Anna Polina, réchauffe-moi

Paris en petit-train

Le radio-réveil m’a laissé Everybody Talkin dans la tête pour une partie de la journée, c’est sur cette douce mélancolie que je m’engouffre dans le métro en ce samedi matin de février. J’ai rendez-vous avec Anna Polina, la nouvelle égérie Dorcel. Je lui ai acheté des petites viennoiseries, j’espère qu’elle appréciera. J’en profite pour manger la moitié pendant qu’Harry Nilsson reprend pour la 28ème fois son refrain. Il commence un peu à me gonfler le country boy, surtout que j’attends la belle venue du froid depuis un moment. Harry n’arrête pas d’arpéger à l’infini et je me rappelle la scène du cowboy dans le cinéma, voilà à peu près l’ambiance sur le macadam parisien dans le petit vent du matin. La journée commence bien. J’ai pas son numéro.

Habituée des journées à la cool, seulement 4 jours de tournage en deux mois, Anna n’est pas trop du matin. Mais, la voilà qui arrive perchée sur ses hauts talons et d’un coup je me sens tout petit, Harry vient de me laisser tout seul. On reprend le métro. Le carré du milieu, l’endroit idéal pour discuter porno. On entre dans le vif du sujet, pourquoi t’es là, qui sont tes potes dans le milieu, comment ça se passe. A travers les prods où elle est passée je tente de savoir où elle veut aller. Son parcours est rapide, par ci par là, le schéma classique d’une fille qui se lance dans le porno par hasard et par envie.

Le train à roulette nous secoue pour rejoindre la Porte de Versailles, où se tient le salon Paris Manga. Vu comme ça, ça paraît un peu obscur mais la grande foire japanisante de Paris peut quand même nous offrir un bon trip à jeun, c’est validé. C’est à ce moment là que je me rends compte que je me trimballe dans le métro avec une hardeuse qui peut difficilement cacher son jeu avec sa nouvelle poitrine, sa bouche pulpeuse et son bouli bien ferme. Regards chelous de lascars et de vieux types, l’espace d’une seconde la parano m’envahit mais je lui envoie un high kick mental. Continuons, on doit choper Adeline, l’attachée de presse de Dorcel.

Maintenant qu’Anna a retrouvé son jeune chaperon, ça papote entre filles. J’en profite pour prendre des notes, ce qui ne semble pas mettre à l’aise nos deux employées de la luxure, je tente de les rassurer, bof. Mais un paramètre nous rapproche, nous sommes désormais trois à appréhender la suite des évènements. C’est dans ces moments d’angoisse et de peur qu’on commence à se dévoiler. Anna confie sa dépendance au Coca, je lui donne un conseil beauté à propos de perlèche et de Biafine, Adeline mange une pomme. Tu voulais du rock and roll, j’espère que t’es servi. On en oublierait presque que flotte dans l’air une odeur de napalm, devant nous se dresse le hall 2.11, forteresse tenue par des centaines de cosplayers. Va falloir traverser le Mékong, faut se serrer les coudes les filles. Action.

Certainement les plus beaux yeux du milieu, folie. © Lisemai

A deux pas du vortex

On a rendez-vous sur le stand d’ECHAP, qui détient en son sein le secret du pourquoi, Anna a tourné pour Christophe Berthemin et Dist De Kaerth avec ses collègues Eliska, Graziella et cie. Je commence à piger pourquoi elle est là, moins pourquoi ils sont là, pas grave. Autour de nous c’est la plus grosse concentration de nerds de Paris, il pleut du cosplay à torrent, c’est la mousson Kawaï. On s’abrite derrière le stand, on essaye de prendre nos marques. On peut pas dire qu’il ait un succès fou, ils sont venus pour voir l’autre guignol de Star Trek pas des actrices de cul. On est bien à l’abri derrière notre ligne Maginot quand s’avance un intrus. Un jeune homme, très blanc et voûté. On commence à percevoir le leitmotiv des dents de la mer, qui est ce type ? J’enfile ma carapace mentale de Koopa Troopa, je suis pas là, j’ai disparu virtuellement. Bref, petite tension au campement, c’est un fan hardcore d’Anna, un stalker de compète. Il discute un peu, dépose un book et repart. On ouvre l’objet. Une série de photos sur la nature où plane une solitude angoissante. Mais au milieu du book, ça dérape, une fille pose peu vêtue sur un canapé, c’est cru, c’est gauche, tout le monde pousse des petits cris. Elle me confie que ça commence à la faire flipper d’être reconnue, de prendre le métro et de recevoir sur son Facebook des messages de types qui l’ont reconnue à telle station. Vu qu’on attend une équipe de Direct 8 pour un reportage sur elle, les choses ne vont pas s’arranger dans les mois à venir. Anna, va falloir t’y faire ce business est sérieux, les fanatiques en veulent pour leur argent.

Petit jeu, qui est plus anonyme que l’autre ? © Lisemai

C’est pas ma guerre

Je me retrouve au stand en position de sniper à scruter l’horizon, carnet en main. Les centaines de gens passent devant le stand, quasi tous déguisés, la grand-messe du weirdo commence. On est coincés dans le foutu vortex de la règle 34. Tous les fantasmes du japorn sont réunis au même endroit, ça s’agite dans mon cerveau, il faut qu’on y aille. On plonge.

Je me place dans le courant et je me laisse porter par la foule, de gauche à droite c’est aussi violent qu’un jpeg war, ça pétarade de clichés. Tous très jeunes à demander des free hugs pendant que des troupes armées sillonnent les allées à la recherche d’ennemis virtuels. Beaucoup de jeunes filles – qui ont encore du chemin à faire avant d’être majeures – sont habillées de manière scandaleuse ; à côté Anna passe complètement incognito. On avance dans cette vague de cosplayers, petite photo avec un Stormtrooper pour le lol et on flâne dans les boutiques à la recherche d’un tee-shirt Bob l’éponge. La foule est dense et compacte et au détour d’un match de catch et d’un stand de lingerie Kawaï, je perds contact avec mes Dorcel girls. Mayday, mayday. Ne me laissez pas là-dedans. Trop tard. Coincé.

Seul, perdu, habillé en gentil hipster pas du tout dans le délire du salon, je me balade nerveusement entre des petits culs et des gros geeks boutonneux. J’ai mille idées en tête, l’impression de me balader dans le pire d’Adult Empire en mode child porn. Ces sales pensées m’excitent et j’ai honte, mais la tentation est grande pour le pedobear qui sommeille en nous. Tu croises des porte-jarretelles, tu te dis c’est bien je vais me rincer l’oeil à défaut de prendre partie pour la cause Manga, et là la fille se retourne, 14 ans au compteur à tout péter et les menottes et la jaule qui te pendent au nez. T’es bloqué dans le tourbillon des personnages de la pornologie, toutes les figures des internets sont là. C’est 4chan qui commande. Je croise un type aux lunettes fumées, la quarantaine, le regard caché. Pas sûr qu’il soit venu pour mater les derniers mangas tendances, il se rince l’oeil comme un beau salaud et sa main dans le pantalon est bien connectée au cerveau. Frisson.

Je vous laisse commenter cette photo. © Lisemai

Perdu

Tout autour de moi, c’est le dirty web en tags. D’un côté les figures des parfaits puceaux consommateurs de porn à outrance, et en face l’incarnation des fantasmes. Le cosplay devient roleplay et on navigue dans un terrible mindfuck. Je suis le seul à m’en rendre compte, car l’ambiance est vraiment bon enfant, à part un ou deux pervers, on vient en famille ou entre collégiens pour déconner et surtout se montrer. En représentation, tout le monde se prête au jeu de la photo. Cette mascarade est bien rodée, mais toujours pas de trace de mon sujet du jour : Anna Polina. Anna où es-tu ? Allô. J’espère qu’elle s’est pas fait happer par le match de catch qui hurle à mes oreilles, la DP elle pratique tranquillou mais je suis pas sûr que ça soit dans leur règlement. Je continue à traîner dans les allées et je tombe de plus en plus sur des gamins qui veulent des Free Hugs, ils feraient mieux de demander des free blow jobs ils gagneraient du temps, on a de la performeuse au stand mais encore une fois, on passe totalement inaperçu. Nous sommes déguisés en vrais anonymous, on est la face secrète du cosplaying. Cette petite réflexion m’angoisse un peu, je rejoins mon îlot de sûreté, ça tombe bien la voilà qui arrive.

J’ai un peu de mal à lui faire sortir quelques infos en dehors des questions bateaux sur le milieu. Elle a 22 ans, vient de Russie (arrivée à Paris à 9 ans) et a commencé il y a à peu près 3 ans. Elle veut bien faire, du coup elle prend pas de risque et fuit un peu dès qu’elle peut. C’est étonnant pour une fille qui se définit comme une performeuse. Va falloir la jouer fine si je veux en tirer quelque chose, vous êtes pas les lecteurs d’Hot Vidéo.

Un nouveau fan aborde le stand, il connaît tout par coeur et a roulé sa bosse dans le porn français. L’éternel fan qui en sait plus que tout le monde, on s’en amuse, il connaît apparemment très bien la comptable de Dorcel. C’est un bon point, au moins tu fais sourire Adeline. Puis arrive un père et son fils, il demande qu’on le prenne en photo avec son gamin. Je savais pas qu’on matait le porn en famille, mais ça rentre parfaitement dans le cadre du salon, hop une fille de 11 ans à moitié à poil me passe sous le nez. Oups.

On part faire un tour avec Anna, une de ses passions c’est la littérature, elle cite Maupassant, Tchekov, la dramaturge Sarah Kane qu’elle admire… et à mon grand étonnement Antonin Artaud. La littérature s’invite au salon, cet angle est sérieux. Je valide. Elle écrit depuis qu’elle est toute petite, mais pour le moment rien n’est sorti de ses secrets. Des textes jalousement gardés aux coins de son intimité qu’elle n’ose pas dévoiler. Même pas un petit blog en anonyme pour tester le public, ça m’intrigue. Exposer son corps, le pousser dans ses retranchements ne la dérange pas, mais pour dévoiler une autre facette de sa personnalité, ça coince. Elle travaille, bien mais dans le cadre du porno. Pas évidente à cerner. J’aimerais en savoir plus quand arrive une équipe de Direct 8 qui décide de me la détourner pour un bon petit moment.

Toujours faire une pause pour reposer ses yeux. © Lisemai

« A qui sait attendre, le temps ouvre ses portes »

La télé c’est sympa, mais faut pas être pressé avec eux, je commence à tourner en rond et à traîner des pieds. Je retourne m’engouffrer dans ce bordel de tags suspects. Toujours ces filles à moitié nues sans leurs parents et ces soldats du Free Hugs. Le truc commence à rapidement me gonfler. Je me retrouve coincé entre deux clans qui s’affrontent pour s’embrasser, je suis en plein milieu, ça hurle de partout. Comme si on avait coincé un technicien de plateau en plein milieu du choc des deux clans dans Braveheart. Quelle horreur, je m’enfuis de ce merdier, et je pars choper un gamin. “Oh c’est quoi votre truc là, Free Hugs”, “Je sais pas.”, “ça vient d’où ?”, “Je sais pas.», « Et pour le Free Sex, ça se passe comment ? ». Malaise. Merci les gars, vous avez vraiment l’utilité de votre âge.

Je trouve une fenêtre de tir avec Anna Polina pour aller faire d’autres photos lol sur le salon, mon gros souci c’est qu’on doit être les seuls majeurs, un peu compliqué quand tu shootes avec une hardeuse. On trouve quand même, on rigole bien, elle est gentille et mon cerveau explose devant toute cette mise en abyme involontaire. Puis Direct 8 reprend ses droits, et je retrouve mon ennui. La télé continue son manège de plans, d’axes et de questions qu’on a entendues mille fois. On écoute, on attend. Plus tard, Coralie Trinh Thi dialogue avec Anna. On apprend que le milieu du porn est moins vicieux que la musique ou le cinéma, je veux bien la croire, au moins l’histoire de coucher est un peu écrit dans le contrat. On doit partir, la suite est à l’anniversaire de Ghislain, responsable des nouveaux médias chez Dorcel.

Retour sur le bitume parisien, il fait nuit, on arrive en même temps qu’Anna à la teuf. Elle ose pas rentrer, je passe devant, euh ok. Pourtant à l’intérieur on reconnaît quelques figures du porn game, Bodilis, Carrera, Fred Coppula, elle est plutôt bien entourée. Elle est là, répond aux questions, corporate time, tu prends une note, hop elle a disparu. Manquerait plus qu’elle nous file entre les mains direction la porn valley. Oh… wait.

Spotted. © Lisemai

Mais, pendant que résonne la basse d’un I Like To Move It qui fait trembler le coeur des jeunes trentenaires, je scrute la fonte de mes glaçons. Anna à la bougeotte mais est peu loquace, j’arriverai bien la prochaine fois à lui soutirer plus d’infos mais la réponse est peut-être au fond de mon verre. Le froid, la glace, cette façade de l’est est trop cliché pour me convaincre mais j’accepte la nature des choses. Sûrement une façon se de se protéger. J’écris ces trucs et au coin de la pièce le petit groupe du milieu m’observe. Kikou les mecs, on est là, la pop culture dans ton saucisson, va falloir s’y faire. Allez, l’ami, ressers-moi un verre pendant que sur ces crânes chauves se reflète l’ennui; partons naviguer vers d’autres rives.

Photos par © Lisemai

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