Naissance d’une doll underground

Métro Château d’Eau. Orageux. L’équipe de France de football va bientôt perdre face au Mexique. Un homme en chemise hawaïenne tente de me refourguer une cartouche de clopes. J’avance au rythme des « Marlboro, Marlboro ! », jupette au vent, esprit libre. Le « rédac chef nazi » du Tag Parfait m’attend devant le cinéma de quartier Le Brady (en ce moment, rétrospective Blake Edwards). Il me confie quelques-unes de ses malices, entre un coup d’œil avide sur son iPhone et un autre, sourcil relevé, sur la petite foule de curieux, de marginaux et de journalistes qui s’impatientent. J’ai peur, je piétine, je souris ; je ressemble à une gamine s’apprêtant à déballer un cadeau. Un maigrichon à lunettes trop stylées porte une mini-barboteuse sous un blouson en jean et endosse le rôle d’ouvreuse. La deuxième édition du Paris Porn Film Fest est lancée.

Une dizaine de marches plus tard, je découvre la salle numéro deux, confinée, antique et peuplée d’affiches. Je repense au vendeur à la sauvette du boulevard de Strasbourg. Et je me dis qu’à l’époque où mes parents apprivoisaient le LSD (ou l’inverse), la cigarette était autorisée dans les cinémas de l’hexagone, le porno aussi. Notamment sur les Grands Boulevards ; oui, Monsieur ! Tabac, transpiration et foutre : un cocktail d’odeurs dont je ne regrette que la symbolique.

Mal assise entre un solitaire aux cheveux blancs et un jeune porte-parole du alt porn, entre le passé et l’avenir, je me sens presque nostalgique d’un temps inconnu, celui où le X n’était pas coincé dans les cabines individuelles lugubres et collantes de Pigalle. Puis je me rappelle l’existence d’Internet et des nouveaux médias, et je me rassure : ok, malgré l’omniprésence de la nudité dans nos vies, le ministère de la culture actuel s’avère plus fermé et l’opinion publique plus puritaine que dans les années soixante-dix, mais, comme le prône le PPFF, « un autre porno est possible ! ».

La question de la censure et des supports de diffusion évacuée, je retrouve enfin mon statut de spectatrice lambda. La pièce est plongée dans le noir ; j’entends même le pop-corn éclater sous les dents d’un voisin. J’oublie que je vais regarder des pénétrations en gros plan pendant quatre-vingt-dix minutes. Soudain, le silence. Un long silence. Très long. Et si je criais ? Histoire de briser ce statisme convenu ? …Trouillarde ! Sur la toile blanche, le teaser du festival annonce la couleur : vintage, post-porn, animation, gay, sado maso, protest porn, hétéro, expérimental, queer… Tous les genres, les formats et les sexualités seront au rendez-vous.

Dirty Diaries

Dirty Diaries, une série de treize courts-métrages réalisés par des féministes suédoises et produits par Mia Engberg, ouvre les festivités. Controversé dans son pays d’origine (du X financé par des fonds publics… OMYGAD !), le projet sera diffusé dès le 30 juin au MK2 Beaubourg. Des amants qui s’explorent en zentaï, une fliquette qui lèche les bottes d’une punkette, une exhibitionniste qui se caresse sur le quai d’un métro, deux femmes qui jouissent en se remémorant leurs ébats sexuels par téléphone… Au sens technique du terme, on a affaire à du porno (certes bien éloigné du gonzo), mais avec des dimensions nouvelles, surprenantes, en tout cas pour moi. Candide et pragmatique, j’ai toujours perçu le genre comme un aphrodisiaque abordable, un exutoire à pulsions disponible sur tous les bons sites de streaming. Je ne concevais pas que les notions de mise en scène et d’esthétisme, voire de ton, pouvaient peser dans la balance et surtout attiser un public plus large que les incontournables érudits et cinéphiles. Originalité, humour, réalisme… Je ne crierai pas au génie, néanmoins, la différence se joue ici : devant ces films, je m’amuse, j’y crois, je m’identifie, et c’est aussi ce qui m’excite.

Si Dirty Diaries chahute mes pensées de débutante, le lendemain, la projection de The Doll underground d’Eon McKai (tête de file de l’alt porn américain), avec Lexi Belle, Daniel et James Deen, me fait l’effet d’une révélation ! L’histoire : à L. A., une bande de lolitas gothiques monte un groupe terroriste anti-capitaliste, s’inspirant de The Weathermen, une organisation d’extrême gauche des seventies adepte de la guérilla urbaine. Entre deux attentats, les doll s’octroient de jolies parties de baise. Espiègles et libertines, elles renvoient en outre une image crédible, aux antipodes de celle des bimbos siliconées fabriquées en masse et rarement recyclables. Ne vous méprenez pas, elles suscitent autant de fantasmes, elles les rendent juste plus accessibles.

La bande-son, folle et jubilatoire, contribue à l’étrange tension qui m’habite. Hier, treize courts-métrages signifiaient treize génériques, treize respirations, treize retours à la réalité. The Doll underground dure deux heures ! Deux heures emmurée avec ces inconnus et ces conventions qui m’empêchent de me masturber. Une douche écossaise. Les trois quarts des spectateurs partent d’ailleurs avant la fin (en majorité des couples, des pervers et des couples pervers). Je reste. Et je vogue de l’excitation à la frustration voire à la colère, me raccrochant vaille que vaille à la rationalité. C’est donc dans ce fragile état de lucidité que j’en viens à la conclusion suivante…

ON NE SAIT/VEUT PAS FAIRE ÇA EN FRANCE. La doctrine has been et écrasante dictée entre autres par le clan Dorcel pollue et fige le paysage. Elle ne s’adapte pas aux désirs des consommateurs qui évoluent, et exclut les dix-huit/trente-cinq ans. Le jeune d’aujourd’hui dévore plus de X que de Flaubert (je laisse les éventuelles problématiques que cela implique aux spécialistes), a fait d’Internet son meilleur ami et constitue un marché convoité. Pourtant, les grands pontifes ont à peine changé leurs recettes depuis trois décennies. Ils répètent que leur industrie souffre du piratage (soit), ne remettant pas en cause la qualité et la variété de leurs œuvres. Et ils se vantent de produire et promouvoir du porno chic, exposant en vitrine un Mademoiselle de Paris, mais font tourner leur commerce grâce aux babioles vulgaires ou poussiéreuses de l’arrière-boutique. En guise d’illustration (pas de vérité absolue), un extrait de l’émission Ce soir ou jamais avec Katsuni, John B. Root, Grégory Dorcel et Titiou Lecoq ici.

Pornographie, septième art, musique, politique… Pourquoi mon pays s’est transformé en roi du surplace ? À l’écran, la bouche juvénile de Lexi Belle balaie mon interrogation d’un revers de langue.

Quand la lumière se rallume, j’ai deux envies : faire l’amour et la révolution.

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