sémantiques…

Cette tension sexuelle est-elle un moteur de création ?
L’énergie sexuelle est créatrice en soi, c’est la plus importante. Elle est omniprésente.

Dans une interview au Nouvel Obs, tu parlais de ton éveil au Kundalini. Un état d’orgasme continu de trois, quatre mois. Est-ce que tu pourrais me décrire cet état ?
Je peux te donner des références, oui. C’est beaucoup plus fort que la meilleure MDMA que j’aie pris de ma vie. C’était quelque chose de continu, continu, c’était… je ne sais pas… j’avais l’impression de sentir chaque cellule sur la surface de ma peau. Puis de ma surface jusqu’au sang, puis des allers-retours, une espèce de vrombissement qui montait des pieds jusqu’en haut de la tête. C’était continu, continu, continu, c’était fou.

Après ça s’est tassé un peu. Puis, deux ans plus tard, j’ai eu la montée. Je suis rentré après un cours, je me suis couché et là j’étais… C’était tellement fort que je me suis retrouvé paralysé pendant des heures. Je me suis levé, avec difficulté tellement c’était l’extase. Une extase presque trop forte. C’était incroyable, je n’avais jamais connu ça. Ça avait fait de l’Eveil quelque chose de banal.

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Tu arrives à être dans des villes stressantes, dynamiques, et à trouver une certaine sérénité ?
(rires) Oui, je me l’impose par différentes méthodes. Le yoga, de plus en plus. Je médite énormément, je prends le temps de me plonger dans la nature. A Vancouver c’est facile, la ville est dans la nature. Ici, à Paris, les gens peuvent me retrouver aux jardins du Luxembourg. La sérénité on peut la trouver n’importe où. C’est un inside job.

Et si le label Kill the DJ n’était pas venu te voir ?
Je serais resté en ermite jusqu’à la fin de mes jours, sans doute. Il n’y aurait pas eu d’album aujourd’hui. Ça faisait longtemps que je menaçais de faire un album, ce n’était pas un secret (rires). C’est grâce à eux, sans eux je ne l’aurais pas fait, leur soutien a été total ; je n’aurais pas mis cette énergie moi-même pour le faire, j’avais besoin d’autres gens.

Ils ont fait comment ?
Ils sont venus au studio et ils m’ont dit « il faut que tu le sortes ». Et automatiquement j’ai su que c’était avec eux.

COVER_George Issakidis - Karezza HD

Tu vas te remettre dans un processus créatif pour en sortir d’autres ?
Oui ! La suite va être de me plonger en studio et de faire ce que j’aime le plus quand je fais de la musique : rentrer en profondeur dans les machines. Pour comprendre leur fonctionnement, leur idiosyncrasie, les apprivoiser…

C’est une manière de les humaniser ?
Elles sont déjà humaines parce qu’elles sont faites par des humains. Mais leurs défauts, leurs bugs… j’en avais trouvé dans le passé avec les Micronauts, des machines Z-1 et tout ça. C’était des choses qui déconnaient mais qui étaient formidables dans les machines ! Il faut prendre le temps de l’apprendre. La majorité des machines sont faites pour être utilisées tout de suite, c’est inintéressant à souhait. Ce qui m’intéresse c’est ce qu’il y a en-dessous, ce qui se cache. Et qu’on ne trouve qu’avec le temps. Il y a des choses dans le studio qui méritent ce temps.

Tu as dit dans une autre interview que tu allais dans les soirées en Europe, mais dans les petits endroits confinés avec des gens défoncés, les mâchoires bloquées…
Oui, ça me manque un peu !

La dope fait obligatoirement partie de la musique électronique ?
Non mais… C’est l’état de transe, l’état alterné. Rien que de boire donne un état alterné. Mais on sait aujourd’hui que – même si la guerre contre la drogue veut annoncer le contraire – la MDMA, dans sa molécule pure, est moins dangereuse que l’alcool. Quand les gens vont en boîte, ils cherchent cet état de relâchement, c’est animal, c’est en nous. Ce serait bien si c’était légal un jour. Ils commencent à utiliser la MDMA dans un but thérapeutique, tu as entendu parler de ça ?

C’était déjà le cas dans les années 70 non ?
Oui pour les couples qui n’allaient pas bien, les trucs comme ça. Après ça a été schedule II… ou schedule I je ne sais plus… ce sont les différentes classifications des drogues les plus dangereuses aux Etats-Unis. Bon, en tout cas, maintenant, c’est revenu dans un but thérapeutique. Mais c’est pour les soldats qui reviennent avec des syndromes post-traumatiques. C’est bien que ça serve. Mais c’est dommage qu’il faille… tuer des gens, revenir complètement traumatisé pour pouvoir vivre cette expérience qui est une ouverture du cœur, qui soigne. Ça crée une ambiance où les gens font rapidement tomber leurs murs, où des connexions et souvent des expériences inoubliables se font. Éventuellement des amours qui perdurent… Pourquoi on est privés de ça ? Ça devrait être légal.

Qu’est-ce qui t’inspire musicalement en ce moment ?
Beaucoup de choses. J’écoute depuis un certain temps Dolphins Into The Future. J’adore toujours autant Coil. Zongamin qui est un très cher ami, qui prépare un album pour bientôt. Mickey Moonlight prépare aussi un album qui est également dingue. Il a collaboré avec moi sur Santa Rosa De Lima où il a fait du Glockenspiel. Son album sera fondamentalement influencé par ce que sécrète la pinéale, la DMT… c’est sublime, c’est vraiment très, très étonnant. Photonz c’est dingue. Après, j’adore Robert Aiki Aubrey Lowe qui fait de la musique sous le nom de Lichens ou sous son propre nom, c’est terrible ce qu’il fait, c’est une espèce de musique hypnotique, méditative. C’est très beau, très très bien. Jim O’Rourke, Goblin, AFX… Aphex Twin. Sun City Girls c’est vraiment top. Un des deux frères de Sun City Girls est mort, donc le groupe s’est arrêté, mais l’autre a un label qui s’appelle Sublime Frequencies qui sort des trucs pas possibles comme de la musique psychédélique vietnamienne des années 70. Michael Ranta, ça c’est un truc que j’adore. Tim Hecker qui est canadien… c’est une saturation juste à la limite où les mélodies se dissolvent. Pandit Prân Nath qui a formé les meilleurs que j’aime. Takehisa Kosugi qui est un autre artiste drone. Rosy Parlane, un mec de la Nouvelle-Zélande qui est génial, c’est comme des échardes de cristal, c’est psychédélique, mais un psychédélisme tout à fait glacial. Actress est un de mes préférés en musique électronique récente, lui il me tue.

Photos par © Kate Fichard

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