Jerky Girls : à l’épreuve du foutre

Poétique de l’orgasme masculin dans le porno lo-fi.

Parmi toutes les séries pornos que j’ai visionné, c’est très certainement ma préférée.
J’en matte beaucoup, of course, des choses très variées, mais je reviens toujours vers celle-ci avec la certitude d’y trouver quelque chose d’original et d’excitant. J’ai une tendresse pour les acteurs, les répliques, l’univers, l’ambiance… Cette série, c’est celle des Jerky Girls.

Jerky Girls, c’est un peu l’apothéose du porno lo-fi dans ce qu’il a de plus déglingué et de puissant érotiquement. Tout y respire le petit business, le commerce d’arrière-boutique, la débrouille, les bouts de ficelle. On tourne dans des salles de conférence désertes avec des costumes loués pour 5 dollars au magasin de farces et attrapes du coin, avec des acteurs du quartier, cachetonnant pour une dette de shit.
Le concept est simple : une ou plusieurs filles branlent un mec.

Un fantasme de poche, comme trouvé par terre, sur le trottoir ou sous un lit. Jerky Girls est un dérivé potache du CFNM, mais dont la particulairté et d’avoir miniaturisé son concept à l’extrême. Les porn-scripts y prennent la forme de rêveries cocasses et niquées, quelque part entre une course à la Benny Hill mais figée, et l’excroissance carrollienne d’un film de Max Pecas. Un conte grivois duquel s’échapperait un robot-branleur, boobs 100% naturels plaqués dans 2 mètres de papier alu.

Petit coup de main, tsé

Cet univers de cours de recrée, les réalisateurs le déclinent sur plusieurs modes : on démarre avec des configurations hypra réduites (« une branlette ») pour finir avec des sex-systems beaucoup plus sophistiqués où l’on se lâche carrément dans le bondage (menottes, cellophanes, voir simili vacuum bed avec des scènes de cock-milking encagoulées). Nous sommes en territoire masochiste, et le noyau est toujours le même, exploité dans une veine tantôt douce, tantôt hyper technologique.
Mon intérêt masturbatoire et intellectuel se porte plus sur la première de ces déclinaisons (« une branlette »), n’ayant jamais été très fan du bondage filmé, fusse-t-il arty ou élégant. Ce qui est LOIN d’être le cas pour les Jerky Girls, jamais à court d’un garage pourrave et d’un rouleau de cellophane liddle. 100% Do It Yourself : si croix de Saint-Jean il y a, c’est avec une cagette en bois et du chatterton qu’on la fabrique !

Les Jerky Girls s’adressent officiellement à un public hétéro masculin, mais elles font officieusement partie de ces centaines d’œuvres crypto-gays dont youporn et xhamster REGORGENT. Les commentaires parlent d’eux-mêmes: les boobs y sont autant célébrés que les bites, et le cast masculin fait l’objet d’éloges bien moites. Et DIEU qu’il le méritent !

Professionelle

Le casting en question est composé d’acteurs intervenant régulièrement, et dont voici la liste non exhaustive :

  • Un sugar daddy pensu et ventru qu’on imagine sans mal tenir une boucherie à Culoz.
  • Un twink maigrelet toujours flanqué d’une milf (l’asymétrie générationnelle comme révélateur de la porn-substance des corps)
  • Un bear soumis et fébrile.
  • Un chub velu et coquin (avec une bite tordue pas piquée des hannetons).
  • Deux grands dadais monstrueusement chauds avec des bites normales.
  • Un dude beefy, hypra expressif quand il jouit.
  • Un fou furieux aux éjac FUKUSHIMA qui semble invoquer Satan à chaque secousses.
  • Un skateur avec écarteurs noirs qui jute façon lama.

En résumé : des mecs trouvés dans des vidéo-clubs, dans des PMU, dans des lan-party, dans les gradins d’un match de curling. Des boys next door à vous tremper les burnes au moindre grognement.

Qu’en est-il du casting féminin ? Je ne ferais pas le détail des actrices, étant donné je suis PAYDAY!!!(t’sais) si ce n’est qu’elles ont toutes des supra-nichons. Une lecture crypto-gay des Jerky Girls nous amènerait (à tort) à concevoir les actrices comme de simples socles, ou bien comme prétexte à mettre en scènes des mecs hétéros sans que cela ne fasse trop gay… Or, ce n’est absolument pas le cas ici. Du moins, c’est MILFois moins le cas que dans tous ces pornos gratuits dégueulasses, où c’est à se demander sur quoi les mecs hétéro peuvent bien se branler : des filles-enveloppes plastifiées jusqu’à la mort et qui ne sont ni plus ni moins que des réceptacles à teub. Hétéro mon cul : ce n’est, comme toujours, qu’une histoire de BITE. Contrairement à tous ces navets sexistes, la série des Jerky accorde une place privilégiée à son cast féminin. Modèles hommes et femmes partagent le territoire fantasmatique avec une forte égalité dans la présence des corps, et de leur complémentarité ou de leur puissance différentielle dépendra toute la pneumatique érotique du film. Les gros nichons ne sont pas là par hasard : l’infantilisation des modèles hommes vient nous rappeler que nous sommes en terrain masochiste, le degrés de domination des maîtresses dépendant 9 fois 10 de la taille de leurs boobs. La maman, la patronne, la nourrice, tout ça…

Izy on the sunny afternoon

Mais comme ¾ de ce qu’on trouve sous le tag #handjob, Jerky Girls est avant tout une œuvre qui interroge la Bite. Et avec elle, l’Homme et la physiologie de sa jouissance. Hoquets, accélération, convulsion, frémissement, gémissement, rougeurs, grognement : le porn-script s’articule intégralement autour de la mécanique du plaisir – excitation, érection, stimulation – jusqu’au point d’orgue final : l’éjac. Cette dernière fait l’objet de choix esthétiques propre au genre du #solo : l’orgasme est soit décuplé à l’aide d’un replay ou d’un ralenti, soit débordé, auquel cas la caméra s’égare lacivement sur la bite revenue à son état flaccide, rougie et pendante sur un ventre constellé de foutre. On connaît la recette par cœur. Ça marche du feu de dieu. Qu’est ce qui différencie dès lors les Jerkies du tout venant stroking/cumming ?

Ce qui fait tout le charme de la série, c’est sa poétique du naturel à tout prix. Tout est gardé au montage. Et c’est bien plus qu’une politique du « tant pis, on la garde ». Le naturel est ici une stratégie esthétique à part entière, qui contient toute la force érotique du film. Les nombreux regards caméras des acteurs, sublimes instants d’embarras post-éjac, ne sont ni plus ni moins que la captation d’une virilité vidangée, saisie à son point de déconfiture le plus sensuel. Que reste-t-il de l’homme après l’orgasme ? Que reste-t-il du corps pornographique une fois vidé de son énergie sexuelle et cinétique ? Réponse : peau de couille. Juste un dude qui, encore sous le choc de son éjac, tentera de remonter son futal d’un geste tendre et paniqué, et qui cherchera désespérément, dans le regard du spectateur, la substance magique dont celui-ci s’est repu. Quant aux scènes de fou rire, jamais coupées, il s’agit de véritables moments de poésie, de l’émotion suspendue capable de nous faire planer en pleine branlette.

Mais alors, Jerky Girls : plutôt Max Pecas ou plutôt Maurice Pialat ? Une filiation pourrait se penser entre la vision porno-naturaliste d’un JNRC et l’authenticité défaite des Jerky Girls. Souvenir puissant d’un sketch de SOLO ! dans lequel un polonais se retrouvait pressé de finir sa branlette parce qu’un type venait frapper à la porte de sa cabine !! Est-ce qu’on a le droit pour autant de comparer la splendeur plastique des solos de Renée Clair aux kermesses mal éclairées des Jerky Girls ? Arg !! On n’irait pas comparer Barry Lyndon à Tempête de Boulettes Géantes. Et pourtant…

Pourtant on trouve dans ces vidéos des énergies qu’on ne trouve nul par ailleurs et qui en font de vrais petits chefs-d’œuvre d’érotisme.

Il suffit parfois de peu de choses, par exemple d’un prétexte scénaristique à l’autodérision géniale :

-« Bonjour je suis le voisin, je viens chercher le gâteau. ( ???)
-Il est en train de cuire, ça prendra 10 minutes, vous voulez que je vous branle la bite en attendant ?
-Oui. »

Après quoi, le mec se saisit d’une chaise, s’assoit, se rend compte subitement qu’il a oublié de faire un truc : regard caméra l’air de dire « sorry dude », le type se relève et baisse son froc. S’en suit une branlette absolument chiante qu’un orgasme puissant et mystérieux vient dénouer : un hochement de tête, un empourprement hallucinant des pommettes, trois convulsions du bassin et aucun gémissement à l’explosion du foutre. Croyez-moi, rien n’est plus bandant que ce sommet d’impressionnisme pornographique. Qu’est ce que le plaisir, qu’est ce que la jouissance ? Un secret énergétique, planqué bien profond dans les dédales d’un corps que la Virilité, en tant que force normative, vient parer de mutisme et de pudeur. Ce même silence douloureux qui donne aux mecs hétéros leur écrasante beauté. Jerky Girls est une réflexion sur cela. Ou comment la pornographie s’arrache à sa fonction masturbatoire initiale pour devenir autre chose, plus fort, plus loin : un espace de négociation des identités et de célébration des formes.

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